Avec un orchestre de jeunes, une académie et un réseau de soutien aux artistes émergents, le festival veut amplifier le dialogue interculturel dans l’espace euroméditerranéen.
A Aix, en juillet, il n’y a pas que des opéras. Il y a aussi beaucoup de musique. Une fois sortis du lyrique, les chefs invités y vont aussi de leur concert : Sir Simon Rattle dirige le Monstre du labyrinthe (lire ci-contre)mais se fend avec le London Symphony Orchestra d’une soirée Brahms-Dvorak (le 9 juillet) ; le Freiburger Barockorchester, aéré dans la fosse du théâtre de l’Archevêché pour l’Enlèvement au sérail (lire page VII),découvrira l’intérieur bois et velours pourpre du Grand Théâtre de Provence pour un programme De Arriaga-Hummel-Mendelssohn (le 15), Teodor Currentzis restera dans l’orbite stravinskienne après Iolanta-Perséphone(lire page VI) avec l’ensemble MusicAeterna à l’auditorium Darius-Milhaud (le 16)… Et puis, tout à côté d’eux, les musiciens de l’Orchestre des jeunes de la Méditerranée (OJM) présenteront un concert Mahler-Sokolović (lire aussi ci-contre) le 21 juillet. Qui c’est, ceux-là ? Loin d’être un gadget diplomatico-culturel, cet ensemble est le symbole d’une réflexion élastique du festival sur son ancrage local et son extension méditerranéenne. Autant dire tout un programme.
1 L’Orchestre
La formation, créée en 1984, a été placée en résidence au festival depuis 2010 et en est partie intégrante depuis l’an dernier. Elle comporte aujourd’hui 89 musiciens âgés de 16 à 26 ans, recrutés dans 24 pays du bassin méditerranéen : 17 pays riverains, Malte, Chypre, et trois autres «annexés» par le festival : Kosovo, Macédoine et Portugal. Les auditions sont menées par le biais de structures nationales, orchestres ou conservatoires, qui sont partenaires du festival et où, retour ironique de l’âge, se trouvent quelques fois d’anciens membres de l’OJM - sachant que, sur trente et un ans d’existence, quelque 2 700 musiciens sont passés par la formation. L’orchestre essaie d’être égalitaire dans sa composition par nationalité. Ses membres sont renouvelés chaque année en suivant une règle : un musicien ne peut pas demeurer en son sein plus de trois saisons consécutives, même s’il a réussi ses auditions. Globalement, deux tiers de l’OJM sont modifiés tous les ans.
Les musiciens reçoivent leurs partitions et travaillent avec leur structure locale, avant de se retrouver à Aix début juillet, grosso modo à l’ouverture du festival. Cette année, ils participeront, en plus de leur concert symphonique, à un opéra. Ils n’auront par exemple qu’une semaine de répétition pour le Monstre du labyrinthe, projet pour lequel ils seront coachés par des musiciens du London Symphony Orchestra. Après son passage à Aix, l’OJM tournera en France, à Marseille et Avignon, avant de se promener en Grèce, à Athènes, et en Tunisie, à Sousse. Dans cette organisation collective internationale, une question cruciale occupe une grande partie du travail d’Emilie Delorme, responsable de l’Académie européenne de musique d’Aix :«Les visas. Il en faut pour tout le monde et il y a toujours des contretemps, même si nous n’avons jamais eu de problème, c’est-à-dire que tous les musiciens sont toujours rentrés chez eux. Et puis il y a évidemment des complications avec les pays en guerre, par exemple la Syrie. On fait alors appel à des musiciens de la diaspora.» Quand on évoque le Divan de Daniel Barenboim, ensemble composé de Palestiniens et d’Israéliens, Emilie Delorme tempère : «Nous avons une sélection plus large et, surtout, nous ne nous positionnons pas sur un plan politique, mais uniquement culturel.»Parmi les belles histoires de cet orchestre, elle évoque celle de ce bassoniste grec, «accepté dans un conservatoire en Allemagne et qui n’avait pas les moyens de payer son billet d’avion. Spontanément, les autres musiciens ont joué toute une soirée à tour de rôle sur une place d’Aix pour le lui offrir».
2 L’Académie
A l’opposé de ces rives lointaines, le festival a développé depuis 1998 une académie, où sont passés des artistes lyriques tels que les sopranos Lea Trommenschlager et Julie Fuchs ou l’incontournable baryton Stéphane Degout. Fer de lance de l’ancrage local du festival, l’Académie accueille chaque année quelque 260 élèves dans quatre départements : chant, musique de chambre, création et orchestre. Objectif : «Donner aux jeunes artistes les outils pour que leur première expérience soit une bonne expérience», explique Bernard Foccroulle, le directeur du festival.
Les académiciens participent aux productions puis partent en tournée, notamment grâce au réseau de partenaires européens Enoa (European Network of Opera Academies), qui produit cette année le spectacle Be With Me Now. Mais le mélange des cultures méditerranéennes n’est pas totalement oublié, avec la présence d’intervenants comme les musiciens du quatuor turc Semplice ou encore la metteure en scène égyptienne Laila Soliman.
3 Le réseau
Il s’appelle Médinea et son but est de soutenir des artistes émergents du bassin méditerranéen qui placent la musique au centre de leur projet. «La région se transforme, le printemps arabe a rendu certaines choses possibles. Il faut que les acteurs du secteur culturel se positionnent vite»,explique Emilie Delorme. C’est ce qu’a fait le festival avec ce réseau nouvellement créé où tout s’interpénètre, des structures nationales dans les pays partenaires en passant par l’Académie et l’orchestre. Deux réunions annuelles font se rencontrer ces entités, la dernière a eu lieu au Caire en décembre, la prochaine le sera à Aix.
Cet échange de liens et de partenariats est célébré par une soirée en hommage aux 60 ans du festival de Baalbeck, avec des «musiques et poésies en arabe et en français», le 7 juillet au théâtre du Jeu de paume. Il devrait aussi permettre une plus grande circulation des œuvres et des équipes. Le festival accueille en résidence des artistes qui participent à des sessions interculturelles ou au préfestival Aix, en juin. Cette année, le compositeur palestinien Moneim Adwan y a présenté un work in progress d’une œuvre qui sera programmée l’an prochain dans le festival : un opéra pour cinq musiciens et cinq chanteurs, en français et en arabe, sur un livret du poète syrien Fady Jomar et de la dramaturge Catherine Verlaguet, adapté de fables arabes, Kalila Wa Dimna. Les voies du lyrique passent par le Sud.
Par Guillaume TION - Source de l'article Libération
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