Pour le seul ilot de démocratie dans la région, qu’est la Tunisie: « J’appelle pour un vaste plan Marshall »
Une interview de Hervé Morin, président du Nouveau centre et ex-ministre français de la Défense
Le magazine français « L’OBS » a organisé les 15 et 16 juin, avec la collaboration du ministère du Tourisme et de l’artisanat, « les journées de Tunis », au palais des congrès.
Placée sous le signe, « les défis de la démocratie », la manifestation a vu la participation de quelque 400 invités tunisiens et français. Hervé Morin, ancien ministre français de la Défense et Président du Nouveau centre, a pris part à cette rencontre.
Lors du panel «La Tunisie et ses voisins : menaces et soutiens», un débat controversé a eu lieu en ces temps où, les relations au Maghreb subissent le poids des intérêts hégémoniques de nombre de grandes puissances mondiales.
Nous l’avons rencontré. Interview.
Vous participez aux journées de Tunis, organisées par le magazine « L’OBS », En quoi consiste votre participation ?
Je m’intéresse particulièrement aux conditions de sécurité dans le bassin méditerranéen et aux conditions du nouvel équilibre géostratégique dans notre région. Quand on a en tête les immenses tensions et les grands bouleversements qui frappent des pays comme la Libye, on comprend que les ondes de choc frappent toute la région. Une région, dont le destin est désormais, commun. Dans cette région du monde, la Tunisie a réussi à montrer qu’il existe une voie pour construire une démocratie dans laquelle l’alternance est un fait. Aujourd’hui, face aux menaces terroristes et à la situation en Libye, nous devons être aux côtés de ce pays afin de l’aider à consolider ses capacités d’accompagnement de la démocratie au développement économique.
Justement, eu égard à la situation en Libye, la Tunisie vit constamment sous la menace terroriste. Comment l’Europe peut-elle être aux côtés de la Tunisie ?
J’étais venu avant les élections et j’avais appelé à faire de la Tunisie, la priorité des priorités absolue de l’Europe. C’est le premier acteur au niveau de l’aide au développement et au lieu de se disperser, elle devrait concentrer, dans un vaste plan Marshall, son soutien à la Tunisie. Le plan Marshall américain, qui a permis à l’Europe de se redresser était certes économique mais aussi militaire. Les Américains ont participé à la restauration et la reconstruction militaire de l’Europe. Les Européens ont une chance extraordinaire, de voir les Tunisiens représenter un espoir pour le Maghreb et le Machrek mais, aussi, pour l’Europe, et particulièrement pour la France, avec tous les problèmes qu’elle connait. Je ne comprends pas comment on est aussi médiocre dans la réponse ? Comment ne se mobilise-t-on pas plus qu’on ne le fait, pour éviter, à la Tunisie, les contrecoups de la défalcation libyenne. Cependant, on n’a pas non plus, favorisé l’ancrage de la démocratie tunisienne. Désormais, je demeure convaincu que de nombreuses puissances européennes ne se sont pas impliquées avec la Tunisie dans la lutte contre le terrorisme. Ce que je crains pour la Tunisie, comme dans tous les lieux de crise, c’est que l’Europe ne soit pas capable de construire une réponse. Il y a des pays pour lesquels traverser la Méditerranée ne relève pas de l’impossible. Le risque que nous avons, c’est que la France soit seule face à des Européens qui n’ont pas la volonté de construire une réponse politique et militaire.
Comment expliquez-vous le soutien timide de L’Europe à la Tunisie ?
La Tunisie a été terriblement frappée par les attentats terroristes, ce qui n’a pas été sans impacts sur l’économie. Le terrorisme n’a pas touché la Tunisie uniquement dans sa chair, il l’a frappée dans sa capacité à accompagner par un développement économique, sa transition démocratique. Cependant, je déplore le fait que l’Europe se soit détournée de la Tunisie. Je regrette que l’Europe soit à ce point, muette. Il est choquant que les Européens ne considèrent pas que ce qui se joue en Tunisie soit central pour la relation euro-méditerranéenne. Je condamne régulièrement l’indulgence européenne et d’ailleurs, c’est pour ça, que je suis là, en Tunisie, parce que je me sens concerné par ce qui s’y passe. Il y a une exigence pour nous, Européens et Français, de soutenir économiquement, massivement la Tunisie, comme les Américains avaient su le faire en 1945 à l’égard des Européens, après la deuxième guerre mondiale.
Quels sont les contours de plan Marshall que vous proposez pour la Tunisie ?
Vous savez, la Libye est un immense espace,et, ce qui s’y passe n’est pas anodin. Partant, une intervention militaire en Libye n’est pas aussi simple. Par contre, nous Européens, pouvons faire en sorte qu’il n’y ait pas de propagation et d’effet domino sur les pays de la région. C’est dans ce sens, que j’ai appelé, depuis un moment, à la mise en place d’un vaste plan Marshall, pour le seul ilot de démocratie dans la région, qu’est la Tunisie. Ce pays a besoin d’un grand soutien européen, pour qu’il poursuive et consolide sa démocratie, car il représente un espoir pour l’ensemble du bassin méditerranéen. A mon avis, au lieu de disperser les efforts, le plan Marshall pourrait concentrer toute l’aide au développement accordée par l’Europe à la Tunisie. Les principaux axes du plan seraient de focaliser sur la modernisation des infrastructures, l’innovation, le développement des filières industrielles, la construction de partenariats économiques. Il serait, également, judicieux de voir ce qu’on pourrait faire au niveau des échanges internationaux et comment mener les grands groupes économiques européens à favoriser l’essor économique de la Tunisie.
Les efforts d’investissement et d’aide à la reconstruction économique de la Tunisie, pourraient-ils être satisfaits sans la sécurité ?
D’abord, je tiens à souligner que cet effort ne pourrait se réaliser sans l’Europe, premier partenaire de la Tunisie. En même temps, je confirme que les investissements directs étrangers ont besoin d’un rétablissement de la sécurité dans le pays. D’où, le second volet du Plan Marshall qui serait, une transposition de celui engagé par les Américains, en faveur de l’Europe, en 1945. Outre le soutien économique, il comprend également, un volet sécuritaire et militaire. En effet, il nous appartient, nous Européens, de favoriser la modernisation de l’Armée tunisienne, notamment dans ses moyens de renseignement, d’observation ; la capacité d’avoir des forces spéciales suffisamment nombreuses et bien équipées pour répondre aux coups durs et être à même de confronter ce qu’on appelle les conflits asymétriques.
La Tunisie a réussi sa transition démocratique, mais elle est confrontée actuellement au grand défi de sa transition économique qui a du plomb dans l’aile. Pensez-vous qu’elle sera en mesure de relever ce défi?
Ce qui se passe en Tunisie, est très important pour les Tunisiens, le fait que le pays ne soit pas déstabilisé, l’est encore plus.Ce qui se passe ici, est aussi d’une extrême importance pour les Européens.
Avant les élections, l’espoir était l’instauration de la démocratie qui allait renforcer la confiance économique, cela aurait pour corollaire la réalisation d’un développement soutenu et d’une croissance accélérée avec un redémarrage du secteur touristique. Avec l’attentat du Bardo, tout s’effondre, d’ailleurs, les attentats de Paris ont paralysé l’activité touristique pendant plus de deux mois.
Comment imaginez-vous les nouvelles relations entre les deux rives de la Méditerranée ?
Je voudrais que tout soit autocentré sur la Tunisie, parce que je pense qu’elle peut être pour nous, le modèle qui doit inspirer le reste de l’Afrique du Nord. On ne pas donner des leçons aux autres pays. Le meilleur moyen de nous dire, nous Européens, comment nous imaginons l’évolution de vos pays, vos modèles, sans toucher à la souveraineté, c’est de suivre l’exemple de la Tunisie. Et on ne réussira vraiment à le faire, qu’à condition de ne pas voir la démocratie tunisienne s’évanouir et sombrer dans le sable du terrorisme.
Quel message adressez-vous aux Tunisiens?
Ayez confiance dans votre avenir. Ce sera dur. Mais ayez confiance et du courage. Cela vous permettrait de vous en sortir.
Source de l'article Réalités
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