Le prix Nobel de la Paix a été attribué au quartet du dialogue national tunisien pour "l'esprit de médiation". Un esprit qui peut souffler aussi sur l'entreprise. Ruben Arnold & Docteur Henri Cohen Solal, Médiateurs et co-fondateurs de Terrain d'entente
Ruben Arnold et Henri Cohen Solal (Crédits : DR) |
Le prix Nobel de la Paix a été attribué en décembre au quartet du "Dialogue national Tunisien" : c'est un prix pour l'esprit de la médiation. Il vient récompenser la contribution déterminante du quartet à la transition démocratique dans leur pays et traduit la victoire d'une médiation entre les parties contre l'esprit destructeur de la guerre civile. Comme tout bon médiateur, le Dialogue National Tunisien a permis aux acteurs politiques, dans toute leur diversité, d'écrire ensemble le narratif de leur histoire à venir à travers la rédaction d'une constitution, à un moment où ce récit commun risquait de se disloquer. La médiation a permis à une révolution périlleuse d'accoucher d'une plateforme suffisamment solide pour que les parties belligérantes puissent s'entendre. L'issue n'était pas acquise par avance, cette médiation du quartet s'est révélée déterminante puisque la Tunisie a vécu un des rares Printemps arabes engagé aujourd'hui sur une voie démocratique. La nature même de cette médiation fut décisive, puisqu'il apparait que le dialogue direct entre les parties, sous l'égide du quartet, en est un des facteurs de succès.
Les révolutions, dans les entreprises aussi
Les révolutions ne sont pas l'apanage des pays, nos économies aussi en subissent à des rythmes qui semblent de plus en plus rapides. Ces révolutions ont en commun des phases d'instabilité dans un premier temps, à partir desquelles vont émerger à terme de nouveaux équilibres. Les entreprises en particulier sont traversées par de nombreuses révolutions, tant externes qu'internes : les changements technologiques détruisent et créent de nouveaux champs de valeur (l'émergence de la data par exemple), les usages permettent d'initier et rendent obsolètes des modèles de création de valeur (automatisation du travail, nouveaux intermédiaires), la prise de conscience de nouvelles contraintes et opportunités ouvrent de nouveaux champs d'innovation (le changement climatique)...Tous ces changements viennent mettre les organisations à rude épreuve en les obligeant à se transformer pour survivre, soit autant de révolutions internes à initier dans nos entreprises.
Un climat propice aux conflits
Ce climat de changement est propice aux conflits entre parties cherchant à influencer ou à accaparer le nouvel ordre à venir. Souvent habituées à un langage guerrier, les entreprises peuvent parfois oublier que les pulsions de destruction ne sont pas irrémédiables.
Les institutions politiques, juridiques et civiles inventées pour réguler et gérer les relations, les rapports de force et les conflits entre les acteurs économiques, doivent se réinventer. Elles y travaillent pour la plupart, mais il ne s'agit pas juste de moderniser leurs processus et outils. Il est indispensable qu'elles prennent en compte les profondes mutations du monde économique : fragmentation et responsabilisation des acteurs, car aujourd'hui chaque freelancer devient désormais son propre chef d'entreprise. Cela nécessité de gérer les conflits à l'amiable, le partenaire d'aujourd'hui sera peut-être celui de demain.
Des atouts de la médiation
Il existe aussi une autre voie à la résolution guerrière des conflits, dans laquelle la mise en place d'un terrain d'entente permet aux gens de se parler et de s'écouter, préalable à toute négociation réussie. Comme en Tunisie, cette voie fonctionne grâce à l'action du médiateur qui en garantit l'existence et se soucie fondamentalement dans son processus de préserver la dignité de chacune des parties, en garantissant l'identité et le respect de chacun. En Tunisie, les quatre instances de la société civile composant le quartet nobélisé ont posé les bases de cette médiation et y ont invité les parties pertinentes à en accepter les règles, à se parler et à s'écouter comme préalable aux négociations en vue de la rédaction d'un contrat national : la constitution.
Une technique de résolution des conflits
La médiation est ainsi une technique de résolution des conflits qui transforme les belligérants en acteurs intelligents de leur propre histoire. Si le principe d'une médiation a marché au niveau d'un pays, pourquoi ne marcherait-il pas au niveau des acteurs économiques ?
La médiation dans le monde de l'entreprise existe en France depuis une vingtaine d'année, mais son développement reste très limité. L'administration estime à près de trois millions le nombre de décisions prises par la justice civile indépendamment de celles qui appartiennent à justice pénale, administrative et des conseils de prud'hommes. Le volume de médiation est difficile à estimer, mais une agrégation des chiffres communiqués par les acteurs permet d'estimer que les techniques de médiation où les parties sont invitées à se parler permettent de régler environ dix mille conflits par an.
Une solution économique...
Les mêmes mécanismes de médiation couronnés du prix Nobel ont encore besoin d'être développés et adoptés dans le monde de l'entreprise. Pourtant, les résultats sont là pour ceux qui veulent prendre le temps les voir. D'après un rapport sur « Quantification du coût du non-recours à la médiation » du Parlement Européen en 2011, les citoyens européens pourraient économiser 7 500 euros par conflit, soit près de 75% du coût moyen d'un conflit, lorsque la médiation est réussie. Plus éloquent, il faudrait que le taux de réussite d'une médiation avoisine les 20% pour que le recours à la médiation par rapport aux voies judiciaires classiques soit neutre en termes de temps et d'argent. Or ce taux avoisinant les 70%-80%, la médiation devrait gagner haut la main la comparaison.
L'entreprise et avec elle ses dirigeants et les hommes qui la composent doivent aujourd'hui présenter le même courage et la même détermination qu'il a fallu à ces tunisiens et tunisiennes pour éviter le pire et apporter à leur pays une voie de résolution non violente qui garantisse la dignité et la contribution de chacun.
Par Ruben Arnold et Henri Cohen Solal - Source de l'article La Tribune
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