Dans tous les pays en développement, vous entendrez des hommes politiques et des représentants du gouvernement présenter l’investissement étranger comme une solution, une priorité et une nécessité, en d’autres termes, comme un élément essentiel à la croissance économique et à la création d’emplois.
La Tunisie ne fait pas exception à la règle. Depuis la révolution de 2011, on entend beaucoup dire que la solution au chômage passe par la promotion de l’investissement étranger.
Depuis plusieurs années, la Tunisie et d’autres pays en développement enregistrent des entrées massives d’investissements étrangers. Ces flux ont-ils produit un changement ? Ont-ils eu un impact positif ? Certains hommes politiques clament haut et fort que l’investissement étranger est indispensable car il permet de faire reculer le chômage et d’améliorer les conditions économiques. On peut alors se demander pourquoi la situation sur le terrain reste inchangée, voire se dégrade, dans ces pays.
En tant que spécialiste de la gestion des mégaprojets et de la médiation internationale, j’ai eu le privilège d’examiner de près certains de ces investissements. Mais ce qui m’a réellement fait changer d’avis sur ce que recouvre le terme d’« investissement » et plus précisément d’« investissement étranger », c’est l’expérience vécue par mon jeune frère.
Mon frère est spécialisé dans l’aéronautique. Comme des milliers d’autres jeunes Tunisiens, il a eu du mal à trouver un emploi décent après ses études. Trois ans après la révolution tunisienne, il a eu la chance de trouver un poste d’« opérateur sur machines » dans une entreprise de fabrication d'outillages industriels en banlieue de Tunis. Il travaille en moyenne 12 heures par jour pour moins d’un dollar de l’heure. Même célibataire, ce salaire ne lui permet pas de vivre de façon autonome dans la capitale tunisienne. Et bien que ce qu’il gagne ne lui suffise pas à joindre les deux bouts, je lui avais conseillé de commencer à travailler quelque part et de tirer parti de cette expérience, comme je l’ai fait moi-même en France et aux États-Unis lorsque je faisais mes études.
Il m’a répondu que le salaire n’était qu’une infime partie du problème. « Dans cette usine, m’a-t-il expliqué, il n’y a quasiment pas de possibilités d’apprendre et d’évoluer. Les machines qui ont besoin d’être programmées, qui nécessitent davantage de compétences en paramétrage que le simple assemblage, sont réservées aux techniciens français expatriés. »
Aujourd’hui, dans de nombreuses entreprises étrangères implantées en Tunisie, les pratiques restent les mêmes. Il n’y a pas de transfert de savoir et les conditions de travail ne respectent pas les normes nationales ou internationales. En l’absence d’autre solution, les jeunes hommes et femmes qui ont du potentiel le gâchent en acceptant des emplois mal rémunérés et des conditions de travail toujours plus mauvaises.
Quelle est donc la valeur de cet investissement étranger et quelles en sont les conséquences pour des gens comme mon frère ?
C’est précisément le type d’investissement que le gouvernement tunisien a cherché à attirer, un investissement sans création de valeur, qui ne répond pas aux attentes d’une génération jeune et instruite. En effet, celle-ci aspire à un environnement professionnel qui lui serve de tremplin pour sa carrière, qui lui permette de progresser techniquement et professionnellement.
Nombreuses sont les raisons qui expliquent que l’investissement en Tunisie se soit radicalement orienté vers ces investissements non créateurs de valeur : le manque de transparence, une philosophie de l’action publique qui encourage ce type de pratiques, l’absence d’infrastructure pour les investissements dans les services, une réglementation du travail contraignante pour les investisseurs privés, la corruption et la dépendance économique et politique envers certains pays du fait de liens historiques.
Il faudrait bien plus que ce billet pour traiter chacune de ces raisons. On pourrait toutefois commencer par améliorer la transparence des négociations entre les autorités et les investisseurs potentiels. Si ces négociations étaient rendues publiques, on pourrait au moins déterminer si les besoins des Tunisiens figurent parmi les priorités. Si les pays en développement ne réforment pas leurs institutions et leur pratique des affaires, ils obtiendront toujours les mêmes résultats. Si nous voulons que l’investissement étranger ait une incidence positive, nous avons besoin de personnes dotées d’une formation adéquate, d’une meilleure réglementation et d’un environnement transparent. Mon frère et tant d’autres jeunes n’attendent que ça.
Par Olfa Hamdi - Source de l'article Blog de la Banque Mondiale
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