Une partie de l’avenir de l’Europe se joue aussi dans le pourtour de la Méditerranée, où se concentrent les défis, sans cesse martelés par les médias (migrations, guerres, islamisme radical), mais aussi les fantastiques opportunités qui permettraient de bâtir un destin commun aux deux rives de la « mer du milieu ».
Alors que tous les regards sont tournés vers Berlin, à quelques centaines de kilomètres plus au sud se joue aussi une partie de notre avenir. Le 23 novembre prochain, la Tunisie, qui a déjà organisé ses élections législatives, s’apprête à élire son nouveau président de la République. Qui, en Europe, évoque ces enjeux, qui pourtant nous concernent directement ? Le premier ministre et le ministre des affaires étrangères et du développement international sont récemment allés en Tunisie pour affirmer solennellement la nécessité de renforcer les liens historiques qui unissent nos deux pays. Qui s’en est félicité ?
Plus largement, qui se soucie ici de la rive sud de la Méditerranée, dont nous savons pourtant qu’elle concentre tous les enjeux de ce siècle, comme elle a toujours, au cours de l’Histoire, synthétisé les grandes problématiques du monde ? Qu’il s’agisse d’environnement, avec la nécessité de préserver cette mer riche et fragile, de développement, de dialogue des cultures, d’énergie ou de paix, c’est bien sur les bords de la Méditerranée que se joue notre avenir.
Mais nous avons toujours eu du mal à assumer cette réalité. Cela tient à une histoire lourde, qui charrie plus de mauvaise conscience que d’optimisme. Et cela tient surtout aux crises qui la traversent et dont nous croyons pouvoir nous protéger en refusant de voir que nos destins sont indissociablement liés.
Or, vu d’Europe, l’espace méditerranéen semble se réduire à ces crises, économiques ou politiques. Conflit israélo-palestinien, Syrie, Irak, Libye et plus au sud encore, Sahel et Sahara… Partout semble régner la peur et l’instabilité. Une instabilité d’autant plus inquiétante qu’elle paraît vouée à se propager jusque sur notre sol, puisque certains s’obstinent à vouloir importer ici les crises de là-bas.
Vu du Sud, le spectacle n’est guère plus optimiste. L’espace européen semble, de là-bas, se résumer à des crispations de plus en plus violentes, des peurs obsidionales et une dangereuse focalisation sur un passé désormais mythifié. Les populations doutent de la capacité de l’Europe à renouer avec une croissance durable et à surmonter les défis du surendettement, du chômage endémique et des obsessions identitaires.
Que nous le voulions ou non, nous sommes pourtant voisins, cousins et destinés à vivre ensemble. Car la région euro-méditerranéenne présente des opportunités majeures. Le besoin de main d’œuvre est au Nord et les ressources en main d’œuvre au Sud, le besoin énergétique est au Nord et les ressources en énergie au Sud, les technologies sont au Nord et le besoin de technologie au Sud, l’excédent agricole au Nord et le besoin alimentaire au Sud…
À l’ère de la mondialisation, Nord et Sud savent que la taille critique d’un marché est d’environ 800 millions à 1 milliard de personnes : ce sera la taille du marché euro-méditerranéen à horizon 2030.
Pour faire de ces atouts de vraies forces, nous devons accepter de nous tourner résolument vers la Méditerranée. Mais cela ne peut se résumer à des accords interétatiques. Pour aller plus loin dans la construction de ce destin commun, il nous faut multiplier les partenariats concrets, ceux qui rendent service aux populations et feront de la Méditerranée, pour elles, un espace de progrès et non d’inquiétude.
C’est le sens de la « Méditerranée de projets »2 voulue par le président de la République François Hollande. Ces projets sont nombreux.
Ils sont éducatifs, avec bientôt des équivalences aux formations reçues dans chacun des pays de la Méditerranée.
Ils sont démocratiques, comme le projet pour l’égalité entre les femmes et les hommes qui sera prochainement présenté par la Fondation des femmes de l’Euro-Méditerranée.
Ils sont urbains, avec des nouvelles villes qui sont autant de défis dans les domaines du transport, de l’énergie, de l’eau et de l’aménagement.
Ils sont numériques, comme en témoignent de nombreux projets dans des secteurs particuliers : Alliance franco-tunisienne pour le numérique, Strateau dans le domaine de l’eau, E-Medmed dans le domaine de la santé, Système d’échanges électroniques pour le commerce et le transport de fruits et de légumes (Seetfel) dans le domaine du commerce international et Homer dans l’open data.
Ils sont enfin financiers, avec la future plateforme de financement collaborative Areas, qui contribuera à la mise en place de nouveaux outils de financement des infrastructures, ou avec l’initiative Sécurisation des investissements en Méditerranée (Ismed), dont l’objectif est d’améliorer la gestion des risques, les partenariats public-privé, l’arbitrage euro-méditerranéen et l’utilisation de la finance islamique.
Ces projets doivent être soutenus. Il en va du développement de la région, mais également tout simplement de notre avenir, car c’est par la Méditerranée aussi que nous pourrons retrouver des raisons de croire de nouveau à celui-ci, de le construire et de le regarder sans crainte.
Il y a quelques années, le politologue Pierre Rosanvallon dénonçait la « myopie » de nos démocraties, incapables de se projeter dans le long terme. À bien des égards, la Méditerranée est la victime de cette myopie qui nous empêche de voir que notre avenir se construit aussi un peu plus loin que Berlin et un peu au-delà de la prochaine échéance budgétaire…
Par Serge Telle (Délégué interministériel à la Méditerranée)- Source de l'article OrientXXI
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