Quelle qu’en soit la conséquence quant au statut du Royaume-Uni en Europe, le vote britannique du 23 juin ne peut que nous interpeller en raison des carences qu’il révèle : dévoiement des pratiques démocratiques où des politiciens incertains ont mis en jeu l’intérêt de 510 millions de citoyens pour la poursuite aléatoire de leurs projets personnels ; incurie de nos gouvernants qui, depuis plus d’un quart de siècle et dans chacun des 28 Etats membres, prennent des engagements européens sans les transcrire en réalités pour leurs peuples, ni expliquer leur utilité face aux évolutions du monde ; affaiblissement du projet européen, enfin, qui pour nombre de citoyens a cessé de porter un espoir concret.
Ces prises de conscience interviennent à un moment où la Méditerranée – le « voisinage sud de l’Europe » – est plus fracturée que jamais : la Méditerranée présente en effet la caractéristique de devenir rapidement l’épicentre des tensions ou des crises nées en dehors de son espace géographique.
Or, ces quinze dernières années, ce territoire a encaissé une série impressionnante de chocs exogènes, qu’il s’agisse de la surréaction américaine au 11 septembre 2001 ; des deux guerres d’Irak et de leurs conséquences sur le conflit entre chiites et sunnites et sur la radicalisation de populations : de la concrétisation du changement climatique et des tensions sur le monde rural qu’il a engendré ; des effets de la crise économique mondiale en Europe sur l’équilibre des pays du Sud ; de l’effondrement du Machrek, enfin, conséquence des incertaines dispositions occidentales en Irak, en Libye et en Syrie.
Plus que toute autre, la région euro-méditerranéenne peut témoigner que la mondialisation non régulée par une gouvernance mondiale impuissante crée une conflictualité généralisée. Elle a donc vu revenir en force une série de facteurs régressifs par rapport aux progrès enregistrés sous la décennie des Accords de Barcelone (1996-2005) : le retour quasigénéral des logiques d’ordre dans les pays arabes malgré le mouvement démocratique déclenché fin 2010 par le courage du peuple tunisien ; la remise en selle de l’agenda sécuritaire non seulement dans les relations internationales, mais à l’intérieur même de l’Europe face à la crise des réfugiés ; le primat des relations bilatérales, au détriment de visions de long terme sur un projet régional partagé.
Dans ce contexte, l’Union européenne reste un acteur majeur, notamment pour ce qui regarde l’aide au développement et à la reconstruction économique face aux crises. Mais si elle apporte l’essentiel des réseaux et des moyens financiers, elle n’a plus la main sur la résolution des crises, ni la capacité à lancer une nouvelle gouvernance régionale.
Le « Partenariat de Deauville », mis en place par le G-8 en réponse au Printemps arabe et à la crise économique de 2009, a certes été géré avec l’appui principal des institutions européennes, mais sous une dynamique politique et technique essentiellement anglosaxonne ; les résultats furent appréciables1 mais insuffisants, inégalement répartis et sans effet durable sur la fragilité des pays arabes.
Et les récentes initiatives européennes pour la relance de sa politique de voisinage Sud 2 laissent augurer des résultats semblables : priorité à la gestion des flux migratoires, importance des financements remboursables catalysant l’investissement privé, complexité des mécanismes d’aide plus facilement accessibles aux plus développés des pays partenaires.
En politique étrangère, les 28 Etats de l‘Union ont reproduit les mêmes erreurs qu’en matière d’intégration et de coordination des politiques économiques et fiscales : ils ont souscrit, par le Traité de Lisbonne, à des engagements et procédé à des créations institutionnelles, mais ils n’ont pas réalisé les mécanismes de coopération renforcée nécessaires. Faut-il rappeler les crises géorgienne, ukrainienne et syrienne ?
Pour redonner vie au projet européen, comme pour permettre à l’Union de reprendre un dialogue équilibré avec ses voisinages Sud et Est, il est urgent de dépasser deux écueils : d’une part, celui de la critique institutionnelle : le problème n’est pas là, il est dans le caractère inachevé de l’ensemble politique européen et dans le manque de loyauté des Etats à l’égard de ce qu’ils ont créé.
D’autre part, l’écueil du repli sur soi et du populisme : l’Europe ne sera pas la France en plus grand, ni le Royaume-Uni à 28. Il faut fabriquer de la convergence à partir de nos particularismes et forger une analyse du monde qui débouche sur un projet commun partagé. Comme la plupart de ses Etats membres qui n’ont pas voulu s’adapter à temps à la mondialisation, l’Union européenne n’a pas su anticiper la remontée en force des problématiques régaliennes sous l’effet de cette même mondialisation.
Comment assurer la protection du territoire, des personnes et des biens à l’échelle du continent ? Comment gérer la transition climatique et les sécurités énergétique et alimentaire dans une économie ouverte et un monde en conflictualité ? Quelle relation voulons-nous établir avec nos voisins et comment les associer à un devenir commun ? Plus que sur les questions de coopération économique, c’est sur ces interrogations que le débat de réincarnation du projet européen peut s’établir. La frontière de la France se défend-elle mieux à Vintimille qu’à Ankara ou à Lesbos ? Et pour l’assurer, faut-il des transferts de souveraineté ou des coopérations renforcées, menées loyalement par des gouvernements capables de rendre compte aux citoyens ?
Pour poser puis lancer ce débat, il convient de s’appuyer non pas sur la coopération entre les gouvernements, ni même sur l’axe franco-allemand, mais de recourir à la seule institution qui représente les peuples : le Parlement européen. Une « conférence de sages », à l’instar de celle qui, à Messine pendant l’été 1956, fit l’inventaire des objectifs et moyens de la Communauté économique européenne, pourrait établir les bases d’une réflexion à mener par les parlementaires de Strasbourg et leur confier les points-clé de la consultation des peuples d’Europe. Ainsi pourrait éclore un nouveau traité fondateur, à signer et à ratifier au niveau européen.
Par Henry Marty-Gauquié (Membre du Groupe d’analyse JFC Conseil) - Source de l'article AVITEM
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