La crise syrienne a poussé quatre millions de réfugiés à rejoindre les pays limitrophes. Ces derniers représentent aujourd’hui 20% de la population de Jordanie et 30% de celle du Liban.
Franck Bousquet est directeur des Programmes, partenariats et solutions intégrées au sein de la Région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) de la Banque mondiale.
Quel est l’impact de la crise syrienne sur les pays limitrophes, notamment le Liban et la Jordanie ?
En deux ans, ces deux pays ont subi un impact assez considérable. Aujourd’hui, les réfugiés syriens représentent 30 % de la population libanaise et 20 % de la population en Jordanie. Pour donner une idée, cela équivaut pour le Liban à accueillir la totalité de la population du Mexique pour les États-Unis en espace de deux ans. Le Liban est le pays qui a le taux de réfugié par habitant le plus important au monde.
Ce ne sont pas les seuls touchés bien sûr puisqu’il y a aussi la Turquie. Sur les 4 millions de réfugiés syrien déplacés dans ces pays, 2 millions se trouvent en Turquie, et 2 millions sont au Liban et en Jordanie.
Ces réfugiés syriens sont intégrés dans le tissu urbain de ces deux pays, 80 à 90 % vivent dans les villes et non dans des camps. Bien entendu, cela met une pression sur l’économie des pays. On estime qu’entre 2012 et 2014, la baisse du PIB au Liban a été de 2,9 % par an.
Comment ces deux pays ont-ils organisé l’accueil de ces réfugiés ?
Cette crise des réfugiés n’est pas seulement une crise humanitaire, mais aussi une crise de développement, dans la mesure où les réfugiés demeurent souvent 10 à 15 ans hors de leur pays.
Le coût d’accueil des réfugiés syriens en Jordanie est de l’ordre de 2,5 milliards de dollars par an, ce qui équivaut à 6 % du revenu national brut du pays et surtout à environ un quart de ses revenus. Au Liban, le coût de la crise syrienne a été estimé à 5,6 milliards de dollars en 2015. Ces coûts sont énormes, et ne représentent pas seulement une charge fiscale, mais sont aussi susceptibles de créer des tensions sociales.
Pour répondre à cette crise, ces pays se sont endettés. Aujourd’hui, la dette libanaise atteint 140 % du PIB et de même, la Jordanie affiche une dette de 90 % du PIB. [En 2010, elle était de 61 % en Jordanie et de 119 % au Liban].
Comment trouver des financements supplémentaires pour faire face à cette situation ?
Nous avons une initiative conjointe de la Banque mondiale et des Nations unies qui consiste à mobiliser des financements concessionnels, c’est-à-dire de prêts à taux extrêmes bas, à la fois au Liban et à la Jordanie.
Ces deux pays réalisent un bien public global en ouvrant leurs frontières. Il est donc fondamental que la communauté internationale se mobilise pour leur permettre de se financer via des prêts à taux très bas.
Huit pays ont décidé d’apporter leur soutien à cette initiative de financement, ainsi que la Commission européenne. Une première conférence des donateurs s’est tenue à Washington en avril dernier. Dès le 28 juillet, les pays donateurs vont se réunir pour voter sur les premiers projets qui pourront bénéficier de ces financements.
L’objectif de cette initiative est de mobiliser un milliard de dollars de dons sur les cinq prochaines années. Cela va permettre de mobiliser de l’ordre de 3 à 4 milliards de dollars de prêts à taux très bas.
La dette de ces pays a grimpé de manière alarmante. N’est-il pas plutôt urgent de mobiliser des dons plutôt que des prêts, qui même à taux très bas vont participer à un endettement non-soutenable ?
La première priorité reste de mobiliser des dons. Malheureusement, on sait très bien que la contrainte à ce niveau-là dépend de la capacité des pays donateurs.
Ces deux pays sont des pays à revenus intermédiaires, donc ils n’ont généralement pas accès à ces financements à taux très bas [réservés aux économies moins avancées NDRL]. Aujourd’hui, ces deux pays peuvent emprunter à des taux de l’ordre de 2 à 3 %, c’est très rare.
Il est important de rappeler qu’il ne s’agit pas seulement d’une crise humanitaire, mais aussi d’une crise de développement. Donc la Jordanie et le Liban sont conscients que lorsqu’ils financent des projets d’infrastructure, cela n’est pas seulement destiné aux réfugiés, mais cela fait partie de leur propre développement.
Quelles sont les priorités de développement dans ces pays ?
La première priorité est évidemment l’éducation. Aujourd’hui au Liban il y a plus de 200 000 enfants syriens qui n’ont pas accès à l’éducation. L’éducation est vraiment une priorité, car elle répond à l’enjeu de la génération perdue, ces enfants qui sont exilés pendant 10 ou 15 ans.
Deuxièmement c’est l’emploi, qui est les meilleurs vecteurs d’intégration sociale. Au Liban, le taux de chômage a dépassé les 20 %, c’est-à-dire qu’il a été multiplié par deux entre 2012 et 2014. Il faut donner des titres de travail aux réfugiés, mais aussi dynamiser l’économie, promouvoir les investissements étrangers, et préparer le secteur privé à la reconstruction de la Syrie, qui pourra créer des opportunités en matière d’emploi et de BTP.
Il y en a d’autres, malheureusement aucun secteur n’est épargné.
L’aide en Jordanie et au Liban est-elle conditionnée à la maitrise des flux migratoires, comme c’est de plus en plus le cas, notamment dans l’aide européenne en Turquie par exemple ?
Ces pays n’ont pas attendu les financements internationaux pour accueillir les réfugiés. Il est important de reconnaitre les efforts qui ont été faits par ces pays-là dans l’accueil des réfugiés. Il y a des besoins dans les trois pays. Mais il est clair que lorsque vous regardez le ratio de réfugiés par habitant, les chiffres sont plus importants en Jordanie et au Liban.
Par Cécile Barbière - Source de l'article Euractiv
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