Depuis deux ans, près de 130 000 réfugiés du Liban reçoivent chacun plus de 160 € par mois sur une carte bancaire. Cette aide humanitaire sans intermédiaire procure autonomie et dignité à ses bénéficiaires.
Dans le camp informel 003 d’El-Marj,
dans la Bekaa. / Sandra Conan
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Le sac rempli de bois est plus grand que le corps frêle de la jeune réfugiée syrienne. Sans broncher, elle le hisse sur son dos et se dirige dans la boue vers l’intérieur du camp 099 de Bar Elias. Le fardeau servira à chauffer 47 tentes de tôle et de bâche. D’autres enfants portent du bois ou des gallons d’eau pour cuisiner. Assaillis par le vent et le froid tombés sur la vallée de la Bekaa, 360 000 réfugiés syriens survivent ainsi.
« Dur… » Ce seul mot pointe sur les lèvres d’Atallah quand on lui demande d’évoquer les conditions de sa fuite de Homs, en 2012, et son arrivée dans ce camp insalubre, informel. Il y vit avec sa mère, sa femme et leurs cinq filles, lumineuses. Une larme résume ce que sa langue tait.
Mais dès qu’il évoque ses filles, l’ancien chauffeur de taxi coiffé d’un keffieh rouge retrouve la parole : « Elles restent traumatisées par les bombardements à Homs. Ici, nous ne pouvons même pas leur garantir le minimum. Cette année, il n’y avait même plus de place à l’école. Sans l’aide de 260 000 livres libanaises que nous recevons chaque mois, je n’aurais pas d’autre choix que d’envoyer la plus grande travailler ».
Pour les réfugiés les plus vulnérables
Atallah souffre de troubles cardiaques. Depuis deux ans, lui et sa femme Hanan sont l’un des dix ménages du camp 099 à recevoir cette somme – l’équivalent de 163,60 € – versée sur une carte bancaire par le Lebanon Cash Consortium (LCC). Sur l’ensemble du Liban, ce programme mis en œuvre par six ONG internationales – ACTED, Care International, International Rescue Committee, Vision du Monde, Save the Children et Solidarités International – concerne 18 496 familles de réfugiés particulièrement vulnérables.
Assis devant le poêle, Atallah fait le décompte : « 100 000 livres pour la nourriture, 50 000 pour l’électricité, autant pour les médicaments de ma mère, et 20 000 pour le téléphone. Le reste est pour les besoins des enfants ou pour soigner les rhumes en hiver. Et de temps en temps, on s’offre un bon poulet », énumère-t-il, l’œil rieur.
Restent toutefois les 500 dollars (467 €) annuels de loyer requis, qui obligent la famille à s’endetter, comme 90 % des réfugiés au Liban, selon l’agence de l’ONU pour les réfugiés (UNHCR).
Des effets sur l’économie locale
« Cet argent ne permet pas aux réfugiés de sortir de la vulnérabilité, mais évite qu’ils y sombrent encore plus. L’objectif est avant tout de leur redonner de la dignité », explique Fabrice Martin, coordinateur régional de l’agence humanitaire de la Commission européenne (ECHO), qui cofinance le programme avec l’agence britannique UK Aid.
Son ambition entend aussi démontrer que l’aide sous forme d’argent versé est plus efficace et moins coûteuse que la distribution en nature. Selon le chercheur américain Daniel Masterson, elle permet de réduire efficacement la pauvreté et réduit les dépenses de logistique de l’aide traditionnelle.
Mieux, l’économie locale en sort gagnante : « Chaque dollar d’assistance en espèce dépensé par une famille bénéficiaire génère 2,13 dollars de PIB pour l’économie libanaise », écrit-il dans une étude qui balaie la peur que cet argent soit détourné pour des dépenses susceptibles de déstabiliser le pays, comme la drogue ou les armes.
Un espoir pour les enfants
Turkia el-Abdallah, elle aussi, a fui sa maison de Homs avant qu’elle soit bombardée. Dans la précipitation, elle est tombée et s’est fracturé la jambe. Incapable d’aller tirer l’argent elle-même, elle confie sa carte bancaire à un gamin de confiance du camp où vivent plus de mille Syriens. Assise à côté de son mari aveugle de 85 ans dans l’une des tentes du camp informel 003 d’El-Marj, elle détaille : « Je l’utilise pour la nourriture et pour mes médicaments et ceux de mon mari ».
« Sans cet argent, je tomberais dans la déchéance », poursuit-elle. Même chose pour ses « voisins », Sobhi, 39 ans et Hind, 35 ans. Pour eux, les 260 000 livres mensuelles représentent un espoir d’avenir pour leurs trois enfants. Chaque mois, le couple envoie la majorité de la somme à un avocat en Syrie dans l’espoir qu’un jour, ils puissent quitter le Liban. « N’importe où, dit Sobhi, pourvu qu’ils aient accès à l’éducation. »
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71 % des réfugiés syriens au Liban sous le seuil de pauvreté
Au Liban, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) recense plus d’un million de réfugiés syriens, pour une population libanaise de 4,5 millions d’habitants. 71 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté, selon l’agence onusienne.
Alors que le Liban n’a pas signé la convention de Genève relative au statut des réfugiés, la majorité de ces Syriens croulent sous les dettes. Pour les rembourser, ils alimentent le marché du travail informel dès le plus jeune âge, et deviennent les victimes de trafics inhumains.
Par Emmanuel Haddad (au Liban) - Source de l'article La Croix
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