Les Etats Maghrébins commémorent, dans quelques jours, le 18è anniversaire de l’UMA née du Traité de Marrakech adopté par le Sommet Maghrébin du 17 février 1989, huit mois après le Sommet de Zeralda en Algérie ( juin 1988 ).
Où en est la situation de la région après 18 ans de «règne» de l’UMA? L’Union qui a réussi -tant bien que mal- à parfaire le cadre juridique de l’Action Maghrébine Commune et la mise en place de ses institutions, a connu une tendance à la stagnation après les premières années d’euphorie politique. Après une dizaine d’années d’immobilisme jusqu’à la léthargie, la question se pose désormais de savoir si elle n’est pas moribonde de son immobilisme? Les récentes déclarations de Sa Majesté le Roi Mohamed VI du Maroc au Sommet de l’Union Africaine de fin janvier 2017, ont mis à nu ce constat malheureux. Que faire alors? Il faut agir pour sauver l’UMA afin de ne pas «trahir l’Idéal Maghrébin».
L’année dernière, à la même occasion, j’avais publié sur les colonnes de «Leaders-Arabe» un article sous le titre: «L’UMA peut-elle se relever ( de sa léthargie )?».
J’étais quelque-peu critique, inquiet et non sans amertume sur la situation politique, sécuritaire, économique et sociale de la Région Maghrébine ou Nord-Africaine baignant toujours dans le sous-développement et vivant sous la menace du fléau terroriste,alors qu’elle avait balisé sa feuille de route pour un avenir commun prometteur de solidarité et de prospérité pour les peuples maghrébins dans le cadre d’une «union sacrée» baptisée «UMA» par le Sommet de Marrakech. J’avais lancé un appel aux Dirigeants Maghrébins afin de prendre les initiatives utiles en vue de relancer l’action maghrébine commune etfaire relever l’UMA de sa léthargie. En vain.
Cette année je ne comptais pas écrire sur le sujet faute d’évolutions qui méritaient attention et de peur de tomber dans des redondances inutiles pour le lecteur. Toutefois, le contexte a subitement évolué suite au dernier discours du Roi MohamedVI à l’occasion de la réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine. L’évènement est évidemment de taille autant pour le Royaume Chérifien que pour le Continent Africain.
Félicitations à nos frères Marocains pour cette prouesse politique et diplomatique en Afrique après 33 ans d’absence de l’organisation panafricaine. Sauf que l’évènement a été quelque peu «grisaillé» par ce «coup de semonce» tiré sur L’UMA qui a frôlé l’explosion. C’est dans ce contexte que je me suis déterminé à m’exprimer à cette occasion en usant de mon droit à la libre expression en tant que citoyen Tunisien, revendiquant en même temps la «citoyenneté maghrébine», une des finalités ultimes de la construction de l’Union Maghrébine (Le Maghreb des Peuples). J’avertis, tout de suite, que je n’ai nullement l’intention d’interpréter négativement les propos de Sa Majesté ; j’aurais plutôt tendance à positiver dans le sens de l’intérêt de l’UMA.
Le Nouveau Contexte Politique
S.M. le Roi a créé l’évènement à l’Union Africaine, mais aussi à l’Union Maghrébine créée à Marrakech et dont le siège est à Rabat. Au sein de l’UA c’est la réadmission du Maroc qui y siègera désormais à côté de la RASD (!).Nécessité politique oblige, pragmatisme ou maturité diplomatique pour couper avec la politique de «la chaise vide» qui s’est avérée inappropriée; le tout à la fois semble-t-il; en tout cas c’est l’intérêt national suprême du Maroc qui aura prévalu. Au niveau de l’UMA, l’évènement est tombé comme un «coup de grâce» pour l’Union, selon certains observateurs. Pour relativiser et positiver je parlerais volontiers de «coup de semonce» afin de ne pas perdre espoir dans l’avenir.
Considérant que l’UMA devait puiser sa force dans «l’intégration de sa région maghrébine», le Roi a martelé: «Or, force est de constater que la flamme de l’UMA s’est éteinte, parce que la foi dans un intérêt commun a disparu», poursuivant sévèrement que «l’élan mobilisateur de l’idéal maghrébin, promu par les générations pionnières des années 1950, se trouve trahi» et constatant «avec regret que l’UMA est la région la moins intégrée du continent africain, sinon de toute la planète; alors que le commerce intra-régional s’élève à 10% entre les pays de la CEDEAO et à 19% entre les pays de la SADEC, il stagne à moins de 3% entre les pays du Maghreb», a-t-il conclu. «Le constatest sans appel», commentent les observateurs: «l’UMA se dissoudra dans son incapacité chronique».
Certes, les résultats sont négatifs à plus d’un plan. Le «non-Maghreb» ferait perdre plus de 2% de croissance économique au niveau du PIB de chaque pays, avec l’impact négatif en termes d’emplois, de revenus et d’échanges commerciaux. Force est de faire remarquer, cependant, que le bilan n’incombe pas seulement à l’institution elle-même, laquelle a été créée -tout le monde le savait- sur fond de différends et de malentendus jamais aplanis. Si l’UMA était visée parle discours Royal, le «soupçon de trahison» de l’idéal maghrébin ne semblait pas directement dirigé contre l’Institution, laquelle ne fonctionne en fait que par la volonté politique de ses Etats membres. Si elle est aujourd’hui traitée d’immobilisme ou de léthargie c’est avec la complicité de ses membres. En témoigne, en particulier, la non-tenue de son Sommet depuis 1994, soit après l’établissement des formalités de visa entre le Maroc et l’Algérie, suite à l’attentat de Marrakech d’avril 1994, suivi par la fermeture des frontières entre les deux pays. Cette situation n’était évidemment pas sans influence sur l’atmosphère générale des rapports intra-maghrébins, y compris sur le fonctionnement de l’UMA.
Le courant de changement qui souffle depuis quelques années dans la région n’a pas facilité la relance de la coopération intra-maghrébine, en dépit des échanges de visites et des accords de coopération initiés au niveau bilatéral entre les pays de la région. Le point fort des relations bilatérales entre les pays de la région tient pratiquement à la coordination sécuritaire, à la faveur de la lutte contre le terrorisme. L’exemple le plus édifiant en est celui des relations entre la Tunisie et l’Algérie. Un exemple à méditer et à élargir au niveau de la région pour venir à bout de l’extermination du fléau terroriste. L’initiativeTuniso-Algérienne de réconciliation entre les protagonistes de la crise Libyenne, à laquelle s’est ralliée l’Egypte, s’inscrirait dans ce contexte. Le Maroc, qui avait accueilli le processus des négociations de Skhirat, aurait été de la partie si le courant maghrébin passait entre toutes les capitales de la région.
L’UMA et la Question Saharienne
Il est certain que pour le Maroc la question du Sahara aura été tranchée depuis de longues années, en particulier depuis la «marche verte» sur le territoire saharien. Force est de constater, cependant, que le contentieux né de cette question reste ouvert dans les dossiers de l’ONU depuis plus de 50 ans et qu’il vient d’être relancé au sein de l’UA. Il vient de rejaillir aussi au niveau des relations avec l’UE; plus précisément il risque d’entraver l’application de l’accord entre les deux parties sur les produits agricoles, (la partie Européenne considérant que les produits provenant du Sahara ne sont pas couverts par les clauses de l’accord); et le litige est susceptible d’affecter l’accord d’association entre le Maroc et l’UE jusqu’à la crise.
Après le 28è Sommet de fin janvier 2017, le Maroc reprend évidemment son siège au sein de l’UA, mais cette fois, aux côtés de la RASDen dépit de sa non-reconnaissance par une majorité de pays membres.Ce qui laisserait entendre qu’une nouvelle «bataille» sur fond de procédures, en particulier autour de la règle des 2/3 des membres, en vue de la «suspension» éventuelle de la RASD de sa qualité de membre de l’UA. Ceci sans oublier les tensions qui monteraient entre le Maroc et les pays «adversaires» dont certains vont jusqu’à considérer que l’adhésion de nouveau à la charte de l’UA suppose que le Maroc reconnaît «de facto» tous les Etats membres, y compris la RASD. C’est le nouvel enjeu juridique, mais aussi politique, que la Commission de l’UA et son nouveau Président (Tchadien) devront maitriser en vue d’éviter un éclatement de l’Organisation.
Bien que l’UMAait été créée en plein différend au sujet du Sahara, il semble que son sort ait été toujours lié à la résolution du problème saharien. Les Dirigeants Maghrébins, réunis à Zeralda puis à Marrakech, pensaient peut-être ou laissaient entendre qu’avec le temps l’Union Maghrébine pourrait aider à trouver la solution «adéquate» au litige saharien. Bien au contraire, cette «prospective» a été démentie par les faits dont le point culminant était la fermeture des frontières entre le Maroc et l’Algérie et la «suspension» non annoncée du Sommet Maghrébin depuis 1994. En fait la question du Sahara aura fini par constituer un « obstacle » pour l’UMA plongée ainsi dans une «incapacité chronique» de concrétiser les ambitions du Traité de Marrakech sur «l’Idéal Maghrébin».
Les entretiens de 2011 du Président BéjiCaidEssebsi, alors Chef du Gouvernement Provisoire de transition, avec le Président Bouteflika et le Roi Mohamed VI, et encore moins ceux de l’ancien Président Moncef Marzouki (2012), sur la question n’avaient pas abouti à des résultats tangibles. Seuls les messages protocolaires restaient de règle entre les Chefs d’Etats Maghrébins pour évoquer, en termes courtois, la situation et les perspectives de la coopération maghrébine dans le cadre de l’UMA. Ainsi, à titre d’exemple, le Roi Mohamed VIsoulignait en 2014 que l’UMA «n’est plus un choix facultatif ou un luxe politique. Elle est devenue plutôt une revendication populaire pressante». En Février 2015, il avait renchéri en affirmant que la construction maghrébine «est devenue une nécessité économique et sociale et un impératif sécuritaire pressant (…)» et en appelant ses pairs à œuvrer pour la tenue de la 7ème session du Conseil de la présidence «en vue d’établir une feuille de route pour la prochaine étape de l’action maghrébine». Entre temps le Roi du Maroc a concentré ses efforts diplomatiques en direction de l’Afrique pour préparer la réintégration de son pays à l’UA. Et ce fût fait au cours du dernier Sommet. L’UMA aurait fait les frais de cette percéediplomatique du Maroc en Afrique pour réintégrer son siège à l’UA. Ce faisant et en acceptant de s’asseoir aux côtés des Sahraouis, le Royaume accepte-t-il pour autant de «renier ses principes et de reconnaître la RASD»? Il est très prématuré de pronostiquer. En tout cas,personnellement, je ne l’imagine pas, sauf compromis «miracle» initié par le Maroc sous le signe du pragmatisme ou du realpolitik et accepté par les Sahraouis.
Du Pragmatisme Politique pour une Solution de Compromis
Je ne prétends pas détenir les élémentsd’une telle solution; mon propos est de contribuer à la «réflexion maghrébine» à ce sujet, car je considère que toute l’élite maghrébine est aujourd’hui interpelée pour relever le défi qu’affronte l’UMA. L’interpellation serait à mon sens perceptible dans la déclaration du Roi Mohamed VI porteuse d’un message de vérité adressé, en filigrane de l’UMA, aux autres Dirigeants Maghrébins pour les «sommer» de se mobiliser pour une nouvelle étape de la construction maghrébine dans le cadre d’une nouvelle vision dépassant les clivages et les différends actuels et tendant à la réalisation de «l’Idéal Maghrébin».
Si une telleprospective se confirme, le Roi Mohamed VI saura faire encore preuve de plus de pragmatisme politique et de flexibilité diplomatique pour initier tout «compromisréaliste et consensuel» au sujet du Sahara, au besoin dans le cadre d’une perspective étalée dans le temps et garantissant la souveraineté et l’unité territoriale du Maroc à long terme. L’engagement éventuel d’un nouveau processus de règlement pacifique suppose un gel ou une suspension de la situation conflictuelle actuelle, y compris au sein de l’UA, dans un geste de bonnes intentions et d’apaisement pour créer un sentiment de confiance nécessaire à la relance des négociations. Le nouveau processus de règlement partirait des derniers points de blocage du conflit au sein de l’ONU et de l’UA pour déverrouiller la situation et avancer dans le sens du compromis souhaitable.
L’exemple le plus édifiant à méditer, éventuellement dans ce contexte, est offert par le pragmatisme Chinois adopté pour garantirla «réunification pacifique» du pays en s’assurant du retour de Hongkong et de Macao à la souveraineté Chinoise dans le cadre de la politique de gouvernance «Un Etat, deux systèmes». La même démarche est maintenue pour la réintégration de Taiwan et la Chine ne semble pas pressée pour y parvenir. Inutile de s’y attarder car l’approche est désormais réputée comme pouvant servir dans le règlement du sort des territoires hérités de la colonisation et plaidant leur autonomie.Avec les réserves d’usage, je dirais que le pragmatisme «à la chinoise» pourrait servir, non seulement pour le règlement de la question du Sahara, mais aussi pour le règlement du sort des territoires de Ceuta et Melila sur la côte méditerranéenne du nord du Maroc.
Les autres Dirigeants Maghrébins, adoptant le même pragmatisme, gagneraient à observer une neutralité positive pour jouer les bons offices et les facilitateurs objectifs entre le Royaume et les Sahraouis. La Tunisie, en particulier, devrait persévérer dans cette voie de neutralité positive et garder la ligne d’équilibre qu’elle a toujours observée dans les relations avec les pays Maghrébins depuis l’époque de Bourguiba. Dans ce contexte, la haute diplomatie Tunisienne serait bien placée de prendre l’initiative de convoquer un Sommet Extraordinaire de l’UMA pour traiter de la prospective de la situation géopolitique au Maghreb eu égard aux récents développements et adopter une feuille de route pour la nouvelle étape de la construction Maghrébine dans le cadre d’une approche consensuelle. Ce faisant, la Tunisie assume un devoir à l’égard du Maghreb en application de l’article 5 de sa Constitution, en vertu duquel elle ne laissera pas tomber l’UMA. Cela suppose, évidemment, que tous les Dirigeants Maghrébins acceptent de s’asseoir autour de la même table et de discuter de toutes les questions d’intérêt dans la région, dont les perspectives de règlement du conflit du Sahara, la réactivation de l’UMA, la relance de la coopération maghrébine, mais aussi la coordination sécuritaire dans le contexte de la lutte contre l’extrémisme et le terrorisme avec ses ramifications.Le Maroc, promoteur du processus de Tanger (1958) qui a posé le premier jalon de l’Idéal Maghrébin, bien avant que tous les pays de la région recouvrent leur indépendance, hôte du Sommet fondateur de l’UMA et accueillant son siège, en sortira «pacifiquement réunifié». L’UMA sera consolidée, le processus Maghrébin gagnera en intégration, les peuples de la région gagneront en paix, en sécurité et en prospérité.
La prochaine commémoration de la création de l’UMA offrira une opportunité aux Dirigeants Maghrébins pour apprécier les défis réels auxquels est confrontée la région. La teneur des messages protocolaires qui seront échangés entre les Chefs d’Etats nous édifiera sur la prospective géopolitique de la région. En attendant, la seule certitude est que nos peuples n’auront d’autres choix que de déterminer nos classes dirigeantes à mettre de côté nos différends et nos clivages pour nous unir et aller de l’avant dans la voie de la réalisation de l’Idéal Maghrébin, héritage commun laissé par les générations maghrébines précédentes. Ce n’est que dans cette perspective que nous pourrions mettre nos pays à l’abri des dangers de toutes sortes qui nous menacent, jusque dans notre vie quotidienne, dans un monde « mondialisé» où sévit encore la force, l’hégémonie, l’exclusion, l’injustice, l’insécurité, le crime et le terrorisme. Que la sagesse, le bon sens et l’esprit de solidarité guident nos Dirigeants à adopter les initiatives communesadéquates de nature à remettre le Train Trans-Maghrébin sur les rails dans l’intérêt bien compris de tous les peuples de la région. Ils n’ont pas le droit de nous décevoir et, encore moins, de «trahir» l’Idéal Maghrébin.
Par Salah Hamdi -Source de l'article Leaders
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