France-Algérie : « Coopérer selon un nouveau mode de pensée et d'action » (J.-L. Levet, 2/3)

Près de 5 000 de fonctionnaires algériens seront formés aux métiers du génie urbain à l'université de Tlemcen (ouest de l'Algérie), qui accueillera l'établissement créé en coopération avec l'École des ingénieurs de la Ville de Paris (EIVP) , principal établissement français d'ingénierie urbaine.
Près de 5 000 de fonctionnaires algériens seront formés aux métiers du génie urbain à l'université de Tlemcen
(ouest de l'Algérie), qui accueillera l'établissement créé en coopération avec l'École des ingénieurs de
la Ville de Paris (EIVP) , principal établissement français d'ingénierie urbaine. (Crédits : Alfred Mignot, 2010)
Dans la première partie de l'entretien avec Jean-Louis Levet, que nous avons publiée samedi 4 février, le Haut Responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne précisait notamment les paramètres constitutifs des cas d'exemplarité de la coopération franco-algérienne

Dans ce deuxième volet (2/3), il nous en livre des exemples, puis évoque la coopération par pôles d'excellence d'entreprises, et via le réseau des villes jumelées.

La Tribune - Comment se construit le processus de coopération ?

Jean-Louis Levet - Concernant la priorité à la formation, il convient de chercher à mobiliser nos opérateurs un peu plus dans cette démarche consistant à passer d'un mode commercial à un mode coopératif, et à mieux prendre en compte les besoins et les attentes des Algériens. L'Algérie n'est pas seulement un marché, elle a vocation à devenir un pays émergent avec, à terme, une économie diversifiée. Il nous faut donc dépasser la relation obsolète de pays industrialisé à pays en voie de développement.

Pour la priorité de la formation professionnelle, nous avons une demi-douzaine de projets en cours. Il a fallu d'abord les identifier, comprendre les besoins et les attentes, notamment du ministère de l'Industrie, qui souhaite créer plusieurs écoles. Ensuite il a fallu mobiliser, élaborer les projets, identifier les opérateurs français susceptibles d'être intéressés, faire que les uns et les autres se rencontrent, finaliser les projets ensemble, aboutir à des protocoles d'accord, les faire signer lors du Comité mixte économique franco-algérien (COMEFA) ou/et du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français (CIHN), et enfin faire en sorte qu'ils se mettent en œuvre. Vous voyez, c'est un travail de persévérance, sur le fond, et d'apprentissage d'un travail nécessairement collectif. 

Quels cas de coopération exemplaire pouvez-vous citer ?

Il y a en plusieurs. En matière de formation qualifiante, le ministère algérien de l'Industrie et des mines (MIM) souhaitait créer quatre écoles : une pour les métiers de l'industrie, une d'économie industrielle appliquée, une dédiée au management industriel - surtout pour former les cadres supérieurs, notamment du secteur public -, et un institut de la logistique, car c'est un enjeu important pour l'Algérie.

Pour ces quatre projets d'écoles que nous avons identifiés en juillet 2013, deux mois après ma prise de fonction, j'ai mis en face quatre opérateurs français... qu'il a fallu sensibiliser et convaincre - l'Algérie, ce n'est pas toujours simple dans l'imaginaire collectif français !

Nous avons pu ainsi intéresser Mines Paris Tech pour le projet d'école des métiers de l'industrie ; l'École d'économie de Toulouse, honorée par le Prix Nobel attribué à son président Jean Tirole, en 2014, s'impliquera quant à elle dans la création de l'école d'économie industrielle appliquée ; SKEMA Business School, qui est une de nos grandes écoles sur les questions gestion des connaissances (knowledge management), s'engagera dans une école pour le management industriel ; et puis l'Avitem, l'Agence des villes et territoires méditerranéens durables localisée à Marseille, se mobilise pour contribuer à créer un Institut national de la logistique.

Les quatre protocoles d'accord ont été signés il y a deux ans. Ensuite, nous avons cerné ensemble le type d'ingénierie pédagogique, afin de faire en sorte que ces quatre projets d'écoles soient conçus ensemble, dans un même processus. Donc, c'est un comité de pilotage léger qui relie le ministère algérien de l'Industrie aux entreprises publiques et privées qui expriment leurs besoins, et aux quatre écoles françaises.

Dans une première étape, nous avons réuni à Paris en juin 2015 les responsables des établissements français et une délégation du MIM algérien en juin 2015, puis le MIM a réuni le comité de pilotage à nouveau en février 2016. Depuis, le ministère de l'Industrie, conscient qu'il ne pourrait pas gérer ces écoles efficacement en direct, a créé un groupement économique chargé de gérer les relations contractuelles avec les opérateurs français. Voilà donc où nous en sommes aujourd'hui. Mais il reste encore beaucoup à faire, il est indispensable de poursuivre ce travail collectif avec des responsabilités clairement assumées de part et d'autre, sans lequel les projets ne se feront pas.

Vous affirmez volontiers que cette coopération génère un mode de pensée tout à fait nouveau du côté des institutions algériennes...

Plus exactement, passer d'un mode de relation entre les deux pays fondé sur le commerce (import/export) à un mode de relation coopératif nécessite un nouveau mode de pensée tant du côté français que du côté algérien - inscrire nos actions dans la durée - et un nouveau mode d'action fondé sur des projets coopératifs, prenant en compte tous les aspects de sa réalisation, la définition d' un plan d'action et une évaluation permanente de son processus de mise en œuvre. En matière de projets de coproduction, nous avons maintenant quelques beaux exemples entre PMI/ETI françaises et algériennes, à travers la création de joint-ventures selon la règle du 49/51* dans des domaines très différents, comme l'agroalimentaire, la mécanique, la petite construction navale, etc.

Et votre projet de centres d'excellence en entreprise ?

C'est toujours à la demande de nos amis algériens que nous travaillons à élaborer ce que l'on appelle des centres d'excellence en entreprise.

Le concept a été mis au point par le ministère français de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (MESR). Il consiste à aider nos entreprises françaises, quand elles s'implantent à l'international, en mettant à leur disposition un professeur "pratique" qui va animer la création d'un centre d'excellence destiné à former des salariés, des jeunes, sur les équipements de l'opérateur français. C'est lui qui, dans le pays d'accueil de l'entreprise, met en place un centre d'excellence de formation. L'opérateur français fournit ses propres équipements au centre, comme éléments gratuits pour démonstration, et forme ainsi ses salariés et ses futurs sous-traitants. C'est donc vraiment intéressant pour le pays d'accueil et pour l'entreprise française qui ainsi progressivement se fait connaître et reconnaître.

Nous avons lancé, il y a trois mois à Alger, avec le MESR un premier centre d'excellence dans l'efficience énergétique, avec le groupe français Schneider Electric et bien sûr le ministère algérien de la Formation professionnelle. Ce centre commence à rayonner vers des sites algériens classiques de formation professionnelle. L'objectif est de capitaliser sur cette expérience et en tirer des enseignements utiles pour la développer dans d'autres secteurs d'activité avec d'autres opérateurs français qui le souhaiteraient.

Vous avancez aussi via les villes jumelées...

Oui, il est important de mobiliser aussi les territoires via les collectivités territoriales dont les responsables connaissant très bien leurs tissus économiques respectifs. Aussi, je me suis rapproché de l'Association Cités Unies France (CUF) qui réunit les responsables en charge de l'international au sein des collectivités territoriales, ainsi que de Georges Morin, qui anime depuis de nombreuses années le groupe pays France-Algérie rassemblant les villes jumelées des deux pays. Nous les avons réunies, d'abord les villes françaises, dès 2014... et j'ai réalisé que si la culture notamment les occupe beaucoup, la dimension entrepreneuriale est inégalement présente dans leur pratique.

Après quoi, en octobre 2015, nous avons organisé ensemble deux journées de rencontres entre les agglomérations françaises et une délégation algérienne de grande qualité dans laquelle on trouvait des préfets, des maires, ainsi que le ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales.

Parmi les personnalités, il y avait notamment Régis Vallée, directeur de l'EIVP (École des ingénieurs de la Ville de Paris) qui est le principal établissement français d'ingénierie urbaine, et qui avait bien voulu répondre à notre invitation d'animer une table ronde sur la question de la ville durable et des éco-industries.

Ainsi donc, en créant les conditions de cette rencontre entre le directeur de l'EIVP et le directeur des collectivités territoriales du ministre de l'Intérieur algérien, celui-ci a exprimé le besoin de former les fonctionnaires concernés en génie urbain... On a démarré comme ça, Régis Vallée ayant considéré que l'Algérie pouvait être un facteur intéressant pour l'internationalisation de l'EIVP. Il a conduit une mission en mai dernier à Tlemcen, où le ministère de l'Intérieur veut créer cette école, car la ville bénéficie déjà d'un pôle universitaire très important dont le recteur Mohamed Djafour est très engagé dans son développement ainsi que le Wali..

Nous avons travaillé ensemble et cela a débouché sur la signature d'un mémorendum d'entente à la mi-novembre 2016 dans les locaux de l'EIVP, à l'occasion du déplacement du ministre algérien de l'Intérieur. Et avec l'aide décisive de notre ambassade à Alger. Voilà donc un exemple concret dans le domaine de la ville durable, avec près de 5 000 de fonctionnaires à former. Voilà un beau projet, ambitieux, qui s'inscrit nécessairement dans la durée et doit constituer un bel exemple de coopération entre nos deux pays.

Par Alfred Mignot - Source de l'article La Tribune
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* La règle de partenariat (dite 49-51) est une loi algérienne stipulant que l'investisseur étranger ne peut détenir plus de 49 % des actions d'une entreprise algérienne. En cas de création, il lui est donc fait obligation de s'associer à un ou plusieurs partenaires algériens, lesquels détiendront la majorité, avec 51 % des actions.

En vigueur depuis 2010, cette loi est toutefois adoucie, notamment par les pactes d'actionnaires qui peuvent attribuer des droits de vote supplémentaires à l'actionnaire étranger minoritaire.