Bachar el-Assad : «La France doit jouer un rôle direct pour la paix au Proche-Orient»

Attendu samedi en France pour participer, dimanche, au sommet euro-méditerranéen, le président syrien a donné lundi une grande interview au «Figaro».

LE FIGARO. - Vous allez participer, dimanche, à Paris, au sommet de l'Union pour la Méditerranée, et vous êtes invité par le président Sarkozy au défilé du 14 juillet. Ce voyage marque-t-il le retour de la Syrie sur la scène internationale ?
Bachar EL-ASSAD. - La France a une position internationale importante. Cela nous ouvre donc une grande porte sur la scène internationale. Ma visite est importante pour plusieurs raisons. D'abord, parce que nous assistons à une rupture entre la politique actuelle de la France et la politique du passé. Cette nouvelle politique est plus réaliste et correspond davantage aux intérêts de nos deux pays. C'est une base so­lide pour renouer une relation saine. Ensuite, le moment de ma visite est impor­tante, car elle coïncide avec la relance de négociations avec Israël et la fin de la crise libanaise dans laquelle la Syrie s'est impliquée. C'est enfin une occasion pour l'Europe, et notamment pour la France, de jouer un rôle dans la résolution de plusieurs questions concernant notre région. Cette visite est pour moi une visite historique : une ouverture vers la France et vers l'Europe.

Vous avez engagé des relations indirectes avec Israël, en Turquie. Le moment est-il venu de passer à des négociations directes ?

En ce moment, les deux parties testent leurs intentions. Le processus de paix était paralysé depuis huit ans, des agressions ont eu lieu contre la Syrie et le Liban. Dans ces circonstances, il est tout à fait naturel qu'il y ait un manque de confiance. Il faut maintenant trouver une base commune pour entamer des négociations directes ; dès que cette base sera prête, nous pourrons engager ces négociations directes avec Israël. Le plus important dans des négociations directes, c'est leur parrainage. Bien sûr, le rôle des États-Unis est essentiel, mais celui de l'Europe est complémentaire. Et quand nous parlons du rôle politique de l'Europe, la France en est à l'avant-garde.
S'agissant de futures négociations directes, le nouveau président américain pourra-t-il faire avancer les choses ?
Franchement, nous ne pensons pas que l'Administration américaine actuelle soit capable de faire la paix. Elle n'en a ni la volonté, ni la vision, et il ne lui reste plus que quelques mois. Quand nous aurons établi une base commune à l'issue des négociations indirectes avec Israël, peut-être pourrons-nous donner des atouts à la nouvelle Administration pour qu'elle s'implique davantage. Nous misons sur le prochain président américain et son Administration. C'est, nous l'espérons, plutôt un avantage d'avoir un changement de président aux États-Unis.

La France pourrait-elle jouer un rôle actif dans le cadre de négociations directes entre la Syrie et Israël ?

J'en saurai davantage quand j'aurai rencontré le président Sarkozy. Mon impression est qu'il est enthousiaste à l'égard de ces négociations et pour que la France y joue un rôle direct. S'il me le confirme, je l'inviterai aussitôt à soutenir directement ce processus de paix. Bien sûr, je parle ici de négociations directes. La France fait preuve actuellement d'un dynamisme politique très élevé pour pousser en avant le processus de paix.

S'agissant du Liban, après l'accord signé à Doha, allez-vous reconnaître l'indépendance du Liban et procéder à un échange d'ambassadeur ?

Nous avons toujours reconnu l'indépendance du Liban. Nous n'avons pas d'ambassade dans plus de la moitié des pays du monde. Cela ne signifie pas pour autant que la Syrie ne reconnaît pas la souveraineté et l'indépendance de ces pays. En ce qui concerne l'ouverture des deux ambassades en Syrie et au Liban, je l'ai proposée en 2005 aux responsables libanais de l'époque. L'ouverture d'une ambassade nécessite de bonnes relations entre les deux pays. Ces trois dernières années, les relations entre les deux gouvernements n'étaient pas si bonnes. Nous attendons la formation d'un gouvernement d'unité nationale au Liban pour discuter cette question. Mais il n'y aura pas de pro­blème pour ouvrir les deux ambassades. J'ai annoncé à plusieurs reprises cette volonté.

Profiterez-vous de votre visite à Paris pour rencontrer le nouveau président libanais ?

Je connais le président Souleiman depuis une dizaine d'années. Nous nous sommes rencontrés à plusieurs reprises en Syrie et au Liban. Nos relations sont bonnes. Nous l'avons soutenu pour qu'il devienne président et nous le soutenons dans son action politique. Les préparatifs sont en cours pour organiser cette réunion qui aura lieu à Paris.

Au Liban, le Hezbollah est un parti politique qui joue un rôle important. Mais c'est aussi un groupe armé. La Syrie est-elle prête à aider à son désarmement ?

Dans votre question, on ne voit qu'une partie du tableau. Si vous parlez des armes et de la guerre, il faut évoquer les violations perpétrées quotidiennement par Israël à la frontière du Liban-Sud, l'occupation par Israël d'une partie du territoire libanais, les agressions commises pendant les dernières décennies. On ne peut pas parler d'un groupe armé, le Hezbollah ou un autre, sans regarder l'ensemble du tableau. Quelle est la solution ? Politiquement parlant, on ne peut pas dire : «On aime çaet on n'aime pas ça» ; il faut se demander comment résoudre le problème. On a essayé toutes les solutions et on a échoué. Il existe une seule voie et une seule solution : c'est la paix. C'est pourquoi nous parlons toujours de la paix et nous œuvrons toujours pour la paix. Quand il y aura une paix véritable au Liban, en Syrie et dans les Territoires palestiniens, il n'y aura plus de raison de porter les armes.

Le Conseil de sécurité de l'ONU a souhaité la création d'un tribunal international pour rechercher et juger ceux qui ont commandé et organisé l'attentat contre l'ancien premier ministre libanais, Rafic Hariri. Quelle est aujourd'hui la position de la Syrie à propos de ce tribunal international ?

Nous avons soutenu les enquêtes depuis le début pour dévoiler les acteurs de cet assassinat. Nous avons coopéré avec les commissions d'enquête et nous continuons à le faire. À plusieurs reprises, les rapports des commissions spécialisées ont relevé la bonne coopération de la Syrie. C'est pourquoi on ne peut pas dire qu'il y a un problème concernant la constitution de ce tribunal international.

La Syrie, qui a signé le traité de non-prolifération nucléaire, s'est engagée à ne pas recourir au nucléaire militaire. Attendez-vous de l'Europe, et notamment de la France, qu'elles vous aident à développer le nucléaire civil ?

Bien sûr, nous sommes vivement engagés par la signature du traité de non-prolifération des armes de destruction massive. En 2003, la Syrie, qui était membre du Conseil de sécurité, a proposé de libérer la région du Proche-Orient de toute arme de destruction massive. Ce document existe toujours au Conseil de sécurité. Ce sont les Américains qui y ont mis leur veto. Jusqu'à maintenant, nous n'avons pas évoqué la question du nuclé­aire civil avec les Européens, mais avec la flambée des prix du pétrole, l'avenir de l'énergie va dans ce sens.

N'est-il pas paradoxal que la Syrie, pays résolument laïc, ait développé depuis longtemps des relations étroites avec l'Iran ?

Les relations entre les différents pays ne se nouent pas sur des ressemblances mais sur des intérêts. L'Iran est un pays important dans la région. Quand on parle de problème et de solution, l'Iran est indispensable. Quand on parle de stabilité et de paix dans la région, l'Iran occupe nécessairement une place importante. Qui plus est, l'Iran soutient la Syrie dans ses différentes causes. Il est tout à fait naturel que nous ayons des relations étroites avec ce pays. Quand une bonne partie des pays occidentaux ont soutenu Saddam Hussein dans sa guerre contre l'Iran, la Syrie, elle, a pris position contre lui. C'est aussi une des raisons pour lesquelles nous entretenons de bonnes relations avec l'Iran.

L'ancien ministre des Affaires étrangères de l'Iran, M.Velayati, juge possible un compromis sur l'acquisition du nucléaire militaire par l'Iran. Partagez-vous ce point de vue, qui privilégie une issue diplomatique à la crise ?

La solution doit être politique et non pas militaire. Toute solution militaire serait payée chèrement par l'ensemble du monde, et pas seulement par les pays de la région. Cela veut dire que l'ensemble des pays doivent être engagés par toutes les lois qui gèrent la question du nucléaire civil. Les Iraniens nous disent «Pourquoi veulent-ils nous priver d'un droit tout à fait légitime et réel pour l'ensemble des pays du monde ?» Si certains pays pensent que l'Iran développe du nucléaire à des fins militaires, il y a des mécanismes de contrôle pour le vérifier. Notre conviction est que l'Iran n'a pas de projet nucléaire militaire. Nous sommes contre l'acquisition de l'arme nucléaire, que ce soit par l'Iran ou par tout autre pays de la région, en particulier Israël. Il n'est pas acceptable qu'Israël possède deux cents têtes nucléaires.

En France et dans beaucoup de pays, il y a une forte inquiétude sur le respect des droits de l'homme en Syrie. Êtes-vous prêt à prendre une initiative positive dans ce domaine ?

Nous ne disons pas que nous sommes un pays démocratique par excellence. Nous disons que nous empruntons ce chemin et c'est un long chemin qui peut durer une ou plusieurs années. Il dépend de la culture, des traditions, des conjonctures politiques et économiques et d'autres conditions régionales et internationales. Nous avons effectué plusieurs pas dans ce sens. Bien évidemment, la loi a besoin d'être amendée et réformée, c'est ce que nous faisons actuellement.

La loi sur les partis politiques dont on parle depuis trois ans pourrait-elle déboucher bientôt ?

Nous avons annoncé cette loi il y a trois ans, mais depuis la Syrie a été confrontée à de nombreux dangers, des guerres, du terrorisme, l'isolement et les difficultés économiques. De ce fait, nous sommes en retard, mais nous continuons.

Le fait de renforcer vos relations avec la France et l'Europe est-il de nature à vous permettre d'avancer en termes d'ouverture politique ?

Oui, d'une façon indirecte, mais pas directe. Car d'une façon directe, ce serait une ingérence dans nos affaires intérieures, et ce serait inacceptable. Mais d'une façon indirecte, quand on aide à établir la paix, à soutenir le développement, la culture et le dia­logue, tout cela pousse en avant le processus d'ouverture en Syrie. C'est le rôle que nous demandons à l'Europe de jouer, et non pas de nous donner des leçons de morale.
Propos recueillis à Damas par Étienne Mougeotte - Le Figaro.fr - le 8 juillet 2008

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