Denis MacShane, l'ancien ministre britannique des Affaires européennes de Tony Blair, aujourd'hui député travailliste, incite la France à convaincre les autres membres de l'Union européenne d'accorder une plus grande attention à la rive sud de la Méditerranée.
Faut-il désormais réduire la géopolitique à des acronymes ? On connaissait déjà l'Otan, l'UE, l'OMC. Plus récemment, les habitués de Davos ont parlé de la montée en puissance des Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine).
L'Europe peut aussi choisir de diriger son attention vers les MAT le Maroc, l'Algérie et la Tunisie , les trois pays du Maghreb qui en sont les plus proches géographiquement, mais aussi du fait de leur langue et de leurs intérêts communs. Il y a deux types de nonistes en Europe. Ceux qui, comme les Irlandais aujourd'hui ou les Français hier, ont dit non à l'Europe. Et ceux qui, se désignant comme de bons Européens, opposent un non à toute idée novatrice concernant l'Europe. Lorsque le président Sarkozy a proposé la création d'une Union méditerranéenne, les sages de Bruxelles et de Berlin n'ont pas manqué de rechercher dans leur dictionnaire des raisons de dire non. Comme le notait La Rochefoucauld : « Le bon naturel qui se vante d'être si sensibleest souvent étouffé par le moindre intérêt ». Pourtant, rien ne pourrait faire plus de bien à l'Europe que de s'engager de manière constructive, intelligente et durable aux côtés des trois États MAT.
Berlin et Bruxelles ont répondu avec hostilité à l'initiative du président Sarkozy. Cependant, l'Europe a besoin de ce type de coup diplomatique pour afficher son élan, son leadership et faire oublier son suivisme et sa politique étrangère, faite du plus petit dénominateur commun susceptible d'émerger des réunions du Conseil européen.
Le processus de Barcelone fut lancé en 1995. Treize ans plus tard, ses résultats sont peu tangibles à l'exception de l'accord intervenu entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de Gibraltar. Sur des thèmes aussi fondamentaux que le Moyen-Orient, Chypre, le veto de la Grèce à l'encontre de la Macédoine ou encore l'hostilité d'États de l'Union européenne, telles que la Roumanie et l'Espagne, à l'égard du Kosovo, la politique euroméditerranéenne a produit plus de communiqués de presse que de changements concrets dans les comportements et les mentalités.
À l'inverse de ce qui se produisit avec l'entrée réussie de la Mitteleuropa dans l'Union européenne et avec le décollage de la Pologne, de la Hongrie et des États baltes, Bruxelles et les dirigeants européens n'ont porté qu'une faible attention aux MAT. Il est vrai que les trois nations du Maghreb se heurtent à des problèmes majeurs. Les difficultés que rencontre l'Algérie sont trop longues à lister.
La Tunisie se rapproche sans doute le plus, dans le monde nord-africain, du modèle d'un État qui cantonne l'islam au domaine de la foi et non du politique. Des femmes y sont ministres et la Tunisie a un revenu per capita plus élevé que celui d'États dans les Balkans comme la Serbie, l'Albanie et la Macédoine, qui revendiquent pourtant leur candidature à l'entrée dans l'UE.
Avec son nouveau roi, le Maroc a expérimenté une phase de renouveau mais, comme la Tunisie et l'Algérie, il reste incapable de rompre avec l'approche autoritaire de la politique qui ressemble à celle qui prévalait en Corée ou à Taïwan il y a 25 ans ou que connaissent certains pays d'Amérique latine aujourd'hui. Cependant, faut-il juger les pays MAT selon la même grille de lecture que celle réservée à la Suède ou à la Suisse contemporaine ?
L'Europe doit prendre pleine conscience de la pression permanente qu'exercent dans et sur ces États les forces islamistes conservatrices, réactionnaires à l'extrême, qui cherchent à détruire les droits existants et à introduire un État taliban dans lequel le fondamentalisme religieux étoufferait toute liberté.
On peut ne pas aimer l'administration Uribe en Colombie mais, mise à part l'extrême gauche, personne ne souhaiterait la voir remplacée par les assassins, les kidnappeurs et les narcotrafiquants que sont les FARC. De la même manière, si Amnesty International et Reporters sans frontières ont raison de critiquer les gouvernements au pouvoir dans les MAT, l'Europe devrait avoir l'honnêteté politique de reconnaître que l'alternative que représenterait une idéologie islamiste et djihadiste au pouvoir à Alger, Tunis ou Rabat, serait bien pire.
L'Europe serait mieux avisée de demander à l'Algérie de mieux dépenser les 100 millions de dollars de réserves de change provenant des revenus énergétiques du pays, pour développer une économie de marché plus moderne et pour recycler une partie de l'argent récolté grâce à la flambée du prix du pétrole en Europe. L'approche plus ouverte affichée par le Maroc et la Tunisie à l'égard d'Israël et leur langage plus tolérant vis-à-vis des Juifs, qui contrastent avec ceux qui sévissent au Caire et à Damas, devraient aussi recevoir des encouragements.
Enfin, la création d'une zone de libre-échange entre les pays MAT pourrait intervenir comme une ultime gratification, en lieu et place des frontières closes qui séparent l'Algérie et le Maroc et rappellent l'hostilité économique qui prévalait entre les nations européennes avant la création du marché commun. Certes, les échanges, le commerce et la création d'emplois pour les plus démunis ne permettent pas à eux seuls de résoudre les divergences politiques. Néanmoins, ils aident à alléger les tensions.
Les trois pays pourraient devenir des paradis pour le tourisme européen.
La France doit convaincre ses partenaires européens de se tourner vers les MAT. Aucun premier ministre britannique, par exemple, ni même un ministre de haut rang, ne se soucie de rendre visite aux capitales du littoral sud-ouest de la Méditerranée. Les visites politiques, les échanges économiques et la reconnaissance des contraintes que subissent les gouvernements locaux face à leur population en colère et à la menace que pose l'islamisme fondamentaliste ne vont pas suffire à rapprocher les MAT de l'Europe.
Mais la possibilité d'une coopération, d'un partenariat et d'un respect mutuel peut faire évoluer au mieux les esprits et les comportements.
La France a peut-être cherché à faire des MAT son domaine réservé. Elle a des liens uniques et forts avec l'Afrique du Nord. Nicolas Sarkozy, en proposant l'Union méditerranéenne, a cherché à inviter l'Europe entière à relever ce nouveau défi, celui d'aboutir, dans les prochaines décennies, à une européanisation soft des pays du bassin austral de la Méditerranée. Un pari risqué. Oui, mais l'autre option, celle des pays MAT qui ne connaîtraient ni le développement ni la démocratie, est pire.
Aujourd'hui, l'Europe doit faire face à la pression de l'immigration, celle des millions d'Africains qui rêvent de venir partager notre richesse. La meilleure réponse consiste à démontrer que la création de richesses et la justice sociale peuvent naître en Afrique. Et il n'y a pas de meilleur endroit pour commencer qu'avec nos voisins africains les plus proches. Nicolas Sarkozy a dû revoir à la baisse ses ambitions sur le projet d'Union méditerranéenne. Mais la France a eu raison de se montrer ambitieuse. Les pays MAT méritent aussi le soutien de Bruxelles et des 26 autres capitales européennes.
Le Figaro.fr - le 10 juillet 2008
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