Processus de Barcelone et Union pour la Méditerranée, quels scénarios d'avenir

Le processus de Barcelone, lancé en novembre 1995, définit un cadre et des projets de coopération entre les pays du pourtour méditerranéen, notamment dans le domaine de la sécurité, du développement et de la culture. Ce partenariat euro-méditerranéen présente toutefois de nombreuses limites. Le président français Nicolas Sarkozy a proposé quelques mois après son élection la création d’une « Union méditerranéenne » (UM), rebaptisée par la suite « Union pour la Méditerranée » (UPM). Inscrite dans la continuité du processus de Barcelone, l’UPM constitue une occasion de relancer l’intégration euroméditerranéenne. L’UPM doit créer les conditions politiques et institutionnelles de l’intégration régionale. Cela suppose de développer des projets à la hauteur des défis économiques, écologiques et humains existants. De là dépend le succès de l’Union pour la Méditerranée en tant que processus d’intégration régionale.
Introduction :
Peut-on définir la coopération euro-méditerranéenne comme un projet d’intégration régionale ? La question peut paraître provocatrice mais elle mérite d’être posée. Il est indéniable que le processus de Barcelone, lancé en 1995, définit un cadre et des projets de coopération entre les pays du pourtour méditerranéen, notamment dans le domaine de la sécurité, du développement et de la culture.
Pour autant, il n’était pas clair jusqu’àprésent que ces mécanismes de convergence s’accompagnent d’une volonté assumée de construire un ensemble régional intégré, notamment commercialement, et dotéd’institutions propres. L’un des moyens d’identifier une organisation régionale est en général l’existence d’une zone de libre-échange.
Or, cette zone n’existe pas dans le cas méditerranéen et l’objectif de la créer à l’horizon 2010 paraît peu réaliste. Des accords d’association ont certes été signés entre l’Union européenne et certains pays du sud et de l’est de la Méditerranée mais l’approche reste bilatérale et la libéralisation deséchanges Sud-Sud rencontre de nombreux obstacles. L’impression qui se dégage est ainsi que la coopération euro-méditerranéenne a été jusqu’ici une forme de la politique extérieure de l’Union européenne avant d’être un processus d’intégration de l’ensemble de la région.
La coopération méditerranéenne a néanmoins permis des rapprochements et la création de liens de part et d’autre de la Méditerranée.
Est-il possible de capitaliser dessus et de faire de l’Union pour la Méditerranée (UPM) un véritable projet d’intégration régionale ?
Si l’intention de mener des projets concrets et consensuels, de garantir l’équilibre Nord-Sud et de doter l’UPM d’un secrétariat permanent a été soulignée, le défi de l’intégration régionale dans le cadre de l’UPM rencontrera certains obstacles qui avaient déjà freiné le Processus de Barcelone : avec 43 Etats membres, dont certains sont en conflits, lerisque est grand que l’UPM ne se transforme en simple forum d’une efficacité limitée, et il faut par ailleurs clarifier les relations entre deux ensembles régionaux qui ne peuvent être concurrents mais qui s’entrecroisent, l’Union européenne et l’UPM.
Or il est souhaitable qu’un véritable processus d’intégration régionale soit lancé, de façon à créer les solidarités de fait et la confiance qui favoriseront le développement économique et garantiront à long terme la stabilité politique et sociale de la région. Les pays riverainsde la mer Méditerranée ne peuvent s’ignorer : les interdépendances (environnement, énergie, migrations, sécurité, commerce) sont trop fortes.
Après avoir présenté les piliers des processus d’intégration régionale et la spécificité du cas méditerranéen, la contribution qui suit examine l’héritage du Processus de Barcelone et les apports du projet de l’UPM. Elle pose ensuite la question du futur de la Méditerranée en présentant les conditions requises pour en faire un ensemble régional intégré.

1. Les piliers des processus d’intégration régionale et la spécificité du cas euroméditerranéen

1.1. Le socle commun des processus d’intégration régionale

Il existe actuellement à travers le monde plusieurs exemples d’intégration régionale :l’Union européenne (initiée par la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951, puis par la Communauté économique européenne en 1957), l’Association des Nations de l’Asie du Sud-est (ASEAN, 1967), le système d’intégration centre-américain (SICA, 1991), l’Accord de libre échange nord-américain (ALENA, 1994), la Communauté caribéenne (1973), ou encore le Mercosur (1991) et la Communauté andine (1969) qui fusionnent cette année dans l’Union des nations d’Amérique du Sud.

L’analyse de ces expériences permet d’identifier quelques traits caractéristiques des processusd’intégration régionale : - un contexte favorable à leur mise en place (pas de conflits ouverts, existence d’un dialogue politique régulier). Nombre des initiatives de régionalisation sont nées après la résolution de conflits régionaux. L’Union européenne et l’Amérique centrale en sont de bons exemples.

- un terreau culturel commun. La conscience de partager une histoire et un héritage culturel, parfois une langue et des valeurs, est un élément qui facilite l’acceptation des processus d’intégration par les opinions publiques en créant les bases minimales d’une identité régionale.

- la reconnaissance de ce que peut apporter l’intégration régionale. Larégionalisation suppose que les acteurs nationaux prennent conscience des limites de la rivalité politique et économique et des bénéfices à attendre de la création de liens commerciaux et institutionnels. Si l’Union européenne a servi de modèle dans plusieurs régions, notamment l’Amérique latine, c’est parce que l’intégration régionale s’est vue reconnaître la capacité d’assurer un espace de sécurité et de paix tout en favorisant le développement des échanges commerciaux.

- une méthode et un leadership politique. Les processus d’intégration régionalesupposent une volonté politique forte au plus haut niveau pour dépasser lestentations de repli protectionniste ou nationaliste. Leur succès dépend aussi de la capacité à s’entendre sur une méthode susceptible de favoriser la prise dedécision et sur les modalités de fonctionnement de l’organisation régionale. Le rôle de la méthode des « petits pas » adoptée par les Pères fondateurs de l’Union européenne est exemplaire à cet égard.

- la mise en place d’une zone de libre échange. Tous les exemples d’intégrationrégionale reposent sur la libéralisation des échanges, laquelle permet de créer des solidarités de fait et des intérêts communs. Les zones de libre échange, qui évoluent parfois vers des unions douanières, sont ainsi un moyen très concret de promouvoir la stabilité politique et économique. Elles permettent de créer un marché commun plus large qui favorise le développement des entreprises (au travers du jeu des économies d’échelle) et attire les investissements directs étrangers, deux éléments qui contribuent à une insertion plus aisée des économies locales dans la mondialisation.

1.2. Les spécificités du cas méditerranéen

S’il est possible de tirer les enseignements des autres expériences d’intégration régionale, il faut aussi souligner quelques spécificités du cas euro-méditerranéen. Tout d’abord, il s’agit d’un ensemble très vaste et divers.

D’après le projet existant, l’UPM devrait compter 43 pays membres dès ses débuts, ce qui est considérable. Par comparaison, l’Union européenne comptait initialement 6 membres, le Mercosur 4, l’ALENA 3, l’ASEAN 5. Même l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique), qui a désormais 21 membres, n’en comptait initialement que 12, et ses réalisations sont limitées (elle n’est pas encore parvenue à créer une zone de libre échange par exemple).

Le nombre est un handicap car il rend plus difficile l’adoption d’un consensus et plus lentes les décisions. Dans le cas du pourtour méditerranéen, les pays concernés sont en outre extrêmement divers. S’ils partagent un héritage historique et géographique commun (celui de la mer Méditerranée), leurs niveaux de développement, leurs régimes politiques, et leurs modes de vie sont parfois très différents. A cela s’ajoute l’existence de conflits ouverts, par exemple entre Israël et la Palestine, entre la Turquie et Chypre ou encore au Liban. Non seulement la prise de décision est rendue plus difficile par sescaractéristiques, mais le processus d’intégration de la Méditerranée part de loin en termes d’hétérogénéité des pays qui la composent.Par ailleurs, l’UPM se trouve dans une situation particulière en raison de l’existence de l’Union européenne.

Il faut donc définir les relations entre les deux ensembles régionaux.C’est une situation relativement rare. Celle de l’ASEAN et de l’APEC s’en rapproche mais tous les pays membres de l’ASEAN ne sont pas membres de l’APEC (cf. Birmanie et Laos). Dans le cas de l’Union des nations d’Amérique du Sud, la situation est également différente puisqu’il s’agit essentiellement de fusionner deux organisations régionales.

La difficulté propre de l’UPM est de réunir dans un même ensemble l’organisation régionale la plus intégrée du monde et un ensemble de pays qui ont peu de relations entre eux par comparaison à l’importance de leurs relations avec l’Union européenne. Le succès de l’Union européenne stimule le désir d’intégration des pays du pourtour méditerranéen, mais l’UE introduit aussi un déséquilibre à la fois politique et économique. L’un des défis de l’UPM est donc de réussir à faire de l’UPM plus que la simple somme des relations bilatérales des pays méditerranéens avec l’Union européenne.

2. Les limites du Processus de Barcelone et l’initiative de l’Union pour laMéditerranée

2.1. Le Processus de Barcelone et ses limites

2.1.1. Les ambitions du Processus de Barcelone

Le Processus de Barcelone, initié en novembre 1995, a créé un partenariat euroméditerranéen dont le but est de concilier le besoin de sécurité de l’Europe et les besoins de développement des pays du sud et de l’est de la Méditerranée. Il formalise ainsi les relations entre l’Union européenne et dix de ses voisins méditerranéens : l’Algérie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Turquie et l’Autorité palestinienne. La Lybie et l’Irak avaient jusqu’ici le statut d’observateurs.

Ambitieux, leprocessus de Barcelone s’est donné pour objectif de fonder un espace de stabilité et de paix respectueux des droits de l’Homme (volet politique), de développer les échanges culturels pour favoriser le dialogue et la compréhension mutuelle (volet culturel), et de promouvoir les relations économiques et financières, au travers notamment de la mise en place d’une zone de libre échange à l’horizon 2010 (volet économique).

Le Processusde Barcelone avait donc clairement une visée d’intégration régionale à ses débuts, en tout cas il aspirait à en poser certaines des bases essentielles, comme un terreau culturel commun, un dialogue politique régulier et la libéralisation des échanges commerciaux.

2.1.2. Quelques avancées non négligeables

Les réalisations du processus de Barcelone ont fait l’objet d’un bilan en 2005 à l’occasion du dixième anniversaire du partenariat3. Certaines avancées doivent être soulignées.

Tout d’abord, des accords d’association ont été signés entre l’Union européenne et chacun des autres membres. Ces accords couvrent un grand nombre de domaines de coopération et sont organisés autour des volets mentionnés précédemment. Dans le domaine économique, par exemple, ils suppriment les barrières douanières de l’Union européenne sur les produits manufacturés exportés par ses voisins méditerranéens et ils prévoient le démantèlement progressif (sur 12 ans) des tarifs douaniers appliqués aux produits manufacturés de l’Union dans ces pays.

Pour ce qui est des relations sud-sud,l’accord d’Agadir de 2004 pose les bases d’une zone de libre-échange réunissant le Maroc, la Tunisie, l’Egypte et la Jordanie. La Turquie a également signé des accords de libre-échange avec le Maroc, la Tunisie et l’Autorité palestinienne. De plus, un système de cumul de l’origine a été adopté au niveau euro-méditerranéen lors de la Conférence de Palerme en 2003. Ce système permet aux produits qui ont subi des transformations dans plusieurs pays méditerranéens de bénéficier plus facilement d’avantages tarifaires.Dans le domaine des services, la Conférence d’Istanbul en 2004 a initié un processus de libéralisation des échanges dans le domaine des services.

Enfin, des efforts ont été réalisés pour commencer à réduire les barrières non tarifaires au commerce.D’autres progrès ont été rendus possibles par le processus de Barcelone. Dans le domaine financier, des instruments importants ont été mis en place, comme leprogramme MEDA par lequel l’Union européenne apporte une aide financière et technique à ses partenaires méditerranéens pour favoriser les projets de développement économique et social. Près de 9 milliards € ont ainsi été engagés sur la période 1995- 2006. En 2007, MEDA a été remplacé par l’Instrument européen de voisinage et de partenariat.

Par ailleurs, une Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et departenariat (FEMIP) a été créé en 2002. Financée par la Banque européenne d’investissement et l’UE, la FEMIP vise à développer l’activité économique du secteur privé et à faciliter l’accès des PME au financement au travers de prêts et de subventions. Dans le domaine culturel et éducatif, trois programmes ont été réalisés. EuromedHéritage vise à préserver le patrimoine culturel. Le programme jeunesse promeut les échanges de jeunes et la formation des travailleurs socio-éducatifs. Enfin, le programme audiovisuel soutient la diffusion et la production de films euro-méditerranéens. En outre, la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures a étéinaugurée en juin 2004 à Alexandrie. Elle dispose d’un budget de 10 millions € pour encourager le dialogue culturel entre le nord et le sud de la mer Méditerranée, organiser des activités culturelles et promouvoir les échanges, la coopération et la mobilité des personnes.

Sur le plan politique, la dimension régionale du partenariat a été renforcée grâce à la réunion régulière des ministres des Affaires étrangères ou du Commerce extérieur, mais aussi grâce à l’instauration, en 2004, de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéenne. Cette Assemblée est composée de 240 membres, représentant à parité les parlements de l’Union européenne et les parlements des pays partenaires de la Méditerranée. Les dix pays méditerranéens sont représentés par 120 membres, les parlements nationaux des pays de l’Union européenne par 75 membres, le Parlement européen par 45 membres. Enfin, des forums réunissant les ONG et destinés à favoriserle rapprochement des sociétés civiles ont été mis en place. Ainsi une plate-forme non gouvernementale pour le Forum civil EuroMed, qui réunit plusieurs centaines d’organisation, a vu le jour en 2003.

2.1.3. Les limites du partenariat euro-méditerranéen

Malgré les avancées mentionnées, le Processus de Barcelone présente d’importantes limites : les écarts de développement n’ont pas été réduits substantiellement, les pays méditerranéens hors UE continuent de souffrir d’une faible attractivité pour les investisseurs, aucun progrès sensible n’a été réalisé sur le plan de la paix et de la stabilité politique, les Etats du sud ont fait peu d’efforts pour se rapprocher et dépasser leurs rivalités, enfin les initiatives culturelles ou académiques n’ont pas empêché lastigmatisation des pays arabes et de l’Islam à la suite des attentats terroristes des années 2000.

La méthode a également fait l’objet de critiques en raison du manque d’implication des populations, de l’absence de secrétariat permanent et du déséquilibre nord-sud.Il est aussi frappant de constater que le Processus de Barcelone n’est qu’un instrument parmi d’autres de la coopération euro-méditerranéenne, ce qui nuit à sa lisibilité.

Parmi les autres dispositifs existant figurent : - - la politique européenne de voisinage ;

- la politique d’élargissement de l’Union vers des candidats à l’adhésion comme la Croatie ou la Turquie ;- le processus de stabilisation des Balkans ;- l’union douanière avec la Turquie ;

- la participation de certains Etats méditerranéens à des programmescommunautaires comme Erasmus Mundus dans le domaine de l’enseignement supérieur ou le Programme cadre de recherche et de développement ;

- le dialogue 5+5 entre les pays méditerranéens de l’UE et les pays du Maghreb.

En particulier, la politique européenne de voisinage a favorisé le développement de la coopération bilatérale entre l’Union européenne et ses voisins méditerranéens, par exemple dans les domaines de l’énergie (avec l’Algérie et le Maroc), de l’immigration et de la sécurité. Cependant, ce développement des relations bilatérales rend d’une certaine façon plus difficile l’intégration régionale, chaque pays cherchant à construire unerelation privilégiée avec l’Union européenne.

Par ailleurs, le Processus de Barcelone a montré des limites en matière d’intégration commerciale, qui constitue l’un des piliers de l’intégration régionale. Si plus de 50% des échanges commerciaux de la région s’effectuent avec l’Union européenne, la fragmentation persistante des marchés du sud et de l’est de Méditerranée limite les échanges intrarégionaux (moins de 15% du total) et les investissements directs étrangers.

Les pays méditerranéens hors UE réalisent du reste une faible part des exportations mondiales (3,2% en 2006) et leurs barrières douanières restent parfois élevées, particulièrement au Maghreb : le tarif douanier moyen appliqué aux importations est ainsi de 20,2% en Tunisie, de 18,9% au Maroc et de 12% en Algérie. Des progrès importants ont été enregistrés dans le domaine des produits manufacturés, mais beaucoup reste à faire, notamment dans le domaine des produits agricoles et des services ainsi que dans celui de la réduction des barrières non tarifaires (qui suppose une convergence des normes et prescriptions techniques). Dans ce contexte, la perspective d’une zone de libre-échange en 2010 paraît peu réaliste.

2.1.4. L’Union pour la Méditerranée : de la coopération à l’intégration ?

Constatant les insuffisances des dispositifs de coopération existants, le président français Nicolas Sarkozy a proposé la création d’une « Union méditerranéenne ». D’abord formulé dans le cadre d’une campagne électorale, ce projet a été progressivement détaillé dans les discours du président lors de ses visites officielles dans les pays méditerranéens et dans un rapport d’information de l’Assemblée nationale.

Réunissant les Etats riverainsde la Méditerranée, l’Union méditerranéenne était conçue comme une union politique fondée sur la parité entre les participants (dans le cadre d’un processus de codécision), sur la réunion régulière des chefs d’Etat, sur la création d’un secrétariat et sur l’adoption d’une présidence bicéphale partagée par les pays du nord et du sud.

Ce format devait permettre de passer d’un système de coopération à un projet d’intégration et d’associerles pays méditerranéens dans le cadre de projets concrets et consensuels :

- l’environnement et la gestion de l’eau : dépollution de la mer Méditerranée,développement de l’accès à l’eau potable, rechargement des nappes phréatiqueset amélioration des systèmes d’irrigation, protection des ressources halieutiques, préservation des littoraux et exploitation de l’énergie solaire ;

- l’échange des savoirs : renforcement de la formation des jeunes et des échanges universitaires, création d’un espace scientifique méditerranéen, mise en place d’un Institut universitaire euro-méditerranéen ;- le développement des échanges et le soutien à l’émergence de nouvellesentreprises : développement d’ « autoroutes maritimes », création d’un fonds degarantie et de fonds propres pour les PME, lancement d’un fonds méditerranéende co-développement des infrastructures. ;

- la sécurité : création d’un mécanisme de protection civile pour développer lasolidarité face aux risques naturels.Ce projet a suscité beaucoup de réactions, positives ou négatives, de la part des partenaires européens et méditerranéens de la France ainsi que des intellectuels.

La plupart s’accordent à reconnaître la nécessité d’une relance de la coopération euroméditerranéenne et l’utilité de l’appuyer sur la mise en œuvre de projets concrets et sur l’égalité des participants. Cependant, de nombreuses critiques ont été soulevées, relevant plusieurs faiblesses du projet :

- l’imprécision du contenu et des moyens de financement ;

- les partenaires européens de la France, au premier rang desquels l’Allemagne, se sont inquiétés de l’articulation de l’Union méditerranéenne avec les politiques européennes existantes et ont voulu être associés au projet à parité avec les Etats membres riverains de la Méditerranée ;

- plusieurs Etats européens ont soupçonné la France de vouloir promouvoir sespropres intérêts en Méditerranée tout en utilisant les fonds d’aidescommunautaires pour financer le projet ;

- la Turquie s’est d’abord opposée à la proposition française, craignant qu’elle ne soit conçue comme un moyen de lui offrir une alternative à l’adhésion à l’Union européenne.

Ces réticences ont conduit la France à modifier sa proposition : l’Union méditerranéenne en préparation est ainsi devenue « l’Union pour la Méditerranée ». Pour répondre aux critiques de ses partenaires européens, la France a cherché un compromis avec l’Allemagne. Les deux pays ont ensuite présenté un texte commun au Conseil européen du 13 mars 2008, qui a permis de recueillir l’adhésion des Etats membres de l’Union et de la Commission européenne.

Ce texte propose la création d’une Union pour la Méditerranée, conçue désormais comme « un projet de l’Union européenne avec les payssud de la Méditerranée », selon la formule de la chancelière allemande Angela Merkel.Elle est destinée à prolonger le processus de Barcelone en lui redonnant une impulsion, comme le souligne le titre de la récente Communication de la Commission à ce sujet : «Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée». Du projet français initial, l’ambition subsiste, de même que le secrétariat permanent, la présidence bicéphale et la volonté de mettre en œuvre des projets concrets, mais la continuité avec le partenariat euro-méditerranéen existant l’emporte. De ce fait, les conditions de la relance restentdans un flou relatif.

3. L’avenir de la Méditerranée : les conditions du succès de l’intégration des pays du pourtour méditerranéen

Le succès de l’Union pour la Méditerranée en tant que processus d’intégration régionale reposera d’abord sur sa capacité à créer le socle commun présenté dans la première partie de cette contribution, tout en tenant compte des conditions particulières de l’espace euro-méditerranéen.

3.1. Un défi institutionnel et politique

L’UPM doit créer les conditions institutionnelles et politiques de l’intégration régionale. En tant que telle, elle crée une fenêtre d’opportunité et un contexte favorable à des décisions courageuses et ambitieuses. La rupture avec les inefficacités actuelles dépendra de la capacité à lancer des projets clairs avec des financements conséquents etun soutien politique fort. Par ailleurs, la simplification du fonctionnement institutionnel est essentielle pour garantir l’efficacité de la prise de décision dans une UPM à 43 membres. La création d’un secrétariat permanent et d’une coprésidence est de ce point de vue une excellente chose, car elle permettra d’assurer une continuité et un leadership dans le partenariat euro-méditerranéen. Au-delà de cette seule initiative, il faut pouvoir contourner l’obstacle du nombre.

Pour cela, il serait utile que les 27 Etats membres del’Union européenne acceptent une représentation commune au sein de l’UPM, de façon à limiter le nombre de participants aux réunions, à alléger le processus de décision et à assurer que l’Union européenne parle d’une seule voix (ce qui serait cohérent avec l’adoption d’une politique extérieure commune de l’Union en Méditerranée). Ce simple élément ramènerait le nombre de personnes autour de la table à 16 (voire à 15 avec l’élargissement de l’Union européenne à la Croatie).

Une autre initiative utile serait de permettre la différenciation dans les projets d’intégration régionale, de façon à ce que les rivalités et les conflits existants ne soient pas des obstacles insurmontables comme ilsont pu l’être parfois dans le cadre du Processus de Barcelone. Il est important de remarquer que la différenciation est présente dans l’Union européenne elle-même comme en témoigne les exemples de la zone euro et de l’espace Schengen.Un autre élément important est d’assurer la lisibilité de l’UPM pour les citoyens et d’associer la société civile et ses représentants politiques.

La lisibilité de l’UPM passe par une communication active et par une simplification des objectifs de l’UPM. Il faut en effet éviter l’erreur consistant à vouloir multiplier les initiatives et les objectifs, qui diluentl’action et le discours. L’UPM ne peut ni ne doit tout faire. Elle a tout à gagner à travailler en partenariat avec d’autres acteurs importants localement (par exemple la Banque mondiale) pour coordonner les politiques d’aide au développement et apporter une aidetechnique visant à stimuler la simplification administrative et la lutte contre la corruption.

De plus, l’adoption de symboles, comme un drapeau (l’olivier a été par exemple été proposé comme symbole d’union), peut contribuer à la visibilité de l’UPM et à la création d’un sentiment d’appartenance. La plupart des organisations régionales disposent d’ailleurs d’un drapeau. Des initiatives permettant d’associer la société civile, par exemple la création d’un forum des chefs d’entreprises, seraient aussi pertinentes. Enfin, il semble essentiel de confier des responsabilités plus importantes (rôle de proposition etd’évaluation des projets en cours) à l’Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne.C’est une nécessité pour donner une impulsion de long terme à l’Union pour laMéditerranée.

3.2. Aboutir à la création d’une zone de libre-échange

L’intégration régionale de la Méditerranée sera effective le jour où elle constituera une zone de libre-échange. Pour y parvenir, il serait utile d’utiliser les possibilités de la différenciation : les Etats les plus intéressés qui souhaitent aller plus vite sur ce terrain doivent pouvoir le faire, les autres Etats méditerranéens restant bien sûr libres de lesrejoindre à tout moment. Il convient donc de définir un calendrier de finalisation d’une zone euro-méditerranéenne de libre-échange avec des conditions préalables en termes de suppression des barrières douanières et un calendrier précis de suivi et de décision.

Ceci supposera un processus d’accompagnement et de coopération rapprochée dans le domaine de l’agriculture, des services et de l’harmonisation législative. L’expérience acquise dans le cadre des élargissements de l’Union européenne permet d’envisager un tel processus avec confiance.

3.3. Créer des projets concrets favorisant l’intégration régionale

L’intégration intrarégionale des pays du sud et de l’est de la mer Méditerranée est un enjeu de premier ordre. Une partie des financements disponibles devraient être utilisés pour piloter des projets d’intégration entre pays voisins au travers de la mise en place d’infrastructure de transport et de communication. La mise en place de réseaux logistiques efficaces et le développement de l’accès à Internet doivent être considéréscomme des priorités. Ceci favoriserait en effet l’intégration commerciale des pays du bassin méditerranéen, qui permettrait aux entreprises de réaliser des économies d’échelle et de se développer plus facilement.

Par ailleurs, les projets suggérés par la France en matière de protection du patrimoine maritime commun et de capacité de prévention et de réaction face aux risques naturels doivent être lancés rapidement, notamment parce qu’ils favoriseront le tourisme, ressource importante pour tous les pays de la Méditerranée, et parce qu’ils protègent les conditions de vie des citoyens. Le développement des infrastructures et des échanges en matière d’énergie est également essentiel, notamment dans le contexte actuel. L’eau et l’énergie peuvent être le charbon et l’acier de la Méditerranée.

3.4. Un défi démographique et éducatif

Avec 470 millions d’habitants, les pays riverains de la Méditerranée réunissent une population presque aussi nombreuse que celle de l’Union européenne. Les pays méditerranéens issus de l’UE comptent pour 40% de cette population. Les pays du bassin méditerranéen font cependant face à un défi démographique asymétrique. D’un côté, les pays européens sont confrontés à une stagnation de leur croissance démographique et au vieillissement de leur population, de l’autre les pays des rives sud et est connaissent une rapide croissance de leur population et les jeunes y occupent une place trèsimportante dans la pyramide des âges. À l’horizon 2050, les pays méditerranéenscompteront 615 millions d’habitants, mais les 27 Etat membres de l’Union européenne n’en représenteront plus que 30%.

La Méditerranée fait donc face à un défi démographique considérable, avec toutes ses conséquences possibles en termes de sous-emploi et de pressions migratoires. Ce défi est plus largement celui du capital humain car le niveau d’éducation est un point faible des pays de la rive sud de la mer Méditerranée. Certains pays ont par exemple un taux d’analphabétisme très élevé, comme le Maroc (43%), l’Algérie (30,1%), la Tunisie (25,7%), l’Egypte (28,6%) ou encore la Syrie (19,6%).

Le financement d’infrastructures éducatives et la formation des adultes doivent donc faire l’objet d’un effort particulier, au même titre que les PME, dans les projets d’aide de l’UPM. Les propositions françaises dans ce domaine sont bienvenues mais méritent d’être précisées.

Conclusion :

Si le Processus de Barcelone a initié un projet d’intégration régionale en Méditerranée, ce processus d’intégration n’en est encore qu’à ses débuts et a surtout pris la forme d’une coopération politique, économique et culturelle présentant de nombreuses limites. Le 13 juillet prochain, les chefs d’Etat réunis à Paris lanceront l’Union pour la Méditerranée.Inscrite dans la continuité du Processus de Barcelone, l’UPM constitue une occasion de relancer l’intégration euro-méditerranéenne. Ceci suppose de renforcer la dimension politique et de développer des projets à la hauteur des défis économiques, écologiques et humains existants. Nous avons soulignés ici quelques conditions de l’émergence d’une région euro-méditerranéenne intégrée capable de répondre à ces défis. C’est un enjeu majeur pour ne pas décevoir les attentes des populations du pourtour méditerranéen.

Par Jean-François JAMET paru dans "Questions d'Europe" n° 106 le 7 Juillet de la Fondation Robert Schuman - http://robet-schuman.eu

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