Les populations du Maghreb et du Machrek observent avec une certaine distance, et même de l'indifférence, le nouveau processus euro-méditerranéen. Marocains, Algériens et Tunisiens soulignent qu'ils ont davantage besoin d'un emploi ou d'un visa que d'une dépollution de la Méditerranée ou d'une autoroute de la mer. Quant aux autres pays, situés plus à l'est, ils ont du mal à concevoir ce projet comme une ouverture sur l'Europe. Les intellectuels et hommes d'affaires, en revanche, estiment qu'il ne faut pas rater cette opportunité, même s'ils lui trouvent, pour l'instant, un contenu incertain.
Au niveau des dirigeants, le président tunisien, Zin El-Abidine Ben Ali, est sans doute celui qui adhère avec le plus d'enthousiasme au projet. Le "bon élève" du Maghreb a soutenu cette initiative dès la première heure, avant même de briguer le siège du secrétariat. Le Maroc, lui aussi, adhère pleinement à l'UPM. C'est d'ailleurs au royaume chérifien, lors de sa visite d'Etat en octobre 2007, que le président Nicolas Sarkozy a réservé la présentation officielle de son projet.
La position du Maroc - qui lui aussi souhaite abriter le siège du secrétariat de l'UPM - est extrêmement pragmatique. "La question n'est pas de savoir si ce processus va réussir ou échouer mais de quantifier la valeur ajoutée que ça va nous apporter, déclare-t-on à Rabat. L'UPM n'aura de sens que si nous nous l'approprions. A l'inverse des Algériens qui attendent de voir, nous disons : le remplissage des feuilles blanches doit se faire avec nous." Sans le dire ouvertement, Rabat lie également son soutien au nouveau processus euro-méditerranéen à l'obtention d'un partenariat renforcé avec l'Union européenne.
Pour Israël, qui guigne également ce statut, toute opportunité visant à sortir à peu de frais de l'isolement régional est à saisir. D'autant que l'engagement pro-israélien de M. Sarkozy constitue pour les responsables israéliens une solide garantie.
C'est pour des raisons identiques que le président syrien vient lui aussi à Paris. Compte tenu de l'isolement dans lequel Bachar Al-Assad se morfondait ces dernières années, cette invitation vaut presque réhabilitation, même s'il n'a toujours pas renoué avec les Etats-Unis. Le chef de l'Etat syrien risque d'ailleurs d'être à ce titre la vedette du sommet de Paris. L'Egypte peut, au niveau gouvernemental, se satisfaire d'avoir obtenu la vice-présidence, partagée avec la France.
Les populations arabes du Machrek, en revanche, sont sans doute plus attirées par l'essor du Golfe, où elles fournissent traditionnellement les cohortes de cadres intermédiaires, que par un projet aux contours encore assez flous.
Si la Libye est ouvertement hostile au projet de Nicolas Sarkozy - elle n'envoie même pas un observateur au sommet de Paris -, l'Algérie tient plusieurs langages. Le président Bouteflika a d'ailleurs attendu la dernière minute pour confirmer sa venue. Alger déplore que l'UPM n'aborde pas la question sensible de la circulation des personnes, mais surtout, a du mal à pardonner à la France son soutien sans faille au Maroc sur la question du Sahara occidental.
Reste qu'au mini-sommet du "front du refus", réuni par le colonel Kadhafi le 10 juin à Tripoli, M. Bouteflika n'a pas suivi son homologue libyen dans sa violente dénonciation de l'UPM qualifiée par lui d'"affront". Bien au contraire, le président algérien a plaidé en faveur de ce projet, alors que publiquement, il ne ménageait pas ses critiques.
En Turquie, l'UPM ne convainc personne. Le projet de Nicolas Sarkozy a pris un mauvais départ en raison des deux objectifs principaux et inavoués, estime Ankara : arrêter les flux migratoires des pays du Sud vers l'UE et écarter la Turquie des négociations d'adhésion à l'Union Européenne, tout en lui offrant une contrepartie. De plus, selon certains intellectuels turcs, qui le qualifient de "machin", la Turquie n'a pas vraiment d'identité ou de politique méditerranéennes. Certes, elle a développé des accords de libre-échange avec certains pays (Maroc, Tunisie), agit au Moyen-Orient, cherche à s'implanter en Afrique, mais elle garde des relations compliquées avec certains pays méditerranéens (Grèce et Chypre en tête).
En fin de compte, le seul aspect positif de ce projet, pour Ankara, est la volonté affichée par Paris de créer une zone de solidarité dans la région.
Florence Beaugé, Gilles Paris et Guillaume Perrier (à Istanbul) - Journal Le Monde - le 12 juillet 2008
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