On parle beaucoup de Méditerranée, et peu de ses poètes. Salah Stétié en est l’un des plus grands. Nostalgique d’un Liban fraternel.
"C’est à partir de son Sud que l’Europe a pris naissance, – en partant de la Méditerranée des origines. Comme un papier buvard sur une grande tache d’encre, elle s’est faite en absorbant le bleu. Bleu philosophique, bleu prophétique."
On l’aura compris à la justesse des mots, à leur couleur, l’homme qui écrit ces lignes n’était pas au Grand Palais pour le lancement en fanfare de l’Union pour la Méditerranée le 13 juillet. La poésie n’empêche pas la lucidité. C’est ce qui fait le miracle des textes de Salah Stétié, et de ses conversations.
Poète et diplomate libanais, approchant à pas feutrés les quatre-vingt années, sa parole sage et irradiante se déploie en ces jours d’été comme autant de soleils aux rayons des librairies : la revue Nunc lui consacre un numéro spécial, les éditions Gallimard rééditent Les Porteurs de feu (1972), l’un de ses ouvrages les plus marquants, tandis que sortent Mystère et mélancolie de la poupée (Fata Morgana) et Culture et violence en Méditerranée (Actes Sud), d’où est extraite la citation ci-dessus.
Enfin, Salah Stétié sera fidèle au rendez-vous des Voix de la Méditerranée, à Lodève (34) du 20 au 27 juillet. Une fausse nouvelle s’est diffusée ces derniers jours : l’Union pour la Méditerranée serait en train de voir le jour. Mais elle existe déjà bel et bien ! On en trouve des traces, chaque année, du côté de Lodève, justement : l’Union des poètes de la Méditerranée.
Les grandes intentions et petits cadeaux entre monarques et présidents auront beau faire, elle seule détient une part de vérité. Eux seuls, les poètes, peuvent rendre compte avec précision de la subtilité de cet ensemble, de son horlogerie fine, oscillant entre violences brutes et raffinement culturel.
Diplomate
Sa vie durant, Salah Stétié s’est confronté à cette insaisissable Méditerranée, il en a fait son miel et ses duels.
Poète et diplomate.
Né à Beyrouth dans une famille arabophone sunnite, son père avait tracé sa voie. « Il avait étudié le droit en Turquie pour avoir un poste dans l’administration ottomane, raconte Salah Stétié, installé dans le rouge velours des salons de l’Hôtel Lutétia, sans doute un reste de réflexe diplomate, notre homme étant par ailleurs d’une simplicité et d’une gentillesse peu communes.
De retour au Liban, la Turquie était vaincue et le pays sous mandat français. Mon père décida que s’il avait un fils, il en ferait un diplomate. » Études au collège protestant français de Beyrouth, puis chez les jésuites, avant d’entrer à l’École pratique des Hautes Études, où il a pour professeur Louis Massignon : « Je lui dois mon retour à la poésie arabe et mystique. »
Son père aussi est poète. Il a une certaine renommée. La maison, depuis le plus jeune âge de Salah Stétié, est un temple de vers. Une passion est née. Elle se concentre surtout sur les poètes français. Salah Stétié connaît aujourd’hui encore des centaines de vers par cœur. À Beyrouth il devient professeur d’université et rédacteur en chef de L’Orient littéraire et culturel.
Quand le gouvernement décide de créer un poste de conseiller culturel du Liban en Europe occidentale, c’est lui qui est choisi. Son pays est alors un modèle d’entente et de dialogue entre cultures et religions. « On parlait de libanisation, et le terme était très élogieux, positif. Le contraire de la situation actuelle. Si ce modèle avait survécu, il aurait pu apporter la modernité au monde arabe.»
Salah Stétié est nommé ambassadeur du Liban à l’Unesco puis aux Pays-Bas et au Maroc. Il s’inscrit dans la tradition des écrivains-ambassadeurs, citant lui-même Saint-John Perse, Claudel, Morand, Octavio Paz ou Pablo Neruda – ces deux derniers étaient ses voisins de bureau à l’Unesco… Il y a cinq ans, « tellement fatigué par la fréquentation de la Méditerranée et de sa violence », il décide de couper les ponts, change de rivage et publie un grand-livre qui fera date sur… Kyoto.
Poisson aveugle
Les conflits, les guerres, les régressions, il les a vécus de l’intérieur. Il en discerne plusieurs causes. La mondialisation : « un équarrissage par la base économique qui met en cause le dialogue des cultures ». Les États-Unis : « ce poisson aveugle qui gouverne le monde ». On lui a rapporté cette anecdote : quand la dernière guerre a éclaté entre Israël et le Liban, George Bush aurait appelé un chef d’État en le prévenant, affolé : « Armaggedon tombe sur Israël ». Son interlocuteur, moins coutumier des lectures bibliques, a dû solliciter un conseiller lettré pour la traduction.
Folie et inculture. Et la poésie, que peut-elle ? quelle fonction ? « Aux origines, la poésie s’est substituée à l’émotion religieuse pour dire l’ici, le réel, éclairés par la profondeur du rêve et de la douleur de l’homme, confie Salah Stétié. Elle est devenue la serveuse obscure du sens. »
Oui, mais… « elle est aujourd’hui occultée, comme tout ce qui relève de la vie intérieure ». Alors un message, délivré avec douceur et nostalgie : « les textes poétiques sont faits pour le partage à quelques-uns, le silence, le retrait, qui sont en fait les vrais transmetteurs, ce que ne sont pas les médias ; c’est par ces transmetteurs que le plus profond de nos civilisations sera sauvé ».
Par Luc Chatel - Témoignage Chrétien - le 16 juillet 2008
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