III- La sécurité globale dans toute sa complexité

L’atelier consacré à la sécurité globale a été présidé par Mme Claire Spencer, de l’institut du Head Middle East Programme, Charlton House.
Mme Spencer a suggéré d’amorcer le débat par le bas ; c’est-à-dire en partant d’un sondage d’opinion et du questionnement des participants sur la question sécuritaire dans sa dimension globale.
L’animatrice de l’atelier a ainsi invité les participants à une réflexion commune à la question, à faire part de leurs interrogations ainsi que de leurs propositions sur l’approche globale de la question sécuritaire relative à la région méditerranéenne avant de passer la parole aux «experts» pour livrer leurs réflexions.
Les préalables du débat
A l’entame du débat, M.Ahmed Ounaies, ancien ambassadeur, a observé la corrélation qui devrait exister entre la sécurité et la paix. Il a également souligné le lien très étroit entre ces deux données complémentaires et l’impératif du développement.
Concernant la question du Proche-Orient, M. Ounaies a indiqué qu’à l’inverse des Arabes, l’Europe et Israël n’ont pas de plan de paix.Il a ensuite noté que la sécurité globale est conditionnée par la dimension multilatérale qu’elle devrait acquérir, soutenant que c’est bien cette dimension-là qui est privilégiée par les Européens.
En revanche, les Etats arabes préfèrent, selon lui, un partenariat bilatéral. «Pour preuve, les dirigeants maghrébins ne sont pas parvenus à construire l’UMA pour pouvoir parler d’une seule voix et persistent à responsabiliser Israël sur le blocage de la situation de la paix et de la sécurité dans la région. Israël est certes responsable, mais cela ne diminue en rien la responsabilité des Arabes.
De son côté, M.Hatem Karoui a considéré que «depuis le 11 septembre 2001, il y a beaucoup de confusions et de controverses sur la question sécuritaire dans le monde. Malgré les promesses répétitives, on n’est pas parvenu à organiser une conférence internationale sur le terrorisme et le terrorisme d’Etat afin d’unifier les concepts et tirer les conclusions adéquates qui faciliteraient beaucoup de choses».
Mme Spencer est ensuite intervenue pour solliciter les opinions des participants sur la sécurité énergétique.M.Habib Lazreg a considéré que la sécurité énergétique s’inscrit dans le concept de la sécurité globale qui devrait, à son avis, reposer sur la confiance et la solidarité. «Une pareille approche de la question sécuritaire devrait bannir tout contact brutal au niveau culturel ou idéologique.
Aussi a-t- il estimé que sur le plan de la sécurité énergétique, l’Europe est confrontée à d’énormes problèmes qu’on devrait appréhender dans le cadre d’une coopération solidaire qui dépasse les termes de l’échange : preneur et fournisseur : «La rive sud de la Méditerranée assure actuellement environ 20 % des besoins européens en matières énergétiques».
«Toutefois, il faut considérer que ces ressources sont épuisables et que la rive sud de la Méditerranée est riche en ressources énergétiques durables, telles que les énergies solaire et éolienne. Il convient donc que, sur la base de la coopération solidaire et la confiance mutuelle que l’Europe apporte son assistance technologique aux pays du Sud méditerranéen pour moissonner cette énergie au profit de tous».
M.Abderrahman Fekih a, quant à lui, évoqué la question de l’immigration clandestine en soulignant l’absence d’études sur cette question. Ceci étant, il a déploré le laisser-faire des milieux européens qui profitent de ces flux migratoires car ils bénéficient d’une main-d’œuvre au noir corvéable à merci. Il a estimé qu’en dehors de quelques régularisations épisodiques de certaines situations, il n’y a pas de mesures de lutte contre ce fléau qui nécessite à son avis la sanction des employeurs pour tarir cette immigration clandestine à la source.Qu’en pensent les plus qualifiés ?
Vinrent ensuite les interventions des plus qualifiés en la matière qui ont, chacun de son côté apporté leurs éclairages à la question de la sécurité globale.
M.Smail Hamdani, ancien Premier ministre algérien a considéré que le 13 juillet prochain sera «le point de départ de l’UPM qui est appelée à évoluer par la suite pour combler ses insuffisances». Selon lui, on devrait penser à élaborer une charte pour la paix et la sécurité en partant de la sécurité globale en tant que concept indivisible et qu’on devrait définir ensemble. «
Ce concept est lié à celui de l’occupation», a-t-il remarqué. «Or, la motion 242 des Nations Unies a défini les Territoires palestiniens comme étant des territoires occupés et on a ensuite abandonné les occupés qui furent livrés à la violence qui a engendré la résistance à l’occupation qualifiée paradoxalement de terrorisme».
M. Hamdani a également évoqué la question nucléaire, estimant qu’elle est perçue d’une manière unilatérale qui pose le problème du nucléaire iranien et occulte celui d’Israel.
S’agissant de la sécurité énergétique, M.Hamdani a souligné qu’il n’est pas question d’utiliser le pétrole comme moyen de pression politique par les pays producteurs contre les pays consommateurs.
M.Emmanuel Dupuy, président de l’Institut Perspective de Sécurité en Europe, a mis en exergue le terrorisme en tant que « vecteur sur lequel s’appuient certains mouvements pour mettre en cause l’Etat de Droit et les droits légitimes des peuples».
Il a indiqué que l’Union Européenne a fixé une liste de pays et d’organisations qui ont eu naguère recours à des pratiques terroristes et de prolifération nucléaire. Il a, néanmoins, observé l’évolution positive de certains de ces pays, comme la Libye, qui ont renoncé à ces moyens au profit d’autres et en faveur du dialogue.
M.Hassen Abouyoub, ancien Ministre, Ambassadeur itinérant du Royaume du Maroc, a rappelé qu’une charte pour la paix et la sécurité a été adoptée à Nice en l’an 2000.«Toutefois, il y a eu un malentendu majeur entre le Nord et le Sud sur la définition des menaces».Il a ensuite souligné la nécessité de consolider les valeurs de confiance, du vivre ensemble et le refus de la violence. Ce faisant, il a estimé qu’il faudrait une meilleure préparation des esprits pour s’accorder sur la sécurité globale. Il a constaté que, par rapport à l’époque du Processus de Barcelone, les menaces ont augmenté et que l’on «ne se mettra jamais d’accord sur la définition du terrorisme». Il s’est enfin demandé si « l’on ne devrait pas, le 13 juillet prochain, créer un mécanisme sécuritaire comme celui d’Helsinki en reprenant la définition de la sécurité globale pour fonder un partenariat à même de gérer les problèmes de l’Afrique dont nous sommes le pare-choc».
L’Amiral Jean Dufourcq, Directeur du groupe de recherches sur l’Union pour la Méditerranée de l’Ecole Militaire de Paris, a, de son côté, souscrit à la conception d’une approche sécuritaire basée sur la confiance mutuelle. Il a rappelé que depuis toujours la Méditerranée est l’otage des conflits. Il faut toutefois sortir du concept sécuritaire de l’OTAN pour instaurer la sécurité des peuples. Et pour ce faire, il faudrait avoir les justes mesures des inquiétudes de ces peuples.
«Nous avons des racines communes», dit-il. «Il faudrait chercher l’inacceptable commun et lui faire front. Tout ce qui prend en otage la vie, la dignité, le développement…Ceux qui regardent de l’extérieur ne réalisent pas les difficultés. Aussi devrions nous avoir une approche différenciée qui n’empêche pas la mise sur pied d’un mécanisme général de traitement du problème sécuritaire devant trouver des solutions au problème alimentaire, celui de l’électricité et de la garantie des conditions de vie élémentaires…. Pour ce faire il faudrait penser au soubassement juridique de ce mécanisme de sécurité globale».
La sécurité alimentaire
Par ailleurs, la sécurité globale et son articulation avec la question agraire ont été esquissées par M. Sébastien Abis, administrateur au secrétariat général du CIHEAM, spécialiste des Enjeux Agro-stratégiques de développement en Méditerranée. Pour lui, la sécurité alimentaire est une vraie question stratégique multidimensionnelle et transversale. «Un Méditerranéen sur trois est rural», a-t-il observé.
«L’agriculture continue à employer un tiers de la population active dans l’espace méditerranéen. Elle compte pour beaucoup dans le développement de plusieurs pays méditerranéens. Or cette agriculture est confrontée actuellement à toutes sortes de défis tels que le stress hydrique, la désertification. Elle est, de surcroît, prisonnière de la crise énergétique. Et on peut dire qu’on est en présence d’une fracture émergente dans beaucoup de pays méditerranéens. Une fracture Sud-Sud qui illustre le clivage entre le littoral et l’arrière-pays enclavé.
L’eau est rarement potable, un tiers des décès est lié à la malnutrition. Trois pays méditerranéens importent 15 % des importations mondiales en céréales. Il s’agit de l’Egypte, du Maroc et de l’Algérie. Aussi,pour instaurer la paix sociale et éviter que la Méditerranée ne soit une zone de turbulences, il faudrait s’occuper de l’agriculture en tant que vecteur de développement durable».
M.Abdennour Ben Attar, de la CREAD a, de son côté déploré l’absence de vision autocritique relative aux questions sécuritaires, mentionnant à cet effet «l’échec de la construction maghrébine». Il s’est dit partisan de la sécurité globale, c’est-à-dire la sécurité humaine dans sa dimension horizontale et non militaire. Il a souligné, à ce titre, qu’en dehors de l’Irak et de la Palestine, l’insécurité relève de facteurs endogènes et non exogènes.
M.Abderrazak Attia, ancien ambassadeur, a défini la sécurité globale comme une notion «multidimensionnelle» qui nous interpelle à chercher «ce qui ne va pas» et à cibler les inquiétudes des peuples en vue d’asseoir les mécanismes appropriés à faire face à ces inquiétudes. Il a, à cet effet, cité l’expérience du fonds de solidarité en Tunisie qui a abouti à la création de la Banque de Solidarité pour porter secours aux déshérités.
Abdelmajid Haouachi - Réalités On line - le 9 juillet 2008

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