« Sommet » de Paris de l'Union pour la Méditerranée : une grande fête sans lendemains ?

Les chefs d’Etat ou de gouvernement de 43 pays de l’UE et du pourtour méditerranéen, y compris des Balkans, seront à Paris le 13 juillet pour un « sommet » destiné au lancement de l’Union pour la Méditerranée (UpM).
L’ambition initiale était grande mais le risque est que le projet ne soit plus qu’une « coquille vide ».


Le projet d'Union Méditerranéene, lancé en février 2007, durant la campagne électorale française, portait l’ambition - française - de créer une Union de tous les pays riverains.
Mais le président Sarkozy a dû, graduellement, réduire la dimension de cette Union et accepter de changer la dénomination pour en faire une Union pour la Méditerranée.
L'UpM risque, en l'état de n'être qu'une « coquille vide ».
L’hostilité manifeste des uns, les réserves sourdes des autres, les manœuvres tactiques, adroites, de la Commission européenne, les divisions classiques entre les pays partenaires ont eu raison du projet du président Sarkozy.
Son seul mérite, à l’heure actuelle, est d’avoir placé la Méditerranée au centre du débat méditerranéen et imposé - théoriquement - les notions de parités et de coresponsabilité. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres.
La seule vraie question est, non pas, de savoir si l’Union entre Méditerranéens est réaliste mai s’il est possible d’envisager la fin de la désunion des pays de la rive Sud. Sans cela, tout projet ne serait que chimère.
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Le bal du 13 juillet

Le 13 juillet sera un grand jour pour la France, du moins pour son président.
La veille de la fête nationale, le président Sarkozy réunira les chefs d’Etat ou de gouvernements de 43 pays de l’UE et du pourtour méditerranéen, y compris les Balkans: Monténégro, la Bosnie, la Croatie et l’Albanie seront parmi les invités à la table en tant que membres de plein droit.
La Serbie et la Macédoine (ARYM/FYROM) ne seront pas de la fête car, elles ne sont pas explique-t-on, riveraines. La Jordanie, du Portugal et la Mauritanie sont pourtant dans le même cas.
Il faut sans doute y voir le risque de soulever la question du Kosovo et celle aussi de heurter la Grèce qui milite pour l'isolement de la Macédoine dont le nom lui parait historiquement inadéquat
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Les présents et les absents
Ces retrouvailles seront grandioses, si l’on constate la formidable mobilisation diplomatique et celle aussi des medias français lesquels, malgré leurs doutes ou même la raillerie exprimée au départ, ne veulent pas rester en marge de la grande fête. Ils sont maintenant en totale communion avec l’Elysée.
De Paris, on assure que tous les invités seront présents. Tous, sauf Mu’ammar Kadhafi qui a annoncé sa défection voyant dans l’Union pour la Méditerranée une machine de guerre contre les « solidarités » arabes et africaines.
Le souverain jordanien ne sera pas présent. Son agenda lui impose un voyage à Washington. Son absence ne serait cependant pas innocente. Il aurait pu dégager la fin de la journée du 13 juillet s’il avait accordé de l’importance au projet.
Le président Bashar el Assad sera, en quelque sorte, l’invité d’honneur du "sommet". Du moins, le plus visible, l’inespéré, voire, pour certains, le non souhaité.
Le chef de l'Etat syrien ne pouvait ester absent d’un tel rassemblement, mû par son besoin de sortir de la marginalité où il a été placé pour son rôle au Liban et pour des liens avec l’Iran que l’Occident, uni, cherche à distendre avant d’éventuelles réactions aux provocations d’Ahmadinejad.
L’ouverture de pourparlers avec Israël avait aussi facilité l‘octroi de son visa pour Paris et a fait oublier, aux yeux, de ses détracteurs, en premier lieu la France, la nature de son régime. Cette ouverture est à remarquer alors que l’accord d’association avec l’UE demeure remisé dans les tiroirs.
Le premier ministre turc entretient le doute et parait ne pas vouloir s’impliquer outre mesure dans un projet qui avait été présenté comme une alternative à son adhésion. Son pays avait manifesté un début de mauvaise humeur mais a cédé vraisemblablement plus par désintérêt que par conviction.
Le premier ministre israélien, les présidents tunisien, mauritanien, libanais et égyptien paraissent les plus sûrs soutiens du président Sarkozy mais après avoir pris soin de ne pas se couper de la Commission européenne.
Tunis espère obtenir le siège du secrétariat même si son ardeur a été attiédie par deux faits imposés dans la négociation de la déclaration finale. L’une est que l’UE ne versera pas un sou pour les rétributions des membres et du personnel du secrétariat. L’autre est que la décision n’interviendra pas de sitôt. Peut-être en novembre à la faveur de la session ministérielle (affaires étrangères) ordinaire au sein du processus de Barcelone, à Marseille.
L'Espagne est cependant sur les rangs et estime que le choix de Barcelone serait le meilleur
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Première entorse à la parité
L’Egypte sera sans doute le principal gagnant. Hosni Moubarak s’est vu offrir sur un plateau d’or la charge de premier « co-président » de l’UpM. Il ne serait pas compréhensible, ni envisageable, qu'il puisse bouder une conférence qui lui accordera une responsabilité gratifiante alors qu’il doit affronter dans son pays une grogne grandissante liée à sa succession.
Il est à souligner qu'il a été pratiquement désigné par son homologue français.
Les autres pays de la rive sud avaient renâclé à cette première entorse au principe de la co-décision et de « l’ownership » dont le président Sarkozy avait lui-même fait l’argument principal en faveur de son projet. Ils ont dû céder au rite du consensus, en usage au sein de la Ligue arabe, notamment parce que nul parmi les autres chefs d’Etat n’aurait pu assumer ce rôle qui obligeait à parler directement au chef du gouvernement israélien. Pour le reste, il faudra attendre de constater les présences à Paris même.
L’Elysée parait cependant avoir la certitude que presque tous seront au rendez-vous, y compris le roi du Maroc bien que des rumeurs laissent envisager plutôt la venue de son frère ou du premier ministre. Le Maroc a été soucieux de distinguer son propre rôle et qu'il devra jourer dans le cadre de l’UpM. La cour pressante faite par Paris au chef de l’Etat algérien pour qu’il accepte de faire le voyage n’était pas pour plaire à Rabat. Mais les Marocains comptent obtenir le poste de secrétaire général et ne feront rien qui les laisserait en marge.
Le coup d’éclat est venu du président algérien qui avait tiré à boulets rouges sur l’UpM. Son revirement spectaculaire, annoncé à Toyako (Japon), en marge du G8, sans doute sur la promesse qu’il n’y aura pas de « photo de famille » en compagnie d’Ehud Olmert, a laissé désemparée sa presse qui, unanime, critique sa réponse positive à Paris.
Il y a manifestement, à quelques jours du « sommet » une confusion sur la liste des présents.
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Un produit "génétiquement modifié" ?
Cette confusion couvre aussi la dénomination officielle, qui ne laisse pas deviner s’il s’agit d’une nouvelle institution paritaire ou d’un « Barcelone+ ».
Le choix d’une telle appellation a été le point focal des derniers marchandages sur le contenu de la déclaration finale tel que négocié lors de sessions au niveau de hauts fonctionnaires convoquées à un rythme intensifié au cours des dernières semaines.
Une ultime réunion était envisagée à Paris la veille du « sommet ».

Dans la matinée du 13 juillet, les ministres des affaires étrangères devraient mettre la dernière main à ce texte d’une tonalité générale – mis à part une liste de projets qui seront non pas décidés mais mis à l’étude - qui renforce le sentiment, résumé par un journal algérien, que le grand rendez vous de Paris ne sera qu’une « coquille vide ", une simple « messe », selon un autre media.
Plusieurs sources témoignent que la négociation du texte a peu porté sur des questions de fond mais a été focalisée sur la question, déjà citée, de la dénomination et sur le chapitre lié au processus de paix.
Les deux sujets en fait liés. Des pays arabes s’étaient montrés réticents au terme « Union » l’estimant peu approprié dans un cadre impliquant Israël. Ils se sont finalement rangés à l’avis commun et accepté ce que des érudits ont baptisé le « binomen ».
Ce nom à deux volets - « processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée » - a été l’innovation majeure produite par le Conseil européen de mars qui avait avalisé, dans un texte d’une grande concision, le projet français. Il en avait fait, surtout, une initiative communautaire dont la mise en forme – l’enterrement, disaient alors clairement des ambassadeurs maghrébins déçus de voir le projet d’origine « dénaturé » - était confiée à la Commission européenne.
La solution trouvée par le Conseil européen indiquait qu’elle était le fruit d’un compromis laborieux au terme de l’abandon progressif des prétentions initiales de l’Elysée, depuis le discours de Toulon, en février 2007, en pleine campagne électorale, jusqu’aux ultimes tractations crispées avec une Allemagne ouvertement hostile, en passant par la déclaration tripartite de Rome (France, Italie et Espagne), le 20 décembre 2007.
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Angela Merkel a imposé ses vues
Le président français avait dû admettre auprès de la chancelière allemande la nécessité d’inclure dans son projet tous les Etats membres de l’UE et pas seulement les pays riverains.
Il avait déjà accepté à Rome de modifier le label : l’Union « pour » la Méditerranée remplaçait celui, ambigü, d’Union méditerranéenne. L’Espagne et l’Italie ont joué un rôle crucial dans cette évolution de l’initiative française. Ces deux pays et sans doute aussi la Grèce et, avec plus de tiédeur, les autres pays riverains (le Portugal et Malte), ont montré un enthousiasme embarrassé. Heureux que la région ait été ainsi replacée au centre du débat européen, ils n’approuvaient pas la mise à l’écart des pays du Nord de l’UE.
Pratiquement, tous les Etats membres reconnaissaient la nécessité de redonner un second souffle au processus de Barcelone qui, en quatorze ans, a perdu de sa vigueur, victime à la fois du blocage du processus de paix et de méthodes de travail auxquelles manquaient les dimensions, importantes, de parité et de co-responsabilité.
C'est le constat de ces défaillances qui a, précisément, motivé l’initiative du président Sarkozy. Mais il oublie lui-même cependant d’y recourir en omettant de consulter ses partenaires potentiels. Cela lui a été reproché dès le départ par des dirigeants de la rive sud comme ils lui reprocheront par la suite d’avoir lui-même choisi le co-président de l’autre camp, au mépris de la parité. L’essentiel est finalement, selon la formule d’un des Hauts fonctionnaires, que tout le monde a « fait contre mauvaise fortune bon cœur », convaincus que cela n’ira pas plus loin que le 14 juillet.
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Tactique: ne pas contrer mais remettre sur les rails
La Commission européenne s’est visiblement inscrite d'emblée dans cette logique en optant non pas pour la confrontation directe avec un projet qui visait à la dessaisir de ses prérogatives sur le processus de Barcelone mais à l’accompagner et à «l’adoucir » graduellement pour le réduire à sa plus simple expression : une rencontre diplomatique, loin de l’ambition première d’un « sommet » fondateur d’une Union nouvelle.
Le projet de déclaration finale le signifie avec netteté en ne paraissant plus n'être qu’un catalogue de « bonnes intentions ». Il comporte l’énoncé de principes déjà affirmés à Barcelone il y a quatorze ans, y compris un chapitre - âprement marchandé - sur la question du Moyen Orient. La primauté de la sécurité d’Israël et du lien puissant qui la relie à l’Europe – en est l’axe central.
L’UE y rappelle aussi avec force son engagement pour une solution négociée et la fin du calvaire (économique surtout) des Palestiniens. Au plan économique général, les principaux objectifs de la coopération déjà engagée (zone de libre échange à partir de 2010, appui aux intégrations régionales, dialogue politique et droits de l’Homme, etc.) y sont confirmés.
Une liste de projets est présentée et sera mise à l’étude par les structures conjointes à mettre en place. Elle couvre la dépollution de la Méditerranée, des autoroutes maritimes et terrestres, les énergies alternatives, en particulier le solaire, des programmes de protection civile, l’éducation, la recherche et l’université, et un encadrement de l’activité des entreprises.
Les deux points encore ouverts concernent le choix de co-présidents et la création d’un secrétariat et d’un comité conjoint permanent basé à Bruxelles. Hosni Moubarak est assuré d’obtenir un mandat de 2 ans, malgré quelques premières réserves, turques notamment mais vite levées.
En revanche, pour le co-président européen – et ce sera de toutes façons, le locataire de l’Elysée, en tant qu’initiateur de l’UpM et président en exercice de l’UE – la durée de son mandat sera toutefois limitée aux six mois de sa présidence européenne, conformément aux traités.
Sur le secrétariat, le jeu demeure ouvert. Tunis et Rabat sont en concurrence pour le siège de cette structure dont le mandat serait limité à l’administration des projets communs. Mais le pilotage général du processus sera confié au comité conjoint qui ne serait qu’un avatar de l’actuel Comité de suivi ou, officiellement, le « Comité EuroMed ».

Par Fathi Bchir - MedAfrique.info - le 14 juillet 2008

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