Un long dimanche de fiançailles pour l’Union pour la Méditerranée

Sommet. Les chefs d’Etat et de gouvernement des deux rives de la mer Méditerranée étaient réunis hier à Paris, sans couac.
Un grand tapis bleu, comme la Méditerranée et Nicolas Sarkozy qui biche. Sur le parvis du Grand Palais, hier à Paris, le président français accueille les uns après les autres une quarantaine de chefs d’Etat et de gouvernement venus participer au sommet de lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM).
Tous les pays de l’Union européenne et du Sud de la mare nostrum sont là, avec le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, et les «chefs» de l’UE. Le Libyen Muammar al-Kadhafi n’a finalement envoyé aucun représentant. Le roi du Maroc s’est désisté à la dernière minute (lire page suivante). Autre absent de marque, côté européen, le Belge Yves Leterme qui tente de sauver son gouvernement.
Si le chef de l’Etat a échoué à faire venir le Premier ministre belge, il a en revanche réussi l’exploit de réunir autour d’une même table des frères ennemis d’un tout autre calibre : le Palestinien Mahmoud Abbas, l’Israélien Ehud Olmert, le Syrien Bachar al-Assad, le Libanais Michel Sleiman, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika, le Tunisien Zine Ben Ali…

«Avenir». Au terme d’un casse-tête protocolaire, tous ont pris place autour d’une même table ronde sous la verrière du Grand Palais. Pas simple. A côté des deux coprésidents de l’UPM (Nicolas Sarkozy et l’Egyptien Hosni Moubarak), chaque pays a été placé par ordre alphabétique de part et d’autre de la table : à droite l’Albanie, puis à gauche l’Autriche, à droite l’Algérie, puis à gauche la Bosnie…
Le but étant d’éviter toute proximité entre la Syrie et Israël : de toute façon, les dirigeants syrien et palestinien se sont éclipsés discrètement au moment où Olmert prenait la parole. Aucun incident cependant lors de ce sommet balisé qui a pour ambition de relancer la coopération entre l’UE et le pourtour méditerranéen (débutée en 1995 par le «processus de Barcelone», déjà une idée française).
Aucune décision concrète non plus, le message étant la réunion elle-même. Mais, au-delà du décorum, des à-côtés diplomatiques marqueront le sommet : rencontre entre Olmert et Abbas à l’Elysée, bilatérale entre Sarkozy et Al-Assad… (lire page suivante). La limite de cet exercice, qui s’est résumé à trois heures de tour de table, a été illustrée par l’absence de toute photo de famille. On n’en est pas encore là.
Sarkozy en a conscience. A l’ouverture, il a déclaré : «Pour que cet avenir soit un avenir de paix, un avenir de justice, un avenir de progrès, il faudra que chacun fasse un effort sur lui-même comme les Européens l’ont fait pour mettre un terme à l’engrenage fatal de la guerre et de la violence […] Nous réussirons ensemble ou nous échouerons ensemble.»
Un haut fonctionnaire de la Commission européenne notait que cette réunion lui «rappelait le lancement de Barcelone, en 1995» où tout le monde était aussi là. «Mais, ensuite, plus personne n’est venu et le processus s’est politiquement ensablé», même si les projets de développement ont continué à être financés par l’UE. «Si les Européens envoient au prochain sommet de simples hauts fonctionnaires, l’Union pour la Méditerranée connaîtra le même destin que Barcelone.»
Pour l’heure, avant même d’entrer dans le concret (projets ou gouvernance), les chefs d’Etat et de gouvernement ont négocié pied à pied les termes d’une déclaration commune qui se veut très politique. Points les plus sensibles, sans surprise : le processus de paix au Proche-Orient, le nucléaire et son contrôle dans la région, ainsi que la condamnation du «terrorisme sous toutes ses formes». Trois points qui figurent bien dans la déclaration finale. Aucun de ces sujets n’a été contourné ou passé sous silence. La condamnation du terrorisme sous toutes ses formes est soulignée. De même sur le nucléaire «les parties s’emploient à établir au Proche-Orient, une zone exempte d’armes de destruction massive, nucléaires, chimiques et biologiques, qui soit dotée d’un système de vérification mutuelle efficace».

Pari. La déclaration finale apporte aussi son soutien au processus de paix israélo-palestinien et se félicite «des pourparlers de paix indirects sous les hospices de la Turquie entre la Syrie et Israël». De bon augure pour l’UPM, qui comme le souhaite Sarkozy, peut devenir une enceinte où se discuteront les questions politiques déchirant le sud de la Méditerranée et le Proche-Orient.
Le pari n’est pas pour autant gagné, beaucoup d’incertitudes demeurant sur le plan pratique. Ainsi, la gouvernance de l’UPM n’a pu être tranchée : elle devra l’être en novembre à Marseille, lors d’un sommet ministériel. Sur la coprésidence, ni le Nord ni le Sud ne sont d’accord, hormis sur la désignation pour un premier mandat dont la durée n’est pas précisée de Sarkozy et de Moubarak.
La France continue à réclamer une présidence d’une durée de deux années, pendant que les autres pays de l’UE souhaitent qu’elle suive le rythme des présidences semestrielles tournantes de l’UE. Au Sud, c’est encore pire : ni la durée, ni l’ordre de succession, ni les conditions de désignation ne font l’objet d’un consensus. Même désaccord sur le siège du secrétariat général de l’UPM : si l’idée de le situer dans un pays du Maghreb a les faveurs de Paris, les rivalités entre la Tunisie, l’Algérie et le Maroc risquent de profiter à Barcelone ou à… Bruxelles.
Antoine GUIRAL et Jean QUATREMER - Journal Liberation.fr - le 13 juillet 2008

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