Après la pause café, la séance plénière a repris, toujours sous la présidence de M. Tahar Sioud. La parole a été donnée à M. Evagoras Mavrommatis, membre du Conseil d’Administration de l’institut Daedalos de géopolitique, qui a d’abord présenté l’Institut Daedalos et passé en revue quelques-unes de ses activités qui tendent au rapprochement entre Palestiniens et Israéliens, entre le Maghreb et l’Europe ainsi qu’à la promotion de la paix autour de la Méditerranée.
M. Mavrommatis a par la suite affirmé que le partenariat euro-méditerranéen est d’une importance capitale pour les Chypriotes car l’île de Chypre est naturellement et géographiquement un carrefour au cœur même du projet euro-méditerranéen et du Proche-Orient. Il a aussi fait remarquer que Chypre est un pays membre de l’UE et un pays fondateur du partenariat euro-méditerranéen.
Puis ce fut au tour de M. Adrianus Koetsenruijter, ambassadeur, Chef de la délégation de la Commission européenne, de prendre la parole. Il s’est dit surpris d’entendre beaucoup parler de déception lorsqu’on évoque le remaniement du projet initial du Président Sarkozy. Il se demande pourquoi on considère que le projet a été révisé à la baisse.
Pour M. Koetsenruijter le projet n’y a rien perdu, il pense même qu’il y a gagné et que l’Union sera une structure efficace permettant la réalisation de projets bénéfiques pour la prospérité, la stabilité et la paix en Méditerranée.
Prenant la parole, M. Abderrazak Attia, ancien ambassadeur, a affirmé que Sarkozy a eu le mérite de poser la question : Quel destin pour la Méditerranée? «Question que j’ai posée en avril 2008, avant la visite de Sarkozy, quand je me suis exprimé dans Réalités, a précisé M. Attia».
Pour l’ancien ambassadeur, l’UE a pris la responsabilité de s’impliquer réellement dans un partenariat euro- méditerranéen parce qu’elle juge l’opération ‘’rentable’’ au niveau économique, sur le plan de la sécurité et sur celui de la stabilité. Et en ce sens justement, on peut considérer que l’union projetée est un volet de la politique extérieure de l’UE. Quoi qu’il en soit, un grand pôle pourrait voir le jour entre ces pays qui comptent environ 800 millions d’âmes, selon M. Attia. « Il faut poser les bonnes questions: Où allons-nous ensemble ? Qu’allons-nous faire ensemble ? Comment vivre ensemble ?», a ajouté M. Attia, avant de conclure qu’il faut donner son importance à la dimension humaine et mettre sur pied des politiques communes dans les domaines de l’environnement, de l’eau, de l’énergie, de la sécurité alimentaire, de la sécurité et des ressources halieutiques.
Quant à Mme Claire Spencer, de la Chatham House, elle considère que le libre échange ne va pas tout arranger. Elle est également convaincue de l’inutilité de la création d’une nouvelle banque. Elle pense enfin que l’idée de Sarkozy contient du bon.
Mme Khadija Mohsen Finan, de l’Ifri, considère, elle, que le projet de Sarkozy était très ambitieux et trop politique, «maintenant il est devenu technique, a-t- elle affirmé». Selon Mme Mohsen Finan, dans l’optique du président français existait la volonté de raffermir les liens entre la France et le Maghreb en général et entre la France et l’Algérie en particulier. Pour qu’il y ait un partenariat, il faut qu’il y ait une volonté commune, des capacités à fructifier et des idées à proposer, a-t- elle ajouté avant de rappeler toute l’importance qu’il faut donner au facteur humain. Et dans ce sens, Mme Mohsen Finan a souligné le rôle que peuvent jouer les ‘’relais’’ comme les chefs d’entreprise et les binationaux, à côté des acteurs officiels, dans la réussite d’un tel projet. Et pour conclure, elle a avancé l’idée que si le “5+5” a réussi, c’est parce qu’on a enlevé tous les problèmes qui fâchent.
Pour M. Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe, l’Union pour la Méditerranée s’est éloignée de l’esprit de l’initiative de Sarkozy. L’équilibre s’y est inversé : quand on voit le nombre de pays européens impliqués dans ce partenariat et qu’on le compare au nombre de pays méditerranéens, on se rend compte aisément que ces derniers seront les hôtes des premiers cités. Par conséquent, M. Dupuy en conclut que l’Union pour la Méditerranée est un volet de la politique de l’UE. «Le 13 Juillet sera une date solennelle mais beaucoup de points essentiels seront élucidés plus tard, a avancé M. Dupuy», avant de conclure que l’Union offre un cadre juridique nouveau qui pallie les lacunes du processus de Barcelone.
Et puis ce fut le tour de M. Guido Lenzi, ambassadeur, ancien conseiller diplomatique du ministre de l’Intérieur (Italie), d’apporter sa contribution au Forum. M. Lenzi a d’abord rappelé que par comparaison à Barcelone (1995) nous avons la globalisation comme contexte, que l’Europe elle-même est en retard par rapport à l’accélération de la globalisation et que l’Europe a besoin de la Méditerranée comme la Méditerranée a besoin de l’Europe.
Il leur faut avancer en marchant non en courant et avoir en tête la construction européenne qui se poursuit encore au jour le jour, par accumulations et qui est encore en projet. C’est pour cela que les constructeurs de l’Union pour la Méditerranée partir du principe la convergence dans la diversité. M. Lenzi a ajouté que “5+5” est le noyau dur de cette entreprise, son moteur. Puis il a rappelé le rôle déterminant que doivent jouer les opinions publiques et la société civile dans un projet pareil. Enfin M. Lenzi a lancé à l’adresse de l’assistance, en majorité méditerranéenne : «Vous allez appartenir à deux unions : l’Union africaine et l’Union européenne».
Au terme de ce studieux panel en deux temps, conduit de main de maître par M. Tahar Sioud, en grande forme intellectuelle et physique et étonnant de maîtrise dans les dossiers euro-méditerranéens, place a été faite au débat. Mme Fatma Haddad, professeur universitaire a rappelé que la centralité de la Méditerranée remonte à très loin dans l’histoire. Elle a été le carrefour et le berceau de civilisations multiples.
De ce fait, elle propose de partir, justement, de l’histoire riche de la Méditerranée. Pour réussir à se comprendre, a-t-elle indiqué, il est impératif voire judicieux d’avoir l’histoire des peuples pour point de départ. C’est l’histoire des hommes et des femmes qui faciliterait la concrétisation de l’UPM».
Et, d’ajouter que nous n’avons pas assez de temps pour refaire le parcours de la construction de l’Europe. Cinquante ans, c’est beaucoup. Il faudrait peut-être s’appuyer à la fois sur le politique et l’économique pour avancer. Il vaudrait mieux laisser de côté les conflits politiques et mettre en avant le développement, ce n’est qu’ainsi qu’on pourrait avancer et construire ensemble.
Et, c’est d’ailleurs ainsi que l’Europe a réussi à être ce qu’elle est aujourd’hui. Elle a mis de côté les haines et les conflits d’après guerre, et s’est concentrée sur des projets d’intérêt commun».Pour M. Nejib Zérouali, Ambassadeur du Maroc à Tunis, il serait erroné de se limiter exclusivement aux projets et à la circulation des biens, des marchandises et des capitaux. I
l faudrait aussi prendre en considération la circulation des personnes, sinon il serait plutôt judicieux de parler d’un Club de la Méditerranée que d’une union. Et puis, il ne faut pas oublier un point essentiel. La Méditerranée n’est plus le centre de gravité. Celui-ci s’est déplacé vers l’Est, en l’occurrence vers l’Asie.
Pour M. Zérouali, ni la Méditerranée, ni encore moins l’Europe, ne jouent un rôle central pour balancer l’homogénéité asiatique. Par contre une union euro-africaine pourrait jouer ce rôle. Le “5+5”, ajoute M. Zérouali, pourrait être le moteur de cette nouvelle intégration, à condition d’être institutionnalisé.
M. Hatem Karoui, a de son côté précisé que l’UPM est un Barcelone +2 ou +3, c’est une simple question technique. Mais il s’interroge sur l’institutionnel, au niveau duquel rien n’a été fait concrètement. Il est judicieux, a-t-il affirmé, de mettre en place les mécanismes adéquats et les instruments nécessaires.
M. Mohamed Slah Turki, quant à lui, déplore l’absence d’une méthodologie claire de la concrétisation de l’UPM. Il souligne, par ailleurs, qu’il ne faut pas faire la même erreur que dans la construction de l’Union Pour le Maghreb Arabe, qui a été basée sur le politique. Il vaut mieux se focaliser sur l’économique et les projets communs, et laisser le politique de côté.
Mme Anwar Mnasri, magistrate auprès du Tribunal administratif, s’est interrogée quant au volet juridique de cette Union Pour la Méditerranée. Serait-elle un espace fondé sur les valeurs de l’UE et par conséquent les pays du Sud, seront-ils appelés à adapter leurs législations internes ? Elle s’est également interrogée sur la sécurité de l’Europe, insistant sur le fait que la sécurité dépendra dans une large mesure de la garantie du développement sur la rive sud de la Méditerranée.
Un développement qui pourrait, par ailleurs, contenir l’immigration considérée comme un réel problème pour l’Europe. Les conférenciers ont apporté quelques éléments de réponse à toutes ces interrogations. Aussi, M. Tahar Sioud, ancien ambassadeur, a indiqué qu’il y a une différence de traitement entre le pays devant adhérer à l’Union Européenne et ceux avec qui l’Europe est en coopération, dans le cadre du processus de Barcelone. Pour les premiers, on les aide financièrement et techniquement pour évoluer et converger avec l’économie européenne, quant aux seconds, on leur demande d’évoluer d’abord, et de les aider ensuite. Il n’en demeure pas moins que la libre circulation des personnes bloque sérieusement le processus de Barcelone et que l’immigration est un problème réel qui devrait être traité à part.
D’un autre côté, pour M. Sioud, le centre de gravité vire vers l’Est et ce phénomène n’est pas prêt de changer. «J’espère, a-t-il souligné que l’UPM, qui sera concoctée par une concertation entre les pays des deux rives de la Méditerranée, les pays du Sud sera mieux entendu. Mais quelle que soit l’appellation —UPM, Barcelone 2 ou Barcelone 3—, c’est le Processus de Barcelone qui demeure le cœur battant de cette nouvelle initiative».
Même si le Processus de Barcelone n’a pas réussi à instaurer une zone de libre-échange prospère, et si la politique européenne de voisinage a été une sorte de consolation pour les pays du Sud, nous sommes condamnés à vivre ensemble et nous avons une seule destinée.
Donc, la solution n’est autre que de lancer le co-développement, les projets communs, et une politique commune, basée sur une volonté politique exprimée afin de régler la problématique des IDE, de l’accélération des réformes…Peu importe la dénomination, pourvu que l’UPM existe», a indiqué M. Sioud.
Pour M. Attia, la date du 13 juillet marquera un tournant dans l’histoire du Processus de Barcelone. Néanmoins, il ne faut pas se leurrer pour autant. Car il y aura un réel problème de financement pour les projets communs à envisager, sans compter que c’est le comité de pilotage de la commission européenne, à moins d’en changer la structure, qui décide quels projets seront retenus pour le financement.
M. Attia a clairement indiqué que les interrogations sont nombreuses mais les réponses, quant à elles, sont floues et incertaines.
Quant à Mme Khadija Mohsen Finan, responsable du Programme Maghreb à l’IFRI, elle estime que l’Homme devrait être au centre de l’UPM. Plus encore, elle maintient sa position quant au changement radical du contenu de la première proposition française pour le projet de l’UPM : «Le projet est devenu plus technique.
Le premier mettait le doigt sur les carences du Processus de Barcelone. Actuellement, il a perdu de sa force, de son identité et de son contenu, en cours de route», a-t-elle souligné.
M. Hassan Abouyoub, ambassadeur itinérant du Royaume du Maroc, a de son côté relevé qu’un comité de sages, ne signifie pas de diplomates, sinon on se retrouvera avec les mêmes personnes du Processus de Barcelone. A son sens, il vaut mieux que le comité des sages soit composé de personnes n’ayant pas de problèmes de carrière à promouvoir.
A cela, il précise que le Processus de Barcelone, sa déclaration et tous les documents qui en découlent demeurent le cadre juridique officiel des relations Euro-Med, et par lesquels les signataires ont exprimé leurs engagements et devraient le respecter.
M. Adrianus Koetsenruijter, Chef de la délégation de l’Union Européenne en Tunisie a, de son côté, déclaré que les critiques formulées à l’égard du projet de l’UPM son constructives, mais l’UE tient quant même à la concrétisation de ce projet.
Par ailleurs, il a tenu à préciser que l’effort engagé par l’Europe en faveur des nouveaux adhérents à l’Union Européenne est énorme. «Il fallait engager des réformes de refonte des Etats pour une meilleure convergence, du reste obligatoire à l’adhésion, contrairement aux pays du Sud, qu’on aide et à qui l’on facilite la convergence qui n’est pas obligatoire», a-t-il conclu.
Anouar Lengliz et Imène Bejaoui - Réalités On line - le 9 juillet 2008
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