L'Europe entre l'Irlande et la Méditerranée

Deux événements qui engagent notre avenir et celui de l'Union européenne auront eu lieu à un mois d'intervalle : le 13 juin, le vote négatif de l'Irlande, et le 13 juillet, le sommet de Paris pour la Méditerranée.

Le « non » irlandais montre que lorsqu'une politique a bien réussi, on doit envisager de la faire évoluer. Par sa politique régionale et son fonds de cohésion, par la politique agricole commune, l'UE a aidé ce pays à rattraper - et même largement dépasser - le PIB moyen par habitant européen.
Voici ce pays, petit et excentré, capable désormais de rivaliser avec des niveaux exceptionnels de revenu par habitant, de croissance, d'investissements directs étrangers et de quasi-plein-emploi. Pays, aussi, peu reconnaissant vis-à-vis des politiques européennes tellement il s'habitue au bien-être, à la paix, à la stabilité, alors même que le monde n'a jamais été aussi instable.

Si l'on ne veut pas céder à la facilité du reproche aux Irlandais, quelle leçon plus stratégique peut-on en tirer ? Les deux piliers des politiques communes de l'Europe, la politique agricole commune et la politique régionale qui font à elles deux 80 % du budget européen, ont donné des résultats exceptionnels.
Mais, qui ne voit que l'élargissement de l'Europe aux pays d'Europe centrale et orientale et les enjeux de la nouvelle politique européenne de voisinage plus à l'est et en Méditerranée appellent une nouvelle vision de la politique régionale ?
Qui ne voit que la crise alimentaire mondiale modifie radicalement les bases de notre politique agricole commune, et que les enjeux environnementaux commandent d'accorder une priorité absolue au développement rural plutôt qu'au soutien des prix ?
Qui ne voit que l'exacerbation de la compétition mondiale dans le domaine de la technologie commande qu'une politique commune d'ampleur contribue à réduire le retard européen sur l'Amérique et l'Asie en matière de recherche ?

Poursuivre sur la voie classique des deux politiques de base de l'UE n'aurait plus de sens. L'Europe est à la recherche d'un grand dessein, dans un contexte mondial renouvelé. Un des aspects déterminants de ce nouveau contexte est la réussite de l'intégration euro-méditerranéenne. A l'instar de l'association croissante entre l'Amérique du Nord et le Mexique (Alena), entre le Japon, la Chine, la Corée du Sud et l'Asie du Sud-Est en développement (Asean +3), l'Europe doit, enfin, tirer parti de la complémentarité et de la proximité de son voisinage méditerranéen.

C'est tout le sens du projet d'Union pour la Méditerranée, lancé le 13 juillet à Paris par une quarantaine de chefs d'Etat. Faire cette union, oeuvrer pour un ancrage irréversible entre les deux rives de la Méditerranée, s'engager pour associer à terme, au-delà des rancunes et des humiliations passées, 500 millions d'Européens et 500 millions de personnes sud-méditerranéennes et arabes, est le magnifique projet qui pourrait mobiliser tous les Européens, en mal d'une politique extérieure cohérente et visible. Car l'Europe à vingt-sept comme à trente est menacée de déclin, de vieillissement, de désindustrialisation.
Les pays sud-méditerranéens de leur côté prennent conscience qu'ils sont ballottés dans la mondialisation, que l'après-pétrole se prépare dès maintenant et que le réchauffement climatique les menace avec certitude, notamment dans le domaine de l'eau et de l'agriculture.
Tout ce qui manque aux Européens - les marchés, la jeunesse, l'énergie - ils peuvent le trouver à 1.000 kilomètres au sud et tout ce qui manque aux peuples du sud de la Méditerranée - la technologie, les méthodes et la gouvernance - ils peuvent le trouver au nord. L'Europe, la Méditerranée et le monde arabe ont un avenir commun, il faut en dix ou vingt ans le bâtir ensemble. Cette optique gagnant-gagnant fera passer ces partenaires méditerranéens d'un statut de simple « Voisins » au statut de Dragons de l'Europe.

Pour y parvenir, un plan ambitieux s'impose. Tout d'abord il faut une volonté politique. C'est possible, et somme toute assez simple à imaginer si l'on veut bien revenir à notre affaire irlandaise. A ce jour, l'Union européenne alloue bon an mal an un milliard d'euros aux douze pays du partenariat méditerranéen. C'est trop peu, et mal réparti car l'essentiel est affecté à des projets gérés par les administrations publiques, dont l'impact direct sur le bien-être des populations n'est pas assez perceptible.
Pour couvrir ces immenses besoins fondamentaux, pour stimuler ces marchés potentiellement gigantesques, il faudrait que ces douze pays partenaires se voient allouer, comme ce fut le cas pour les pays d'Europe centrale et orientale (Peco), des subventions européennes à hauteur de 4 % de leur PIB, soit 13 milliards d'euros par an (10 milliards si l'on ne tient pas compte du PIB d'Israël, déjà très développé).

Or, entre 2013 et 2020, l'Union européenne va profondément réviser sa PAC et sa politique régionale. Les premières estimations conduisent à l'idée que cela permettra de dégager une économie de l'ordre de 140 milliards d'euros sur l'ensemble de la période.
Plutôt que de diminuer le budget européen, l'impérieuse nécessité d'accorder une priorité stratégique à la recherche et à la Méditerranée conduit à une équation limpide : il faut affecter ce surplus pour moitié à l'une et pour moitié à l'autre. 70 milliards pour la Méditerranée en 2013-2020 : nous voilà bien aux 10 milliards par an dont l'Union pour la Méditerranée a besoin pour réussir là où le - très utile - partenariat de Barcelone avait atteint ses limites, et pour passer d'une simple politique (externe) de coopération à une politique (interne) de convergence avec nos partenaires du Sud.

On pourra penser que 2020 est un horizon bien lointain. C'est, au contraire, ce projet politique commun ambitieux de convergence que doivent poursuivre ensemble les pays réunis à Paris. L'avenir de l'UE se joue entre l'Irlande (réforme nécessaire des deux grandes politiques communes), la Méditerranée (véritable réservoir de croissance), et la recherche (indispensable pour assurer notre place dans le monde).
JEAN-LOUIS GUIGOU est délégué général d'IPEMed (Institut de prospective économique du monde méditerranéen) - Les Echos - le 15 juillet 2008

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