Union pour la Méditerranée : oasis en construction ou fata morgana ?

Paris, le 15 juillet (Nouvelle Solidarité)—Deux mots viennent à l’esprit en songeant au lancement de l’Union pour la Méditerranée (UPM). Oasis, d’abord, qui désigne une zone de végétation dans un désert, autour de laquelle l’homme construit une vie. Proches d’une source d’eau où les voyageurs peuvent se rafraîchir, les oasis ont toujours été, historiquement, des plaques tournantes commerciales pour le transport de marchandises et de voyageurs. Puis, cet autre mot, Fata Morgana qui, à l’opposé de cette source de vie, désigne un phénomène optique pur, une véritable invention de l’esprit. Ce type de mirage fut constaté pour la première fois par des croisés qui avaient prétendu avoir aperçu de fantastiques châteaux dans la brume, près du détroit de Messine, dans la Méditerranée.
Tels sont les deux chemins possibles pour l’Union pour la Méditerranée, dont la fondation ce weekend dernier à Paris, le 12 et le 13 juillet, a parfois pris le caractère grandiose des événements qui marquent durablement l’histoire. Pas moins de 43 chefs d’Etats se sont réunis autour d’une même table pour parler des projets économiques conjoints et de paix, et parmi eux, les dirigeants des pays impliqués dans les conflits les plus durs et les plus longs de notre histoire contemporaine : Israël, l’Autorité palestinienne, Hamas, le Liban, la Syrie.
Conçue au départ comme un projet économique inspiré par l’Europe de Jean Monnet, fondée autour de grands projets d’intérêt commun, in fine, ce sera peut être le volet politique, ajouté à la demande des pays arabes, selon le président syrien Bachar el Assad, qui pourrait avoir le plus grand impact. « Au départ, l’initiative était essentiellement économique », a déclaré le président syrien dans un entretien diffusé le 12 juillet par « Géopolitique », une émission de Richard Labevière sur RFI. Mais « cette approche s’est révélée irréaliste. Nous avons donc demandé en tant que partenaires arabes, à ce que le volet politique soit considéré comme central. »
Le fait de rassembler à Paris les principaux acteurs de la paix au Proche Orient, au moment où l’Angleterre, déchaînée sur la scène internationale, profite du vide crée par la fin de l’administration américaine pour tenter avec ses alliés de l’administration Bush, de lancer une dernière guerre contre l’Iran, a constitué un signal très fort en faveur de la paix. A ce sujet, répondant dans le même entretien à une question sur l’imminence d’un tel danger, Bachar el Assad a mis en garde contre « une administration américaine dont la politique est fondée sur la guerre et qui cherche [ensuite] des prétextes pour déclencher des opérations militaires. »
Au-delà de la langue de bois des sommets, les multiples rencontres bilatérales en marge de l’événement, semblent avoir fait progresser tous les dossiers en cours. La présence du Premier ministre Turc, Erdogan, a permis à Bachar el Assad de poursuivre les négociations indirectes avec le Premier ministre israélien, Ehud Olmert. Les tête-à-tête entre le président égyptien Hosni Moubarak et Bachar el Assad d’un côté, et entre ce dernier et Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, contribueront entre autres à rebâtir l’unité palestinienne, vue l’influence exercée par la Syrie sur Hamas, dont le siège est à Damas.
La « forte détermination » de Bachar El Assad a échanger des ambassadeurs avec le Liban met fin à l’ambigüité qui règne depuis 60 ans, date des indépendances, quant à la volonté syrienne de reconnaître l’indépendance du Liban, et la première rencontre entre Bachar el Assad et le nouveau Président libanais, Michel Sleimane, depuis l’élection de celui-ci à la présidence du Liban, contribue également à cette normalisation. Signe aussi d’un dégel général, le Liban et Israël ont procédé à un échange de prisonniers et de dépouilles des combattants de chaque camp : parmi eux des Libanais détenus dans les prisons israéliennes depuis des années ont été libérés et les dépouilles des deux soldats israéliens capturés en 2006 par le Hezbollah qui avaient servi de prétexte à la guerre d’Israël contre le Liban en 2006, ont été rendus à Israël.

Un sommet est aussi l ‘affaire de grands mammouths de la politique, et l’occasion d’apprendre les derniers potins sur les relations excellentes qu’entretien Nicolas Sarkozy avec Hosni Moubarak, malgré l’état de santé difficile du dernier, et le courant qui ne passe toujours pas entre la Syrie et Bernard Kouchner d’où le fait que les négociations entre les deux pays passent donc par le Secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant.

Une relation franco-syrienne forte

Surtout, les deux faits marquants du volet politique du sommet, sont le nouveau rôle central de la Syrie, incontournable dans l’ensemble de ces dossiers, et un partenariat stratégique entre la France et la Syrie qui va bien au-delà d’un simple rétablissement des relations. Nicolas Sarkozy a d’ailleurs annoncé son intention de se rendre lui-même en Syrie avant la mi-septembre, rencontre qui sera préparée par la venue en France du vice-Premier ministre syrien, Dardari, et par le déplacement deKouchner en Syrie, tout persona non grata qu’il soit.

Au cours de la conférence de presse conjointe avec Nicolas Sarkozy et Michel Sleimane, Bachar el Assad a aussi proposé à la France de co-parrainer, avec les Etats-Unis, le processus de paix Syro-Israélien. Insistant sur le fait qu’il ne pourrait pas y avoir d’accord entre les deux pays, sans le parrainage des Etats-Unis, Bachar el Assad a souligné le rôle complémentaire que la France par rapport aux Etats-Unis : « la France a travers sa connaissance de notre région et ses relations historiques avec elle (…) peut aider les américains à élaborer une vision. Les Etats-Unis sont éloignés de cette région et il est difficile pour eux de comprendre le détail de beaucoup d’événements qui s’y produisent. Là intervient le rôle de la France non pas en tant que simple intermédiaire mais plutôt en tant que partenaire des Etats-Unis dans le parrainage du processus de paix au moment des négociations directes. »*

Autre préoccupation majeure de la Syrie qui fera l’objet de négociations prochaines avec la France, la situation économique désastreuse du pays, en particulier sur le front de l’agriculture et des produits alimentaires, renchéris à l’extrême par la hausse des prix du carburant. La Syrie serait à la recherche des accords pétroliers à de taux préférentiels, et contemple aussi la nécessité d’établir une raffinerie sur place pour exploiter ses propres réserves pétrolières. C’est dans ce contexte qu’il faut voir l’arrivée prochaine de Christian de Marjorie, PDG de Total, à Damas, Total qui a déjà par ailleurs des investissements importants en Syrie. Bachar el Assad a également évoqué le « le transport de pétrole entre la Syrie et l’Irak, sur un axe nord-sud entre la Turquie et le Golfe, et est-ouest jusqu’à la Méditerranée ». Le dégel est déjà bien entamé, mais Bachar el Assad n’a pas poussé sa chance au-delà du raisonnable en demandant des technologies nucléaires, préférant ironiser que lorsque Damas construira des centrales, ce sera le signe que « tous les pays du monde auront recours à l’énergie nucléaire ».

Accalmie au milieu de l’orage

Face à cette contribution en faveur de la paix, où la France a démontré une fois de plus ce qu’elle peut accomplir lorsqu’elle retrouve son sens de mission internationale, les sceptiques se plaisent à souligner qu’au fond, tout cela n’est que des mots, et qu’aucun des dirigeants n’a annoncé de mesures précises ou de calendriers concrets. Mais même en appréciant le côté positif de choses, on ne peut pas se voiler la face sur toutes les menaces qui pèsent sur cette initiative que de multiples facteurs pourraient faire capoter, à commencer par la chute d’Ehud Olmert dont personne ne peut dire, à ce stade, s’il pourra aller au bout de son engagement pour la paix.
Même si l’Etat major israélien et le Mossad, ne sont pas favorables à une nouvelle guerre contre l’Iran, Netanyahou et le Likoud restent sur le pied de guerre, tout comme leurs parrains aux Etats-Unis et en Angleterre. Le Liban est sorti de l’ornière avec la formation de son gouvernement d’unité nationale, très favorable à l’opposition, mais les troubles financés par l’Arabie Saoudite à Tripoli et ailleurs, persistent via les Salafistes, et la majorité reste en embuscade.

Le mirage de l’Union pour la méditerranée

Mais c’est sans doute le volet économique de cette politique qui risque de s’enliser profondément dans les sables de la Méditerranée, comme les châteaux fantastiques imaginés par les croisés. Soulignons une fois de plus combien ce fut une erreur de capituler aux diktats d’Angela Merkel et d’accepter de faire revenir cette organisation dans le giron du processus de Barcelone de l’Union Européenne et d’adopter une fois de plus son agenda.
Une Union pour la Méditerranée, indépendante de l’Union européenne, rassemblant uniquement les membres des deux rives et dirigée par eux, auraient pu décider de façon souveraine des projets à lancer, en fonction de leur intérêt commun. Des responsables marocains, tunisiens et algériens, pour ne parler que de ceux-là, se sont publiquement émus que cette institution ne traite pas des graves problèmes économiques du moment : la crise alimentaire, le problème de la génération d’eau en quantité suffisante pour tous les besoins, la nécessité de développer l’énergie nucléaire face au prix pétroliers actuels, le besoin de chemins de fer rapides longeant les côtes et des ponts liant les deux rives !

Or, les 6 projets retenus – dont la dépollution de la Méditerranée, les autoroutes de la mer (ferries pour acheminer les camions entre les deux rives), un plan énergie solaire, et une association pour favoriser le développement des PMI/PME – sont non seulement minimalistes en matière de technologies mais ils ne s’adressent pas du tout à ces questions urgentes.
Même Jean Louis Guigou, président de l’IPEMED (Institut de prospective économique du monde méditerranéen) qui a été l’une des sources d’inspiration pour ces projets et dont les propositions restaient timorées en matière de haute technologie, s’est déclaré déçu, dans un entretien sur France Info le 14 juillet, par le fait qu’on ait retenu la liste élaborée par l’Union européenne.
La dépollution de la Méditerranée est « un projet pour riches », a-t-il lancé, notant amèrement que nulle part on ne parle d’objectifs essentiels, tels l’électrification ou la génération d’eau.
D’autre part, certains éléments du processus de Barcelone vont à l’encontre des objectifs affichés par l’Union pour la Méditerranée. C’est le cas notamment de la vaste zone de libre échange qui devrait voir le jour en 2010 qui, avec l’ouverture des frontières aux produits et aux personnes des deux rives, provoquera dans les circonstances actuelles une aggravation du taux de chômage et une baisse du niveau de vie des populations. Or, l’une des principales raisons invoquées pour la création de l’UPM est le besoin de contrôler les flots migratoires grâce à une nouvelle croissance et de réduire, par la même, la délinquance.

Dans une période de stabilité économique, qui n’est pas celle que nous vivons actuellement, une vraie vision économique pour la région aurait envisagée la création d’une Banque pour le développement de la Méditerranée, émettant du crédit public à bas taux d’intérêt pour des projets de développement dont certains hautement technologiques – transports rapides, énergie, eau – et donc générateurs d’emplois et de richesse physique. Les fonds souverains du Golfe auraient pu s’inscrire, effectivement, utilement dans une telle perspective de développement trouvant là matière à investir à long terme dans un processus productif.

Mais en plein krach du système financier international, le projet d’Union pour la Méditerranée risque d’être balayé par le vent, comme les sables qui ont constitué le seul lègue à la postérité de ce pauvre roi Ozymandias immortalisé par le grand poète Shelley.
* Entretien diffusé le 12 juillet par « Géopolitique », une émission de Richard Labevière sur RFI - Par Christine Bierre - Solidarités & Progrés - le 16 juillet 2008

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