Personne de sensé ne peut refuser le principe du projet de l'Union pour la Méditerranée (UPM). Au contraire, c'est une ancienne et profonde aspiration des peuples. Le contexte de la mondialisation, avec ses menaces et ses incertitudes, porte les chances d'un monde commun, en particulier autour de la Méditerranée. Il n'y a pas d'autre voie, à moins de ne vouloir que l'isolement et l'affrontement.
La recherche d'un nouvel ordre régional et international moins inégalitaire et d'une nouvelle civilisation, qui nous fait défaut, exige un diagnostic sans complaisance et une vision d'avenir. Les conditions pour ouvrir de nouvelles perspectives ne sont pas données d'avance. Le projet de l'Union pour la Méditerranée a le mérite de nous donner l'occasion de reposer les questions de fond au sujet des relations entre les peuples de la région. Le diagnostic est éloquent. La situation reste préoccupante.
Au Sud, malgré l'hétérogénéité des pays arabes, leurs atouts et leurs efforts de modernisation, sept points au moins sont des obstacles.
1. - Le niveau de développement est en asymétrie flagrante avec des pays européens. Ce déséquilibre complique au départ la possibilité d'une union.
2. - La faiblesse de la bonne gouvernance, les limites apportées aux libertés publiques et l'archaïsme de la plupart des régimes créent des déperditions majeures.
3. - Les insuffisances en matière de coopération et d'intégration Sud-Sud fragilisent les fondements.
4. - Les sources des revenus sont surtout liées aux richesses du sous-sol ou dépendantes de facteurs aléatoires.
4. - Les sources des revenus sont surtout liées aux richesses du sous-sol ou dépendantes de facteurs aléatoires.
5. - L'analphabétisme, la crise des systèmes éducatifs et la démographie non maîtrisée posent des problèmes de longue haleine.
6. - La fuite des cerveaux, l'immigration clandestine et l'exode rural accentuent la paupérisation et la déliaison sociale. 7. - L'absence de projet de société cohérent, les faiblesses des rapports entre l'Etat et la société et celles du dialogue Nord-Sud suscitent des réactions négatives. D'un côté repli et passéisme dans la religion refuge instrumentalisée, et d'un autre côté imitation aveugle et aliénante face au modèle occidental en crise.
Au Nord, le diagnostic est marqué par sept autres signes contradictoires.
1. - Affaiblissement des aides en direction du Sud, moins de 0,2 % des budgets, et investissements de moins de 2 % par rapport au volume global. Soit trois fois moins que les promesses, dix fois moins que ce qui est souhaitable.
2. - Politique de discrimination vis-à-vis des populations originaires du Sud, des quartiers défavorisés et d'exclusion des nouveaux migrants.
Faits et méfaits de l'Histoire
3. - Islamophobie, marquée par des débordements de la xénophobie et des délires médiatiques qui amplifient les dérives de groupes extrémistes et les contradictions des systèmes du Sud.
4. - Impuissance ou complicité au sujet des conflits majeurs, comme le drame israélo-palestinien, qui prend en otage tout projet de partenariat.
5. - Sur le plan historique, refus de reconnaître les faits et les méfaits de l'histoire de la colonisation européenne, notamment de peuplement.
6. - Des mesures restrictives en matière de mobilité et de circulation des personnes.
7. - Des postures de refus des débats de fond en ce qui concerne les contradictions du système dominant, fondé sur le triptyque : laïcisme outrancier, scientisme déshumanisant, et capitalisme sauvage, qui s'éprouve en impasses.
Alors que le principe de centralité et la dimension stratégique de la Méditerranée sont posés, on ne peut pas se limiter à des projets techniques. Ceux que la Commission européenne a sélectionnés semblent ramener l'idéal de l'UPM aux thèmes de la dépollution de la mer et aux autoroutes maritimes. Malgré l'intérêt de ces secteurs, c'est significatif de la persistance de l'unilatéralisme, de la petitesse de la vision et de l'immense quiproquo qui peuvent vider de son contenu ce grand projet.
Nous aurions tant espéré que ce projet soit celui d'un partenariat entre l'Union européenne et le monde arabe. Le dialogue euro-arabe a été oublié. Pourtant, la cohérence et la visibilité d'une telle union auraient été bien plus grandes. Il n'y aurait eu aucune appréhension, ni celle d'une normalisation prématurée avec Israël, ni celle qui vise a dévier l'adhésion de la Turquie à l'UE, ni enfin celle qui vise à un redéploiement en une région géostratégique au profit des intérêts sécuritaires et économiques d'une seule partie.
Le concept de monde arabe comme celui de Maghreb semblent évacués. Certes, nous ne sommes pas opposés à une approche globale, mais à condition que l'UE engage un vrai processus de partenariat, de négociations et de règlement des conflits et amène le quartet, à commencer par les Etats-Unis, à changer et à étudier la proposition de paix, soumise depuis le sommet arabe de Beyrouth de 2002. La priorité doit être donnée à la démocratisation et à l'humanisation des rapports Nord-Sud pour répondre aux exigences du vivre ensemble. L'histoire des deux rives est à un tournant décisif.
Mustapha Chérif est islamologue, ancien ministre algérien. Journal Le Monde- le 11 juillet 2008
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