Dans un point de vue publié par La Tribune, Michel Derdevet, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, estime que l'Union pour la Méditerranée doit proposer un "new deal" global, pour promouvoir à la fois l'intégration régionale des marchés de l'énergie et assurer la viabilité écologique du secteur.
À quelques jours du sommet consacré à l'Union pour la Méditerranée, le 13 juillet prochain, l'énergie est un domaine emblématique des défis et des enjeux d'un partenariat renouvelé entre les deux rives de la Méditerranée.
L'urgence est là. Neuf millions de Méditerranéens n'ont pas accès à l'électricité, et la demande totale en énergie de la région pourrait augmenter de 65 % d'ici à 2025. Elle serait alors satisfaite à 87 % par des énergies fossiles, avec les conséquences environnementales induites.Deux fractures énergétiques apparaissent, l'une entre le nord et le sud de la Méditerranée, l'autre entre pays du Sud.
Les pays de l'Union européenne riverains de la Méditerranéeont peu de ressources énergétiques fossiles, mais absorbent les deux tiers de l'énergie qui y est consommée, quatre d'entre eux (France, Espagne, Italie, Grèce) étant responsables de 70 % des émissions de CO2.
À l'inverse, les pays de la rive Sud ont des besoins bien moindres, mais en très forte croissance. Les ressources énergétiques sont par ailleurs très concentrées dans quelques pays du Sud, et c'est la deuxième inégalité majeure; l'Algérie, la Libye et l'Égypte, et à un moindre degré, la Syrie et la Tunisie exportent 50 % de leur pétrole et 90 % de leur gaz, tandis que tous les autres sont importateurs nets.
Pour répondre à ces deux fractures, trois priorités se dessinent : 1) bâtir un véritable partenariat énergétique Nord-Sud,2) renforcer les infrastructures énergétiques 3) faire émerger un modèle commun de développement durable.Des relations sereines et durables doivent d'abord être établies entre le Nord et le Sud autour d'un "partenariat énergétique".
Les pays de la rive nord évoquent souvent, de manière défensive, la "sécurité des approvisionnements" et la dépendance vis-à-vis des pays producteurs. Il faut nuancer cette approche, trop négative, et mettre plutôt l'accent sur l'interdépendance. Le bon fonctionnement des économies européennes nécessite un approvisionnement sûr et continu: 36 % des importations en gaz naturel et 20 % des importations de pétrole de l'Union européenne viennent des pays producteurs méditerranéens.
Mais la dépendance des pays du Sud vis-à-vis de l'Europe est encore plus forte: 86 % de leur production de gaz naturel et 49 % de celle de pétrole sont destinés à la rive nord.
Les liens énergétiques sont ainsi créateurs d'interdépendance et de solidarité. La sécurité des approvisionnements et la sécurité de la demande sont les deux facettes d'une même pièce.
L'interdépendance passe aussi par un renforcement des infrastructures énergétiques. Vingt-huit pays européens sont aujourd'hui interconnectés et vivent au même "tempo" électrique. Cette interconnexion des réseaux électriques, facteur historique de solidarité et de complémentarité des moyens de production, va de la péninsule balkanique jusqu'au Maghreb, grâce à un câble sous-marin qui permet au Maroc, à l'Algérie et à la Tunisiede faire partie intégrante de l'Europe électrique.
L'horizon de demain est d'aller encore plus loin et d'achever la construction des 8.000 kilomètres de la "boucle électrique méditerranéenne". Quel plus beau symbole d'une coopération réussie que cet anneau électrique lorsqu'il reliera l'ensemble des pays riverains de la Mare nostrum!La troisième priorité concerne l'avènement d'un modèle de développement énergétique durable: en 2020, la demande énergétique de la région devrait être satisfaite à 83 % par des énergies carbonées, notamment le gaz naturel, sans permettre pour autant une réduction des besoins en pétrole et en charbon. Ces projections incitent au pessimisme pour la maîtrise des émissions et des consommations énergétiques.
Le problème de demain n'est pas tant la pénurie des ressources énergétiques que leur utilisation rationnelle et économe. Il faut penser dès aujourd'hui à un avenir énergétique durable, y compris pour les pays producteurs dont les ressources ne sont pas renouvelables. Il s'agit de se préparer à l'après-hydrocarbures. Or, les énergies renouvelables sont encore balbutiantes dans la région, hormis l'hydraulique (Assouan, Turquie, Maghreb), le solaire en Israël, ou quelques projets éoliens au Maroc.
Des programmes ambitieux commencent à être lancés. Il faut les encourager et faciliter leur réalisation. Et ouvrir aussi, sans doute, la possibilité de recourir au nucléaire, énergie sans laquelle les objectifs de réduction des émissions de CO2 seront peu atteignables, ici comme ailleurs.La page qui s'ouvre le 13 juillet est capitale. L'Union pour la Méditerranée doit proposer un "new deal" global, pour promouvoir à la fois l'intégration régionale des marchés de l'énergie, accroître la sécurité énergétique, par la diversification des sources d'énergie et des filières d'approvisionnement notamment, et assurer la viabilité écologique du secteur.
Il faut penser un cadre plus étendu de développement énergétique, englobant la protection de l'environnement, la lutte contre la pauvreté énergétique, la recherche et le transfert de technologie, avec de véritables partenariats industriels.Le 18 avril 1951, en signant le traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca), six pays sont allés de l'avant et ont donné du sens à un projet partagé de construire un espace de paix et de développement économique fondé sur l'énergie.
L'heure n'est-elle pas venue, comme l'assemblée parlementaire euroméditerranéenne nous y invite, d'une Communauté de l'énergie euroméditerranéenne (CEEM), pour contribuer à la sécurité de l'approvisionnement énergétique, attirer les investissements et privilégier un mode de développement durable ? Une telle initiative redonnerait à l'évidence une perspective concrète et dynamique au formidable "carrefour de civilisations", selon l'expression de Fernand Braudel, qu'est la Méditerranée.
Michel Derdevet, maître de conférences à l'Institut d'études politiques de ParisSource : La Tribune
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