Guaino : "l'UPM permettra des projets à géométrie variable"

Après le succès du lancement par Nicolas Sarkozy de l'Union pour la Méditerranée (UPM), le 13 juillet dernier à Paris, le projet entre dans sa phase de construction proprement dite. Qui n'est pas la plus simple. Il faut approfondir les projets qui vont être lancés et surtout donner vie aux institutions qui vont les mettre en oeuvre. Conseiller spécial du Président de la République, Henri Guaino a reçu lepoint.fr dans son bureau de l'Elysée pour s'expliquer sur le rôle qu'il compte jouer dans cette deuxième étape de la construction d'une UPM qu'il a portée depuis ses débuts. En filigrane, la volonté de batir sans le frein de l'unanimité ou de la bureaucratie - deux tares du fonctionnement actuel de l'Union européenne au yeux de la plume du président - les ponts qui manquent entre les deux rives de la Méditerranée.
lepoint.fr : Après le succès du lancement de l'Union pour la Méditerranée (UPM), quel est votre état d'esprit ?
Henri Guaino : La satisfaction du devoir accompli après un sommet historique dont beaucoup prédisaient l'échec assuré. Tout le monde est venu, à l'exception de la Libye, et tout le monde a exprimé sa volonté de travailler ensemble. Je pense notamment au retour de la Syrie dans le jeu diplomatique.
Elle a annoncé qu'elle allait ouvrir une représentation diplomatique à Beyrouth, ce qui est historique puisque depuis sa création elle n'a jamais reconnu la souveraineté du Liban. Mais ce succès est surtout une incitation à aller plus loin, à travailler pour que l'UPM, au-delà de cet impulsion extraordinaire qui vient d'être donnée, devienne une réalité quotidienne.
lepoint.fr : Après le sommet du 13 juillet, quel est maintenant votre rôle dans le projet de l'UPM ?
H.G : Il reste le même : faire en sorte, par tous les moyens, que s'accomplisse ce projet auquel tient tant le Président de la République et auquel je suis viscéralement attaché. Il nous reste à accomplir deux révolutions.
La première : partager les responsabilités entre le Nord et le Sud en organisant la coprésidence et le secrétariat permanent.
La deuxième : passer de la logique administrative et bureaucratique à la logique de projet. D'une logique où le budget passe avant le projet et le conditionne à une logique où les bons projets mobiliseront des ressources, comme cela se passe dans la vie normale où l'on commence par avoir des idées, élaborer des projets, avant de chercher partout où l'on peut les moyens de les réaliser.
lepoint.fr : Quels seraient ces projets ?
H.G : Il y a d'abord les grands projets emblématiques évoqués lors du sommet et qui recueillent un consensus comme la dépollution de la mer, l'eau, l'énergie solaire, la sécurité civile... Pour l'avenir il s'agira de fonctionner à géométrie variable, c'est-à-dire que ceux qui veulent porter ensemble un projet puissent le faire sans en être empêchés par quiconque.
Si un petit nombre de pays veulent s'unir pour créer un centre méditerranéen de la recherche scientifique, on les aidera. Il n'est pas nécessaire que tous les pays y participent. Le Liban a proposé que le siège soit à Beyrouth. C'est une institution qui pourrait à la fois favoriser la recherche en commun et la mobilité des chercheurs.
Dix pays ont envie de faire ensemble un politique commune dans le domaine du tourisme il faut qu'on les aide à le faire. D'autres veulent créer une banque de la Méditerranée, on les aidera. On aimerait faire un Erasmus méditerranéen.
On verra qui participe, qui ne participe pas, mais le projet est sur la table. Et puis une université commune, sujet que les Allemands ont évoqué, dont certains départements seraient sur une rive, d'autres sur l'autre. Il y aura aussi un volet sur la sécurité alimentaire. Il va bien falloir réfléchir à l'articulation de ce que va devenir la PAC avec les agricultures du Sud de la Méditerranée.
On ne peut pas accepter les émeutes de la faim en Méditerranée. Il faudra bien aussi réfléchir à une gestion en commun des flux migratoires. En fait, plus il y aura de projets grands ou petits et plus l'Union avancera. Il faut susciter ces projets, les encourager y impliquer les sociétés civiles.
lepoint.fr : N'y a-t-il pas cependant des projets qui demandent la participation de tous ?
H.G : Si, la dépollution de la Méditerranée, par exemple, exige la participation de tous les riverains. Y compris les Libyens. Outre le fait de résoudre un problème écologique très grave, qui a des conséquences économiques, cela oblige tout le monde à travailler ensemble et participe au tissage de solidarité concrètes de plus en plus étroites entre tous les peuples. Ce sont des projets comme cela qui vont nous aider à lancer la dynamique, une fois résolu les problèmes de règles du jeu et d'institutions.
lepoint.fr : Pour l'instant, le seul budget dont on soit sûrs, c'est celui du processus de Barcelone, qui prévoit deux milliards d'euros par an...
H.G : L'UPM, en tant que refondation du processus de Barcelone, pourra solliciter les fonds communautaires, encadrée par les procédures propres à l'Union Européenne. Mais l'UPM ira aussi chercher des ressources ailleurs, projet par projet. Déjà la dynamique politique de l'UPM crée de nouvelles ressources.
Ainsi, la Caisse des Dépôts avec son homologue italienne viennent de lancer un fonds de la Méditerranée, qui devrait rapidement atteindre 600 millions d'euros. Les fonds souverains du Golfe veulent investir en méditerranée. Il y a aussi la Banque mondiale, les Etats riverains, les entreprises...
Tout ce qui concerne le domaine de l'eau intéresse beaucoup d'entreprises. Tout comme le nucléaire ou le plan solaire. Les ressources existent, il y a beaucoup d'épargne en Méditerranée, ce qu'il faut ce sont de bons projets. Le but c'est que la Méditerranée devienne le plus grand laboratoire du monde du codéveloppement et le 13 juillet tout le monde a exprimé cette volonté.
lepoint.fr : Combien seront les membres du secrétariat général, quelles seront leurs fonctions ?
H.G : Le secrétariat sera le plus léger possible en fonction de l'étendue de ses compétences.. L'essentiel est qu'il soit efficace et paritaire : la moitié des membres venant des pays membres de l'Union européenne, l'autre de ceux qui ne le sont pas. Il y a plusieurs candidats pour accueillir le futur siège de l'UPM : Tanger, Tunis, Barcelone, Malte, Marseille.
Et c'est à Marseille que se tiendra en novembre prochains la réunion des ministres des Affaires étrangères de l'Europe et de la Méditerranée. La France a indiqué sa préférence pour une implantation dans un pays du Sud, mais cela se règlera par consensus. La question de la compétence du secrétariat ou de la coprésidence seront plus compliquées à résoudre, parce que c'est là que se joue le partage des responsabilités, si nécessaire pour rééquilibrer les relations Nord- Sud et ne pas reproduire les causes de l'échec du processus de Barcelone.
lepoint.fr : Sur quels projets travaillez-vous en dehors de l'UPM ?
H.G : J'ai une fonction transversale qui me fait m'intéresser à tous les sujets. Il y a des sujets qui me passionnent beaucoup comme le grand Paris, qui est d'abord un projet urbanistique, architectural, culturel, social avant d'être institutionnel.
Ce qui au fond m'intéresse le plus, c'est d'illustrer une politique de civilisation, comme on est en train de le faire pour la Méditerranée, pour Paris ou pour l'école. Je me pose aussi la question de savoir comment nous allons pouvoir positionner toutes les politiques publiques en fonction de ce qui est en train de changer profondément dans le monde. Le monde tel qu'on l'avait imaginé après la chute du mur du Berlin est désormais derrière nous.
Il est en train de passer de l'abondance à la rareté, de la déréglementation à la " reréglementation ", de la déflation à l'inflation.
Il est marqué par le retour de ce que l'on appelait jadis l'ancienne économie, et dans presque tous les pays du monde sauf en Europe, par un retour très fort du volontarisme politique des politiques industrielles, commerciales et puis il y a le climat, l'écologie qui ramène de la politique dans l'économie. Il manque à la France et à l'Europe quelque chose qui pourrait jouer le même rôle que le commissariat au plan dans la phase de reconstruction et des 30 glorieuses. Plus le monde est ouvert, plus il est incertain, plus il change et plus il faut de prospective et de stratégie et non pas moins. La France, l'Europe ont besoin d'une vision et d'une stratégie à long terme qui soit capable d'anticiper et de prendre en compte, dans la durée, les grandes ruptures dans l'économie, dans la société, dans la géopolitique.
Le Point.fr - le 20 juillet 2008

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