L’Union pour la Méditerranée est d’abord un projet culturel de par le patrimoine historique et civilisationnel commun. Mais pour le construire, faut-il trop se baser sur la mémoire partagée ou plutôt regarder les défis du présent et essayer d’y apporter des réponses communes ?
C’est autour de cette problématique qu’ont débattu les chercheurs, universitaires et journalistes durant l’atelier « Culture et civilisation : diversités et convergences » dans le cadre du Forum de Réalités sur « L’Union pour la Méditerranée : Enjeux et Perspectives ».
Présidant l’atelier M. Mohamed Hassine Fantar, président de la Chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations, a souligné l’importance d’une assise culturelle pour chaque projet politique car elle est garante de sa réussite.
A cet effet, il a rappelé que les hommes politiques et les diplomates ont beaucoup parlé de l’Union pour la Méditerranée sans y associer les peuples de la région et surtout les jeunes. Selon lui, il faut mobiliser ces derniers et leur donner un idéal pour qu’ils adhèrent au projet.Il a donné ensuite la parole à M. Khalifa Chater, de l’Association des Etudes Internationales. L’intervenant a beaucoup insisté sur le passé commun qui n’est pas nécessairement un passé paisible mais plutôt la manifestation des divergences culturelles et religieuses. Les populations de la Méditerranée se culpabilisent les unes les autres, ce qui rend difficile un vrai dialogue et une vraie réconciliation.
Pour cela, M. Chater suggère d’assainir la mémoire commune et de relire l’histoire.
Sur la même longueur d’onde a été M. Yadh Ben Achour, professeur à la Faculté des Sciences Juridiques Tunis II, qui a voulu rappeler que la Méditerranée n’est pas un havre de paix et que des convergences profondes séparent les cultures du Nord et du Sud. Ils n’ont été réunis que sous la domination romaine. Le vrai clash entre les deux rives a commencé, selon lui, à partir de l’arrivée des Arabes et l’adoption de l’Islam. Une vraie rupture s’est opérée, que le conflit entre les deux religions monothéistes n’a cessé d’alimenter.
Mais la Méditerranée est aussi une zone d’échanges, essentiellement commerciale depuis les Phéniciens. M. Ben Achour considère que pour réussir le projet de l’Union pour la Méditerranée, il faut pacifier la mémoire. Le dialogue inter religieux est fondamental dans cette opération.
M. Mezri Haddad, docteur en philosophie morale et politique (Paris IV Sorbonne) partage lui aussi ce constat que la Méditerranée est une zone de tension. En témoignent les différents conflits qui y sévissent actuellement. Dans ce cas, comment parler d’une Union?
Tout en approuvant le projet, M. Haddad pense que pour le concrétiser, cela nécessite plus de lenteur, de réflexion et d’intelligibilité. Il a l’impression qu’il y a eu une certaine précipitation dans l’annonce de l’Union pour la Méditerranée et dans la volonté de la réaliser. Pour lui, cette union est une idée en gestation et qu’il faut agir ensemble pour qu’elle voie le jour avec une vision globale et claire des choses, basée sur la substance civilisationnelle.
Mais encore faut-il recoller et faire renaître la civilisation méditerranéenne fragmentée afin de construire une identité commune.
Se concentrer davantage sur les défis du présent M. Zyed Krichen, Rédacteur en chef de Réalités, a quant à lui souhaité attirer l’attention sur le fait que la réalité présente est différente de la réalité historique. Il faut donc arrêter de regarder vers le passé et d’avoir des visions fantasmagoriques autour de la mémoire commune. Il faudrait plutôt s’intéresser aux défis du présent et les affronter.
Selon lui, si les populations méditerranéennes vivent un malaise aujourd’hui, ce n’est pas à cause des conflits historiques mais à cause des pressions des temps modernes et du rétrécissement culturel, social et religieux. Et ce ne sont pas des problèmes propres aux populations de la rive Sud. La rive Nord est aussi concernée. Pour cela, M. Krichen suggère qu’il faut cesser de regarder le passé avec l’affect et de se concentrer sur la construction de l’avenir, tout en se basant sur les intérêts communs.
Une opinion vivement partagée par M. Aziz Cherkaoui, auteur d’un livre qui vient de sortir sur « L’Union pour la Méditerranée ». Il estime qu’il faut regarder ensemble vers le futur et essayer à travers ce nouveau projet d’Union de dépasser les défaillances du Processus de Barcelone.
Pour lui, l’Europe a négligé la Méditerranée et elle a eu tort. Et les pays du Sud sont trop plongés dans une logique de victimisation. L’Union pour la Méditerranée serait une chance pour eux de dire leur mot, d’imposer leur vision et de défendre leurs intérêts. Ils ne doivent donc pas la rater. Il a ensuite beaucoup insisté sur le rôle de la culture pour réunir les deux rives.
Dans ce sens, il a suggéré un ensemble de mesures pour renforcer ce rapprochement. Il s’agit de créer : une université méditerranéenne pour l’éducation, la recherche scientifique et la formation professionnelle, une fédération des instituts de culture de la Méditerranée et un observatoire méditerranéen pour un tourisme culturel et écologique.
Mme Khadija Mohsen Finan, de l’Institut Français de Relations Internationales, a insisté pour sa part sur le volet politique dans le projet de l’Union pour la Méditerranée. Elle considère que pour se réunir, il faut la volonté d’établir un espace politique partagé.
Elle a souligné à cet effet la centralité du conflit israélo-palestinien qui reste le principal obstacle pour une paix durable dans le bassin. Cependant, elle a expliqué que cet obstacle n’est pas insurmontable.
M. Ridha Chennoufi, professeur en philosophie politique à l’Université de Tunis, a souhaité, quant à lui, revenir sur le concept même de la culture qui est un ensemble de valeurs formant le monde social des peuples. Il a attiré l’attention sur les divergences linguistiques et culturelles entre les populations des deux rives Nord et Sud et que chaque tentative de transférer les valeurs d’un espace dans l’autre a échoué. Il faut donc une reconnaissance mutuelle de la différence de l’Autre et un dépassement des visions auto-centriques.
Nécessité de pacifier la région M. Mohamed Chakroun, Directeur de l’Institut de Civilisation, Université la Zitouna, a considéré pour sa part qu’avant tout, il faut pacifier la région afin de pouvoir enfin construire une union.
Aussitôt, M. Fantar a ouvert le débat. Ce fut à M. Mohamed Kilani, journaliste et cadre de banque, d’intervenir en premier pour souligner la nécessité afin de réussir le projet de l’Union pour la Méditerranée d’une parité fondamentale entre le Nord et le Sud.
M. Khaled Tebourbi, enseignant et journaliste, a de son côté, rappelé le passé glorieux de la région méditerranéenne sous le règne des Phéniciens qui étaient les premiers à avoir réussi à créer une zone de libre-échange, invitant aujourd’hui les pays du Bassin à continuer sur leur modèle.Quant à M. Aïssa Baccouche, ancien secrétaire général de l’UGET et ancien Maire de l’Ariana, il a vivement soutenu la nécessité de réécrire l’histoire à quatre mains, de faire l’inventaire du passé pour pouvoir dépasser et construire ensemble.
Mme Fatma Haddad, professeur d’histoire des philosophies politiques a pour sa part appuyé l’idée qu’on ne peut pas détacher l’aspect économique de l’aspect culturel dans le projet de l’Union pour la Méditerranée.Intervenant en dernier lieu, Mme Zeineb Farhat, directrice d’El Teatro, a voulu illustrer par un exemple la capacité des peuples à dépasser les conflits historiques pour partir sur des bases nouvelles.
Elle a cité celui des couples juifs et palestiniens, musulmans ou chrétiens, qui sont en train de se former dans les territoires occupés après 1948. Ces couples qui se créent, malgré le contexte de guerre, témoignent fortement de la possibilité de construire ensemble un avenir commun en dépit des conflits.Le mot de la fin fut donné par M. Fantar, qui a rappelé dans ce sens la réconciliation franco-allemande après tant de guerres qui avaient vu se confronter les deux pays.Dépasser les convergences entre les populations de la Méditerranée est donc possible et le projet de l’Union pourrait être fédérateur pour la création d’une paix durable.
Hanène Zbiss - Réalités On line - le 9 juillet 2008
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