Portée sur les fonts baptismaux le 13 juillet, l'Union pour la Méditerranée encourt les mêmes travers que d'autres projets français à vocation universaliste, comme l'Europe ou l'euro.
Depuis le VIIe siècle, la Méditerranée, qui jusque là, en dépit de sa diversité ethnique avait été une communauté politique et culturelle, en particulier au sein de l'Empire romain, est devenue une frontière entre le monde européen et chrétien au Nord et le monde musulman au Sud.
Même la période coloniale qui vit pourtant durant cinquante ans les mêmes pouvoirs régner sur les deux rives ne réussit pas à abolir la césure. Loin de nous l'idée que le monde serait voué à la guerre des grandes aires culturelles et religieuses, à un inévitable «choc des civilisations».
Mais entre le bon voisinage et le mariage, il y a un pas que le sens des réalités interdit de franchir. En un sens le projet d'Union méditerranéenne, qui prétend faire tomber les barrières entre les cultures de la Méditerranée, est encore plus utopique que celui de l'Union européenne dont l'ambition était «seulement» de surmonter les différences nationales ! Au demeurant la méthode envisagée n'est pas très différente de la méthode Monnet qui devait faire avancer l'Europe supranationale : rapprocher les peuples au moyen de coopérations concrètes, principalement économiques, conduites au travers d'institutions de plus en plus contraignantes.
Une diplomatie coûteuse
Malgré ces réserves, l'Union méditerranéenne, après tout, pourquoi pas ? Pourquoi pas si la France, première puissance méditerranéenne, doit s'en trouver renforcée. Il est vrai qu'à cet égard, le projet est déjà largement plombé par la prétention des vingt-sept, Allemagne en tête et Finlande comprise, d'y participer. C'est un ministre français, Jean-Pierre Jouyet, illustre membre du groupe de Bilderberg, qui aurait remonté les Allemands contre le projet de Nicolas Sarkozy, comme c'était Jean Monnet qui avait remonté une partie du Bundestag contre le traité d'amitié franco-allemand du 23 janvier 1963. Dans les deux cas, le motif est de préserver l'Europe supranationale – et sans doute les intérêts américains.
Il est vrai que Jean Monnet, lui, n'était pas ministre en 1963 et que, s'il l'avait été, le général de Gaulle, qui savait se faire respecter, n'aurait pas toléré qu'il le demeurât. Pourquoi pas l'Union méditerranéenne, à condition que pour faire avancer sa «grande idée», la «grande nation» ne sacrifie pas, une fois de plus, ses intérêts moraux et matériels comme elle le fait chaque fois qu'elle veut promouvoir une nouvelle lubie. Comme ses élites ont, chaque fois qu'elles l'ont cru nécessaire, sacrifié les intérêts français, sous le regard narquois de nos partenaires, pour faire aboutir les projets européens, à commencer par la monnaie unique, projet français d'emblée aligné sur le mark au mépris des intérêts de l'économie française ou encore EADS où, en partie par idéalisme européen, la France a, sans contrepartie, partagé son savoir-faire aéronautique.
A voir ce qui se passe depuis un an, ce risque apparaît bien réel : nous nous sommes ridiculisés à recevoir Kadhafi à Paris dans les conditions que l'on sait, un Kadhafi qui finalement ne marche pas : «Oignez vilain, etc.» ! N'allons nous pas, pour continuer sur cette voie, reconnaître de facto la tutelle de la Syrie sur le Liban ? Triste spectacle en tous cas que celui du président Assad fils assistant au défilé du 14 juillet quand on sait la responsabilité de son régime dans l'assassinat de notre ambassadeur Louis Delamarre, grand artisan de paix s'il en fut, le 4 septembre 1981 et celui de 58 soldats français lors de l'attentat du «Drakkar» le 23 octobre 1983 !
De même avons nous été conduits à donner un douteux satisfecit en matière de droits de l'homme au président Ben Ali, à consentir une semi-repentance à l'Algérie, et pour avoir trop cherché à séduire celle-ci, à nous aliéner le Maroc. Pendant ce temps étaient mises en veilleuse les réserves électorales du candidat Sarkozy vis-à-vis de l'entrée de la Turquie dans l'Union. Sur le plan économique, on ne peut que craindre que quelques uns de nos intérêts ne soient aussi mis à mal pour faire aboutir ce grand projet qui pourrait s'avérer in fine n'être que du vent.
Le gaullisme, un idéalisme... réaliste
Mais, dira-t-on, n'est ce pas en cela que Nicolas Sarkozy est fidèle au génie de la France tel qu'il fut incarné le général de Gaulle : promouvoir de grandes idées, mettre de l'idéalisme donner de l' élan, dépasser la froideur de rapports internationaux ? Justement non.
Car si le général de Gaulle avait le souci de la grandeur de la France, il n'ignorait pas que le premier devoir des dirigeants, avant de faire briller leur pays, est de défendre le pain quotidien des dirigés. Ce qui impliquait, pour ce pourfendeur infatigable de ce qu'il appelait les « chimères », de savoir conjuguer les grandes idées avec le plus froid des réalismes. Jamais il ne sacrifia les intérêts des agriculteurs français sur l'autel de l'Europe : bien au contraire, sa politique intransigeante sauva le marché commun agricole qui nous était très favorable.
Ses attaques contre le dollar, si mai 68 ne les avait empêchées d'aboutir, auraient enrichi la France qui avait accumulé des réserves en or. Ses réticences à l'entrée de la Grande-Bretagne dans le Marché commun étaient aussi fondées sur des raisons d'intérêt : il ne voulait pas que nous ayons à payer les «balances sterling». T
oujours ardent à coopérer, il sut ne pas le faire quand l'avance technique française était en jeu, comme dans le nucléaire. L'idéalisme bien français des grands projets est destructeur – on le voit bien avec l'euro – quand il n'est pas accompagné de ce réalisme terre à terre qui conduit préserver non seulement nos intérêts matériels et moraux, mais aussi nos amitiés, partant notre honneur et notre crédibilité.
Par Roland Hureaux - Marrianne2.fr - le 13 Juillet 2008
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