La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord cumule les extrêmes. Le chômage y est plus élevé que dans n’importe quelle autre région en développement, particulièrement chez les femmes et les jeunes, avec un taux deux fois supérieur à la moyenne.
Ses économies font partie des moins diversifiées, puisque l’indice Herfindahl (qui mesure la concentration des exportations autour de quelques produits de base) va de 0,6 à 1 pour la plupart des pays. La région MENA affiche aussi l’un des plus forts taux de pannes de courant par mois. Le rapport entre masse salariale publique et privée est l’un des plus élevés du monde. Enfin, la région bénéficiait, jusqu’à récemment, d’une croissance annuelle du PIB de 4 à 5 %, même si cette moyenne masque une trajectoire de croissance très irrégulière.
Ces résultats sont le fruit des politiques suivies jusqu’en 2014. Alors que la région MENA abrite 8 % de la population mondiale et produit 5 % de la richesse globale, elle représente 48 % de toutes les subventions à l’énergie consenties dans le monde. Celles-ci ont tendance à perpétuer les industries énergivores, souvent vieillissantes et peu créatrices d’emplois, à l’inverse des structures récentes et de petite taille. Ces subventions constituent donc une forme d’impôt sur le travail et entretiennent un niveau de chômage élevé. Elles restreignent aussi les moyens et les incitations à entretenir le réseau électrique, d’où ces coupures chroniques de courant. Quant aux subventions au gazole, elles encouragent les agriculteurs à pomper l’eau, menaçant, plus que partout ailleurs, l’équilibre hydrique local. Enfin, les subventions au carburant incitent les habitants à utiliser plus souvent leurs véhicules. Les embouteillages le long des onze principaux axes routiers de la ville du Caire entraînent à eux seuls chaque année une perte de compétitivité pour l’Égypte de 2 milliards de dollars.
Dans pratiquement tous les pays de la région MENA, les salariés du secteur public sont mieux payés que leurs homologues du privé. Résultat, les jeunes affichent une nette préférence pour la fonction publique. Dans certains pays du Conseil de coopération du Golfe, le gouvernement va jusqu’à « compléter » les rémunérations des salariés du privé. Il va sans dire qu’avec autant de fonctionnaires bien payés, le secteur privé peine à se diversifier. Enfin, la croissance est volatile, parce que très peu de pays dépendants des produits de base se sont dotés de règles budgétaires pour gérer les fluctuations des cours. Lorsque le pétrole augmente, par exemple, un pays exportateur aura du mal à résister à la tentation de dépenser (aggravant ce faisant son déficit budgétaire), de sorte qu’il est contraint de réduire la voilure quand les cours baissent, ce qui freine encore un peu plus la croissance.
À la suite des contestations populaires du Printemps arabe, en 2011, et alors que les cours du pétrole étaient élevés, tous les pays (importateurs et exportateurs) ont choisi d’augmenter les subventions et les salaires de la fonction publique, ce qui n’a fait qu’aggraver les difficultés. En Arabie saoudite, le programme d’aides sociales prévoyait une hausse de salaires pour les fonctionnaires, des créations d’emplois et des dispositifs d’effacement de dette, pour une enveloppe de 93 milliards de dollars. L’Égypte et la Tunisie, deux pays importateurs de pétrole dopés par les transferts de fonds des migrants et l’aide de pays exportateurs, ont elles aussi augmenté les subventions et les salaires de la fonction publique. Pour les pays exportateurs de pétrole, les subventions à l’énergie et des rémunérations élevées dans le secteur public sont deux solutions parfaitement inefficaces pour redistribuer la manne pétrolière. Quant aux pays importateurs, dépendants des transferts des migrants et de l’aide des pays exportateurs, ils se comportent tous comme des États rentiers, sauf qu’ils n’en ont pas les moyens.
L’effondrement des cours du pétrole depuis le second semestre de 2014 modifie la donne.Pratiquement tous les pays exportateurs de pétrole taillent dans leurs subventions (carburants, électricité, gaz et eau). Si les Émirats arabes unis ont surtout supprimé les subventions aux carburants, bon nombre de pays réduisent les dépenses publiques et certains, comme l’Algérie, gèlent tout recrutement dans la fonction publique. Le Maroc et plusieurs pays du Golfe ont pris des mesures d’efficacité énergétique pour réduire les émissions de carbone. Dans le groupe des pays importateurs de pétrole, l’Égypte, la Jordanie et le Maroc — qui ont engagé des réformes des subventions en 2014 — abandonnent le tarif domestique fixe des carburants pour l’indexer sur les cours mondiaux.
Autrement dit, la baisse du prix du pétrole induit des changements politiques substantiels qui devraient aider la région MENA à surmonter un grand nombre de problèmes récurrents depuis un certain temps. À coup sûr, ce n’est que le début d’une tendance de fond. Pour tirer le meilleur parti de cette atonie des cours, les pays de la région doivent agir sur au moins trois fronts : i) réformer en profondeur la fonction publique, pour introduire une plus grande responsabilité vis-à-vis de la population qui, ce faisant, acceptera mieux de payer plus cher ses services publics ; ii) adopter des règles budgétaires (a) pour lisser la consommation en cas de chocs sur les prix, inévitables ; et iii) pour les pays exportateurs de pétrole, mieux redistribuer la rente, en recourant éventuellement aux transferts forfaitaires (a).
Par Shanta Devarajan - Source de l'article le Blog de Banque Mondiale
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