Le monde bouge, et avec une rapidité stupéfiante. Il a y eu plus de changements ces trente dernières années qu’au cours des trois siècles écoulés. Et l’avenir proche est incertain.
Une certitude : le monde de demain sera multipolaire, et les institutions et les lois internationales devront être adaptées. Un monde multipolaire dans lequel les seules données en croissance sont les injustices et les inégalités. Selon différentes études de l’Organisation des nations unies (ONU), dans seulement quatre ans, la population des classes moyennes aura triplé en Asie. En 2020, elles seront donc plus nombreuses qu’en Occident.
Sortir des logiques de concurrence
Nous assistons à un renversement majeur du rapport des forces économiques et donc géopolitiques. De nombreux foyers de tensions et des guerres témoignent de la recherche de leadership économique, donc politique. Mais en toile de fond, le capitalisme recherche la meilleure voie pour assurer son avenir et sa prospérité.
C’est dans ce cadre que se poursuivent en catimini les négociations sur le Traité de libre-échange transatlantique (TAFTA) avec la recherche de domination impériale des États-Unis sur l’Europe. Ce projet, s’il aboutissait, instituerait la zone de libre-échange la plus importante de l’Histoire, couvrant 45,5 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial, 850 millions de consommateurs, où marchandises et investissements vogueraient librement par-dessus l’Atlantique.
Autant dire que le défi principal de notre époque est l’implication des citoyens de la planète à construire un monde où chacune et chacun peut vivre, s’épanouir et s’émanciper, libre, en paix, dans le respect de la personne et de notre environnement. L’urgence est donc à sortir des logiques de concurrence et de domination qui ne font qu’accroître les inégalités, les migrations et à diminuer l’espérance de vie de notre planète.
Construire une politique méditerranéenne de sécurité collective et de paix
Dans ce cadre, la France dans l’Europe a un rôle majeur à jouer, en sortant du soutien atlantiste et des logiques d’allégeance envers tout autre pays dont l’ambition serait d’imposer sa domination sur tout ou une partie du monde. Géographiquement positionnée à la fois sur la façade atlantique, en cap extrême de l’Europe et de l’Asie, à la jonction entre le Nord et le Sud de l’Europe et en interface naturelle de l’Afrique, la France baigne enfin dans la mer Méditerranée dont l’histoire nous a mêlés au destin de nombreux peuples.
Faisons de cet héritage et de cette réalité le socle pour construire une politique méditerranéenne de sécurité collective et de paix fondée sur les droits des peuples et promouvoir de nouvelles coopérations. Creuset de civilisations, l’aire méditerranéenne a une histoire, des cultures, des modes de vie qui se rencontrent et s’entrelacent depuis des siècles voire des millénaires. De la Grèce à la Syrie, en passant par la Turquie et la Palestine, cet espace commun vit dans le tourment.
La construction d’espaces de coopérations est le défi le plus pressant pour réhumaniser notre monde. Coopération dans la sphère de la production et des échanges de biens et de services. Coopération entre les citoyens d’un quartier, d’une ville, entre les territoires et entre les peuples. Les institutions transnationales sont dans l’incapacité ou plutôt le refus d’établir les bases d’un vivre-ensemble planétaire, reposant sur la dignité et l’émancipation des peuples. De l’ONU à l’Union européenne (UE). Je ne parlerai évidemment pas des organisations commerciales ou financières.
Le processus européen est un échec qui tourne chaque jour un peu plus le dos à toutes les aspirations qui fondaient la légitimité du projet. Le chantier de sa refondation prendra du temps. Il incombe à celles et ceux qui croient en la solidarité internationale d’engager la bataille pour des coopérations d’un type nouveau. Une coopération qui ne serait ni une union d’États au sommet encore moins une fédération intégrationniste à marche forcée. Une coopérative où tout le monde serait réellement à égalité. Après tout, une « Union méditerranéenne » aurait au moins autant de légitimité que notre Union européenne.
La Méditerranée doit redevenir le berceau d’humanité et d’échange qu’elle a toujours été. Car, oui, nous avons besoin de relations de haute qualité avec les pays riverains de la Méditerranée. L’actualité tumultueuse et souvent dramatique de cette dernière décennie nous conforte dans l’exigence de comprendre et d’agir. Non pour administrer des conseils, des jugements à des pays souverains ou à leurs peuples, mais pour réfléchir à ce que nous pouvons et devons faire ensemble.
Il ne s’agit ainsi pas seulement de traiter de la place de notre pays dans une politique méditerranéenne, comme c’est le cas actuellement avec cette Union pour la Méditerranée, née sous Sarkozy, reformulée sous Hollande mais toujours marquée par une conception atlantiste et occidentaliste. Il s’agit de répondre à l’exigence de sécurité, de paix, de solidarité et de respect en Méditerranée, indissociable du développement des pays qui la composent. Au plan économique, nous devons réaffirmer l’intérêt de développer et d’amplifier les échanges commerciaux mutuels, créateurs d’emplois.
Au plan politique, nous devons peser dans des dossiers clés comme le conflit israélo-palestinien, la réforme de l’ONU, nous devons chercher à nouer des alliances face aux grandes questions. La France ne doit avoir aucune ambition dominatrice, ses intérêts sont le plus souvent convergents avec ceux de ses voisins du Sud. Le colonialisme et l’esprit de colonie sont morts ; rien ne les ressuscitera. Et plutôt que de ruminer les haines du passé, le souci de se tourner vers l’avenir et les projets communs doivent l’emporter.
La plupart des pays de la rive Sud ont un immense besoin d’emplois et d’activité. Pour la Banque mondiale, il faudrait créer 100 millions d’emplois en dix ans au Moyen Orient et en Afrique du Nord pour stabiliser la situation. Or le rythme actuel est au-dessous de la moitié des besoins.
Une politique de coopération équilibrée est nécessaire en Méditerranée. Elle peut porter évidemment sur l’énergie entre pays producteurs et pays consommateurs. Elle peut porter sur l’agriculture et ainsi éviter l’urbanisation effrénée gonflant les inégalités et les ghettos en banlieue des villes. Cela suppose des politiques d’aménagement des territoires pour fixer les populations rurales en leur assurant de pouvoir vivre de leur travail. Choisissons la préférence méditerranéenne dans certaines productions. Ce serait une mesure de sagesse et de prévoyante intelligence au contraire de la mise en concurrence au niveau des produits agricoles, de la rive Nord et la rive Sud. Cette coopération doit porter aussi sur l’eau, si rare, dont la gestion – de la production à l’assainissement – nécessite de gros investissements.
Dans le domaine de la formation, de la recherche et l’Université, l’insuffisance du travail en commun est criante entre pays francophones. Là sont les clés de la souveraineté des peuples par l’indépendance économique et sociale des pays. Cette coopération doit être aussi culturelle : dans le domaine de l’édition, du cinéma, de la télévision…
Enfin la Méditerranée est le berceau des idées de démocratie, de politique, d’humanisme… Or la communauté internationale est spectatrice d’une véritable tragédie. Sous ses yeux se déroule un crime contre l’humanité. Plus de 30 000 morts en Méditerranée depuis 2000. 3 770 en 2015, un record sinistre. Plus de 1 600 depuis le début de l’année. Avec l’arrivée de l’été, les tentatives désespérées de passage vont se multiplier. Le continent européen est devenu le plus mortifère du monde pour les migrants.
Nous ne pouvons continuer d’ignorer que ces enfants, ces femmes, ces hommes essaient de sauver leur vie en échappant à la guerre, aux persécutions, aux crises économiques dramatiques, aux conséquences du réchauffement climatique dont, directement ou indirectement, elle porte la responsabilité. Si la première des priorités doit être de mettre un terme à cette tragédie en sauvant des vies, il s’agit aussi de redéfinir sa politique des visas respectant les droits de l’homme, de la femme et de l’enfant, être solidaire des pays méditerranéens de premier asile.
Une zone d’accueil et du vivre ensemble
La crise au Proche-Orient explique largement la situation. Les puissances dites occidentales, dont certains États européens, ont une large part de responsabilité dans la déstabilisation de cette région notamment via les guerres en Irak, en Afghanistan ou en Libye. Les États membres de l’Union européenne dont la France ne peuvent pas intervenir militairement sans se préoccuper du sort des populations civiles. Ni économiquement, exiger des plans d’austérité, mettre en place des traités de « libre-échange » avec les pays du pourtour de la Méditerranée sans se préoccuper des conséquences pour les populations. On ne peut faire l’impasse sur des siècles de politiques coloniales qui ont vidé le continent africain ou le Proche et Moyen-Orient de ses richesses, de la maîtrise de ses ressources, de la liberté de ses habitants sous des régimes autoritaires complices de cette prédation.
Les Européens doivent se rappeler leur histoire. Eux qui furent près de 50 millions à migrer vers d’autres continents entre 1850 et la Première guerre mondiale. L’aire méditerranéenne doit être une zone d’accueil et de vivre-ensemble. L’UE doit garantir une entrée sécurisée et légale à tous les réfugiés et migrants.
Parler politique ne peut pas être un supplément d’âme, et c’est moins l’histoire que la globalisation du monde d’aujourd’hui qui nous l’impose. Un monde de plus en plus mobile, dans lequel les échanges se multiplient : les échanges commerciaux mais aussi les échanges entre les êtres humains. Dans le monde globalisé, il faut pouvoir peser. Dans le monde multipolaire en marche, les solidarités méditerranéennes peuvent se révéler consistantes et efficaces face aux intérêts américains ou chinois.
La question n’est pas celle de la sortie de l’Europe, ni de la fermeture de ses frontières. Ce qui nous est posé par la violence et l’inhumanité de la crise internationale des migrations est de définir le rôle politique et économique de l’Europe au XXIe siècle, pour une paix mondiale et de nouvelles coopérations internationales. Mais l’Europe a peur. C’est un continent vieillissant qui a voulu dominer le monde pendant plus de cinq siècles. Aujourd’hui, ses dirigeants cherchent à préserver leurs intérêts, ou du moins ceux des multinationales qui ont leur siège social sur leurs territoires. Alors, il est temps d’inventer un nouveau monde, de nouvelles relations entre les pays de la planète basées non plus sur la domination et le rapport de forces mais sur le partenariat, le respect de l’autre et les besoins des populations.
Ces dernières années ont fait de la Méditerranée un cimetière, par l’intervention populaire, qu’elle devienne la mer de la vie et de la paix. Un espace en commun, d’échanges, de coopérations et de fraternité. Une mare pacis.
Par Jean-Marc Coppola (Membre du Conseil national du PCF. Il est conseiller municipal de Marseille.- La Revue du Projet n°57, mai 2016) Source de l'article Blog Mediapart
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