La sécurité alimentaire est essentielle pour assurer la paix et la stabilité dans la région du sud et de l’est de la Méditerranée (SEMED). Il est maintenant avéré que les pénuries alimentaires et les hausses des prix des denrées de base ont contribué aux troubles sociaux, ancrés dans des revendications politiques plus larges, qu’ont connu nombre de pays de la région.
Laurent Thomas est sous-directeur général de la FAO, responsable du Département de la Coopération technique - |
Aujourd’hui, l’agriculture et les filières agro-alimentaires dans leur ensemble pourraient en revanche représenter une partie de la solution en créant emplois et valeur ajoutée, à condition toutefois qu’un environnement propice et des incitations judicieuses soient mis en place.
La raison de cette perspective est simple. La population de la région Semed devrait passer de 280 millions de personnes aujourd’hui à 400 millions en 2050. La demande en produits agro-
alimentaires de qualité devrait augmenter en fonction de l’accroissement démographique et de l’évolution de la demande liée à la diversification des besoins des classes moyennes. En d’autres termes, les marchés alimentaires intérieurs devraient continuer à se développer, créant davantage d’opportunités économiques et entrepreneuriales tout au long des filières agroalimentaires - de la production à la distribution.
Certains des pays Semed sont confrontés à un défi de sécurité alimentaire et nutritionnelle supplémentaire liée à la pauvreté, avec à la fois des niveaux élevés de malnutrition et une prévalence croissante de l’obésité. La pauvreté, conjuguée à la hausse des prix des produits alimentaires depuis 2008, menace la sécurité alimentaire et nutritionnelle des plus vulnérables et cela contribue au climat d’instabilité sociale et politique. L’obésité dans tous les groupes d’âge et les classes sociales a également atteint des niveaux alarmants, la proportion d’enfants en surpoids ayant doublé en dix ans.
Tous les pays de la région, à l’exception de la Turquie, ont des déficits commerciaux agroalimentaires importants, et qui vont en s’aggravant, l’Egypte et l’Algérie figurant parmi les plus grands importateurs de céréales au monde. Ces déficits les rendent très sensibles aux fluctuations des cours mondiaux des denrées alimentaires.
Si certains de ces pays ont un avantage comparatif relatif en ce qui concerne la production céréalière, ils ont en revanche un avantage comparatif beaucoup plus clair pour la production d’autres produits agricoles comme par exemple les fruits et légumes ou les produits alimentaires transformés. Dans cette perspective, une meilleure intégration des échanges interrégionaux et des systèmes d’import- export plus efficaces pourraient renforcer la sécurité alimentaire aux niveaux national et régional. L’utilisation efficace des ressources naturelles, en particulier les sols et l’eau, devrait guider les investissements dans l’agriculture locale. Les faibles ressources en eau douce de la région ont diminué de deux tiers au cours des 40 dernières années et devraient continuer à baisser de plus de 50 % d’ici 2050. La région utilise déjà plus de 85 % de la totalité de l’eau douce disponible. Presque toutes les terres se trouvent dans des zones arides et 45 pour cent des sols sont dégradés. Des investissements visant à une meilleure gestion des terres et de l’utilisation de l’eau mais aussi à une réduction des gaspillages et des pertes, dans un contexte de changement climatique, sont donc essentiels pour la sécurité alimentaire et la durabilité environnementale.
Dans les pays Semed, l’agriculture emploie près de 25 % de la main-d’œuvre et la moitié de la population vit dans les zones rurales. Plus de 60 % de la population à moins de 30 ans et le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %. Or l’esprit d’entrepreneuriat est vibrant dans la région. Si elles reçoivent l’attention qui leur est due, l’agriculture familiale et les petites et moyennes entreprises (PME) agroalimentaires ont un potentiel élevé de développement et sont susceptibles d’offrir de réelles possibilités d’emploi aux jeunes.
Les pays doivent donc promouvoir des politiques et des incitations appropriées offrant au secteur privé - exploitations familiales, PME et sociétés agroalimentaires – un meilleur accès à l’information, aux technologies, au savoir-faire et aux marchés. Pour développer l’emploi des jeunes, il faut aussi rendre la vie plus attrayante dans les zones rurales. Pour cela, il conviendrait à la fois d’améliorer la productivité agricole pour générer des revenus décents et augmenter les investissements publics dans les infrastructures et les services sociaux.
Les gouvernements et les parlementaires doivent établir un dialogue plus soutenu avec les acteurs privés - notamment les agriculteurs et leurs organisations représentatives - pour définir des politiques et un environnement favorables aux investissements privés. Ce dialogue peut être organisé autour de filières spécifiques pour explorer les moyens d’investir plus et mieux afin de générer revenus, qualité et emplois, pour le bien à la fois des consommateurs et des producteurs.
Le défi pour les pays Semed consiste à la fois à produire de la nourriture en plus grande quantité et de meilleure qualité, à améliorer leur balance commerciale agricole sur la base de leurs avantages comparatifs, mais aussi à minimiser les pertes et à améliorer l’efficacité de l’utilisation de leurs ressources naturelles, en particulier l’eau. Pour résoudre cette équation complexe, il convient d’investir dans des systèmes agroalimentaires durables et inclusifs. La FAO, en collaboration avec la Berd et d’autres institutions financières internationales et nationales, continuera à se tenir aux côtés des gouvernements pour libérer le potentiel des agriculteurs et des entreprises privées, en particulier les petites et moyennes entreprises agroalimentaires, qui tiennent entre leurs mains l’avenir de la sécurité alimentaire et d’une bonne nutrition pour tous dans la région méditerranéenne.
Les enjeux du rendez-vous de Barcelone
Les 5 et 6 mai, Barcelone accueillera une rencontre internationale sur le thème de l’appui du secteur privé à la sécurité alimentaire des pays du sud et de l’est de la Méditerranée (SEMED). Organisé par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et l’Union pour la Méditerranée (UPM), ce forum, auquel participeront hauts responsables gouvernementaux, entreprises du secteur privé, organisations professionnelles, organisations internationales et institutions universitaires et de recherche, vise à élaborer des propositions pour améliorer la sécurité alimentaire, la production et le commerce agricole dans les pays de la région Semed, grâce à un meilleur soutien aux agriculteurs et aux petites, moyennes et grandes entreprises agroalimentaires.
Source de l'article l’Économiste
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