Le Maghreb à la conquête de l'Afrique, une opportunité pour l'Europe et la France

Plusieurs facteurs ont poussé les pays du Maghreb à renforcer leur stratégie économique vers l'Afrique subsaharienne. Le sentiment d'abord d'une relation parfois déséquilibrée entre le Maghreb et les pays du Nord a remis l'idée d'une collaboration Sud-Sud, plus "partenariale", dans l'esprit des dirigeants

Résultat de recherche d'images pour "Carte Afrique Maghreb"D'autres éléments de conjoncture ont été décisifs comme la chute du prix du pétrole et de ses revenus. L'Algérie est particulièrement dans l'urgence d'engager sa diversification et veut développer les voies et moyens d'une croissance durable. Le Maghreb doit rechercher également des nouveaux débouchés pour exporter ses biens, ses services et son capital humain.

De ce constat sont nées, au Maroc et en Algérie, des politiques très volontaristes de développement de relations économiques avec le reste de l'Afrique. Au Maroc, c'est le souverain lui-même, Mohamed VI, qui dirige cette stratégie de conquête de l'Afrique. Soutenu par une nouvelle génération de décideurs, il accompagne toutes les entreprises qui veulent se développer vers le Sud en organisant des tournées de chefs d'entreprise en Afrique, et à l'aide d'un nouveau Comité Afrique qui suit les avancées de ses champions. La diplomatie du Royaume soutient largement ces objectifs économiques: le Maroc a créé de nouvelles représentations diplomatiques en Afrique, et le souverain a décidé d'annuler la dette des pays les plus pauvres. Mohamed VI ne cache pas son désir de faire de Casablanca la porte d'entrée économique de l'Afrique et Casablanca Finance City a pour vocation de véhiculer ce tropisme africain.

L'Algérie poursuit, elle aussi, une stratégie similaire, avec l'effacement de la dette de 14 pays africains pour un milliard de dollars, et la perspective de convertir les dettes existantes en actifs dans les pays africains. Dans un premier temps, le pays souhaite élargir son influence économique dans une demi-douzaine de pays, au Sahel (Niger, Mali, Mauritanie), mais aussi au Burkina, au Cameroun ou au Sénégal. L'Algérie fait partie des 5 pays fondateurs du NEPAD (Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique), le cadre stratégique de l'Union africaine pour le développement socio-économique du continent. Bien, que peu, présente économiquement, elle l'est beaucoup plus au niveau politique et sécuritaire, notamment au sein des instances de l'Union africaine et l'axe Alger-Lagos-Prétroria entend s'imposer au niveau du continent.

Avec 5 à 6% de croissance, l'Afrique constitue une véritable terre d'opportunités. Elle abrite le plus beau potentiel mondial de matières premières, ainsi que 60 % des terres arables non exploitées de la planète. Par ailleurs en 20 ans, la consommation des ménages y a doublé. Pourtant, le niveau des échanges commerciaux avec le Maghreb est encore faible et laisse de belles perspectives.

Progressivement, les politiques volontaristes récemment mises en place ont connu des premiers succès remarqués. Le Maroc a posé les fondations de sa stratégie à travers ses institutions financières.‎ Attijariwafa Bank et BMCE contribuent largement à l'inclusion financière et à l'intégration de l'Afrique. Dans le giron des banques, les sociétés publiques et privées ont suivi cette active présence en Afrique, s'appuyant et capitalisant sur leurs étroites relations avec ces institutions financières. De nombreux acteurs du secteur des télécoms (Maroc Télécom), de l'assurance (Saham), de la promotion immobilière (Addoha), ou encore minier ou agricole (OCP) se sont développés avec succès en Afrique. À titre d'exemple, le Maroc et le Gabon ont conclu un accord sur la production de soufre et produiront 2 millions de tonnes d'engrais dès 2018. Des engrais dont la matière première, les phosphates, proviennent du sol marocain et qui sont opérés par le puissant holding public OCP. Autre secteur, le Maroc développe son industrie des TIC qui représente 4% de son PIB, sachant que les dépenses de l'Afrique en TIC sont estimées à 10 milliards de dollars en 2014. C'est aussi dans ces secteurs d'excellence que la Tunisie entend se positionner où elle possède de solides atouts.

Malgré la création d'un guichet unique de promotion des investissements sur le continent africain, l'Algérie est déterminée à rattraper son retard. Néanmoins, des entreprises publiques déjà actives en Afrique, lorgnent sur les potentialités du marché africain. Sonatrach bénéficie d'une expérience reconnue dans l'assistance des pays africains à structurer leur industrie pétrolière. Une nouvelle route de la soie se dessine de Pékin à Lagos en passant par le Golfe où Dubaï entend s'imposer comme la nouvelle capitale africaine des affaires. Sur la voie des infrastructures, l'Algérie investit massivement pour consolider l'axe Alger-Lagos. Elle est l'un des moteurs politiques et financiers pour la construction de la route transsaharienne pour laquelle elle a déjà investi plus de 3 milliards de dollars. Au niveau des infrastructures pétrolières, le projet du pipeline transsaharien NIGAL‎ qui doit acheminer les hydrocarbures du Nigeria sur les marchés européens en traversant le Niger puis l'Algérie, a de fortes chances d'être réactivé. Au niveau des infrastructures portuaires, le raccordement du port en eaux profondes de Djen Djen devrait permettre de renforcer les échanges économiques vers l'Europe. De grands groupes privés comme Cevital, entreprise pleinement engagée dans la co-production, Benamor ou Condor se déploient également sur le marché africain.

Il est vrai que le développement des pays du Maghreb en Afrique se heurte encore à de nombreux défis. Le manque de structuration des États dans leur démarche d'accompagnement, le caractère embryonnaire des accords commerciaux ou encore le manque d'expérience des entreprises dans l'export freinent considérablement le développement du Maghreb. Or, la concurrence de puissances émergentes telles l'Inde et la Chine s'intensifie et change la donne chaque jour sur le continent africain.Une nouvelle route de la soie se dessine de Pékin à Lagos en passant par le Golfe où Dubaï entend s'imposer comme la nouvelle capitale africaine des affaires.

Dans cette course contre la montre vers l'Afrique, le Maghreb apparaît de plus en plus comme une porte évidente vers le potentiel économique de l'Afrique. Nos concurrents asiatiques ou américains semblent l'avoir bien anticipé. À l'inverse, l'Europe paraît repliée sur elle-même, en panne de croissance et d'ambition. Elle doit aujourd'hui se mobiliser et investir dans le développement d'un nouvel axe qui reliera l'Europe, le Maghreb et l'Afrique sub saharienne, un axe vertical prôné aujourd'hui par de nombreux intellectuels et décideurs du Nord et du Sud.

Dans ce contexte, le rôle de la France peut être décisif. Outre son histoire commune, elle dispose de nombreux atouts. Elle peut apporter à ses partenaires du Maghreb une expertise particulière en termes d'accompagnement. Ses entreprises détiennent une longue expérience de développement à l'international, un savoir-faire technologique et scientifique reconnu ainsi que l'accès à des financements adaptés.

Les entreprises françaises ont tout à gagner à s'inscrire dans un partenariat dynamique avec les entrepreneurs du Maghreb qui se traduit à la fois par de la coproduction et des partenariats ambitieux. Elles pourraient ainsi gagner en compétitivité et améliorer la qualité de leurs réseaux en Afrique. Mais cette stratégie exige à la fois une nouvelle conception plus équilibrée du partenariat avec le Maghreb et un sens plus aigu de l'urgence à agir.

L'ensemble des enjeux européens: nos projets, notre production, la circulation des biens et des personnes pourrait prendre un tour nouveau si l'Europe et l'Afrique étaient considérés comme un continuum économique et diplomatique en rupture avec les logiques déterministes du passé. Ce nouvel axe est une occasion unique pour la France de s'intégrer dans ce processus de "localisation de la mondialisation" et de permettre à l'espace méditerranéen de redevenir cet espace d'intégration et de redéfinition de nouveaux équilibres. Si nous ne sommes pas capables de trouver notre place dans ces nouveaux flux régionaux et mondiaux, d'autres sauront se saisir de ces nouvelles opportunités à notre place.

Par François-Aïssa Touazi (Co-fondateur du think-tank CAPMENA et conseiller pour le fonds d’investissement Ardian pour le monde arabe) - Source de l'article Huffingpost


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