Le défi de l'alerte aux tsunamis en Méditerranée


Jeudi 15 août. 15 heures. Un bel après-midi d'été. Les plages de Bandol, de Sanary et de Six-Fours-les-Plages, sur le littoral varois, sont noires de monde. Soudain, une énorme vague, par endroits haute de deux à trois mètres, déferle sur la côte et emporte en un instant des milliers de baigneurs. 
Bilan de la préfecture du Var : entre 650 et 760 morts et blessés graves pour ces trois communes. La presque totalité de la façade méditerranéenne de la France vient d'être frappée par un tsunami dû à un puissant séisme sous-marin survenu, soixante-dix minutes avant, dans le nord de l'Algérie...

Le Centre d'alerte aux tsunamis (Cenalt), situé sur le site du CEA à Bruyères-le-Châtel (Essonne), emploie douze personnes et fonctionne 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.

Ce scénario catastrophe n'est pas celui d'une production hollywoodienne. Il est tiré d'un très sérieux rapport d'évaluation des risques, élaboré dans le cadre d'un projet scientifique financé et coordonné par la DGSCGC (Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises) du ministère de l'intérieur. Baptisé "Aldes" et impliquant le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM) et l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN), il vise à identifier les moyens nécessaires à l'information et à la protection des populations de la métropole en cas de tsunami. Dernière étape avant la mise en place d'un "système d'alerte" opérationnel, il complète un autre projet qui a abouti, le 1er juillet 2012, au démarrage du premier Centre de détection de cet aléa dans l'Hexagone : le Cenalt (Centre d'alerte aux tsunamis).

Un système d’alerte régional

"En quatre siècles, une vingtaine d'événements de ce type ont été comptabilisés dans la zone de l'Atlantique nord-est et de la Méditerranée occidentale dont le Cenalt a la charge", rappelle François Schindelé, expert international du CEA. Ceux causés par les séismes de Lisbonne de 1531 et de 1755 et celui qui a ravagé Messine en 1908 ont fait des dizaines de milliers de morts. Tout près de nous, la mer Ligure a été frappée à deux reprises, en 1564 et en 1887. Et, en 2003, une onde marine formée à Boumerdès (Algérie) a détruit 200 bateaux dans les Baléares avant d'atteindre le littoral français, sans y provoquer de dégâts.

Après le tsunami de Sumatra, les Etats ont chargé, en 2005, la Commission océanographique internationale (COI) de l'Unesco d'élaborer un système d'alerte régional, auquel la France a décidé de collaborer en ouvrant le Cenalt. La mise en marche de ce centre de douze personnes, fonctionnant 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 sur le site du CEA à Bruyères-le-Châtel (Essonne), n'a pas été si facile. "L'intérêt d'une telle structure est de pouvoir lancer une alerte dans un temps compatible avec les capacités de réaction des services de la protection civile", explique René Crusem, chef du laboratoire de détection et de géophysique du CEA. Or, compte tenu de la taille de la zone à surveiller - une onde océanique se répandrait dans toute la Méditerranée occidentale en une heure et quart au maximum -, le délai imposé par la nature s'avère très court : à peine un quart d'heure.

Stations sismiques et marégraphes

C'est pourquoi le CEA, le SHOM et le CNRS, désignés par les ministères de l'intérieur et de l'écologie pour mener à bien ce projet de 14 millions d'euros, ont dû se doter sur le terrain d'instruments - stations sismiques et marégraphes - capables de transmettre, via des satellites ou des moyens de télécommunications sécurisés, leurs données en temps réel. Grâce à un réseau de 75 stations sismiques françaises et étrangères ainsi équipées, le Cenalt peut envoyer en quelques minutes, au Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (Cogic) à Asnières ainsi qu'à d'autres pays, un message spécifiant les caractéristiques d'un séisme "tsunamigène" et prévoyant l'heure d'arrivée de l'onde marine en différents points du pourtour méditerranéen.

Il reste qu'une telle information serait inutile si elle ne permettait pas d'avertir les populations concernées. D'où le projet Aldes, l'autre partie de ce chantier dédié aux tsunamis métropolitains. "Il a consisté, explique Monique Terrier, géologue au BRGM d'Orléans, à répertorier sur l'ensemble du littoral méditerranéen les formes du relief de la côte (falaises, rochers, plages...), les types d'habitat et ensuite à choisir trois sites pilotes dans le Var, le Languedoc-Roussillon et les Alpes-Maritimes dont la bathymétrie et la topographie ont été relevées." A partir de ces données, les chercheurs ont alors construit des modèles numériques évaluant l'impact d'un tsunami sur ces communes, parfois jusqu'au niveau de chaque maison. Et cela que la vague soit générée par un séisme ou par un éboulement sous-marin, phénomène indétectable avec les moyens actuels.

 Saison estivale

Le résultat donne froid dans le dos. Des catastrophes issues de tremblements de terre en mer Ligure ou de glissements de terrain à Nice ou dans le golfe du Lion auraient un impact limité dans l'espace, mais pourraient tuer ou blesser des centaines de personnes dans les agglomérations concernées. Un tsunami provoqué par un séisme de magnitude 7,5 dans le nord de l'Algérie toucherait, lui, l'ensemble des côtes méditerranéennes, ravageant plages, ports et zones habitées. Surtout, en démontrant que le nombre de victimes serait dix fois plus élevé en été qu'en hiver, l'étude confirme que les plages et leurs populations de touristes en saison estivale constituent bien le principal enjeu de cet aléa.

Reste à trouver le moyen de s'en préserver. Ainsi, on pourrait installer sur les communes à risque des chemins d'évacuation et des zones refuges. "Mais aussi mettre en place un système plus rapide d'alerte", explique Emilie Crochet, experte risque géologique à la DGSCGC, qui chapeaute pour le compte du ministère les projets Aldes et du Cenalt. Le moyen envisagé ? Profiter du vaste programme de rénovation en cours des sirènes françaises et centraliser le déclenchement de celles qui sont situées sur le littoral. L'idée d'un bouton qui, actionné au Cogic à Asnières, appellerait directement à évacuer les plages dans les départements menacés est sérieusement envisagée.

Onde marine ou océanique

Mais détecter à l'aide de stations sismiques un séisme suspect puis estimer à partir de sa localisation le temps d'arrivée d'un tsunami en différents points de la côte n'est qu'une première étape. A terme, le Cenalt voudrait être en mesure de confirmer ou d'infirmer la présence d'une onde marine ou océanique après qu'elle a été générée, et même d'affiner, au cours de sa propagation, ses prédictions, en les enrichissant d'informations nouvelles, comme la hauteur estimée de la vague déferlant sur le littoral par exemple. Dans un avenir plus lointain, il s'agirait même de repérer les glissements de terrain et les "météotsunamis" des phénomènes encore très mal connus.

De tels projets se heurtent en Méditerranée occidentale à de multiples difficultés politiques et financières. En effet, ils supposent une connaissance approfondie de la topographie et de la bathymétrie de l'ensemble des côtes du bassin, l'installation au large de coûteux instruments appelés "tsunamimètres" et la mise à disposition, en temps réel, par les Etats d'Afrique du Nord, proches des zones sismiques, des données de leurs marégraphes.

Problème : si en France le SHOM a rénové son réseau de 34 stations côtières et installé pour les besoins du Cenalt cinq de ces appareils utilisés pour mesurer les variations de la hauteur de l'eau sur le rivage, ailleurs les choses ne sont pas toujours simples. La gestion de ces instruments capables, paraît-il, de donner des informations sur le trafic maritime est souvent, en effet, le domaine réservé des militaires...

Par Vahé Ter Minassian - Source de l'article Le Monde


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