La France vient de faire savoir à la
Turquie qu’elle était favorable à la relance des négociations d’adhésion de ce
pays à l’Union européenne. C’est un tournant. Le dossier avait été gelé par
Nicolas Sarkozy.
Il
flattait ainsi une opinion publique de plus en plus réticente à l’islam et
totalement ignorante d’un pays dont elle sait seulement que l’immense majorité
des 75 millions d’habitants est musulmane et que le parti du Premier ministre,
Recep Tayyip Erdogan, l’AKP, est religieux.
Pendant
longtemps, la Turquie était en position de demandeuse. Elle savait qu’elle
avait beaucoup à gagner d’une entrée dans l’Europe. Mais, depuis ces dernières
années, elle a été piquée au vif par les réticences des Européens et par les
signaux négatifs, per- çus comme hostiles, venus de la France, tel le vote de
l’Assemblée nationale sur la question du gé- nocide arménien. Portés par leur
essor économique qui saute aux yeux, les Turcs en sont aujourd’hui à se dire
qu’ils ont moins besoin de l’Europe et qu’ils peuvent, en cultivant leurs liens
avec d’autres pays émergents, comme le Bré- sil, tenir une place économique et
diplomatique respectable, notamment à l’égard d’un Proche-Orient en pleine
recomposition.
On
a évoqué le modèle de l’« islamisme modéré » turc pour les révolutions arabes,
mais les Frères musulmans en Égypte ou Ennahdha en Tunisie font, pour
l’instant, la démonstration qu’ils n’ont ni la compétence ni le pragmatisme
dont Erdogan a su faire preuve depuis qu’il est arrivé au pouvoir dans un pays
où la tradition laïque reste forte. Son parti, rappelons-le, a remporté trois
législatives successives depuis 2002 et lui-même est Premier ministre depuis
dix ans.
Depuis
lors, le pays n’a pas basculé dans un islam intolérant ; on lui reproche plutôt
le contraire dans les pays voisins qui supportent mal, par exemple, la
frivolité des séries télévisées de la télévision turque. Les Turcs vivent, pour
une large part, dans les grandes villes, au rythme de la mondialisation et des
technologies de la communication. La moyenne d’âge est de moins de 30 ans.
L’islam,
qui a supplanté le nationalisme kémaliste, n’est pas devenu le creuset de
l’identité turque. Ce qui rassemble le pays, c’est le dynamisme économique et
la confiance en l’avenir. Les modèles de consommation sont les nôtres. Il
suffit de se promener dans Istanbul pour s’en convaincre : toutes nos grandes
marques sont là. Plus encore lorsqu’on se rend sur la rive asiatique du
Bosphore, qui n’est pas celle que visitent les touristes.
La
jeune génération se veut occidentale et mondialisée. Le pays jouit d’une belle
palette de créateurs et d’intellectuels qui ré- fléchissent sur les mutations
en cours, réinterrogent librement l’histoire turque – y compris la question
arménienne sans avoir besoin des injonctions des députés français, très
contre-productives. Enfin, Erdogan est en train de faire un chemin considérable
sur la voix du règlement pacifique de la question kurde qui ensanglante le pays
depuis une trentaine d’années.
La
Turquie n’est plus l’homme malade de l’Europe. Au contraire, ce pays vit
placidement son intense développement. Erdogan n’est sans doute pas un
démocrate dans l’âme, mais la force des choses fait que le pays progresse sur
ce chemin. La Turquie mérite qu’on lui tende la main. Elle sera une clé de la
Méditerranée de demain et nous avons besoin d’être contaminés par la confiance
et le dynamisme de sa population.
Par Jean-François
Bouthors, éditeur et écrivain – Source de l’article Jactiv
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