La diète méditerranéenne, fondement de systèmes alimentaires territorialisés durables
Les systèmes alimentaires sont en quête de durabilité dans les pays méditerranéens en raison d’un contexte de crise polysémique : montée inquiétante des maladies chroniques d’origine alimentaire (obésité, pathologies cardio-vasculaires, diabète de type 2, cancers), menaces sur les rendements agricoles déjà perceptibles et qui ne pourront que s’aggraver du changement climatique, chômage de masse dans les régions rurales de l’intérieur du fait d’un développement spatial asymétrique, gonflement de la facture alimentaire externe dû à la croissance des importations et interne par suite de l’énorme coût budgétaire de la politique des prix, volatilité des marchés de matières premières agricoles pénalisant les entreprises et les consommateurs.
La diète alimentaire méditerranéenne bénéficie de bases scientifiques et institutionnelles. Le terme « diète » vient du grec Diaita. Il qualifie un mode de vie associant, dans le cas de la diète méditerranéenne :
- Un régime alimentaire composé d’ingrédients locaux
- Une façon de consommer les aliments (frugalité, rythme des repas, commensalité et convivialité)
- Un comportement combinant activité professionnelle et sociale, exercice physique et repos
- Une culture issue de l’histoire (plusieurs millénaires), du patrimoine naturel (la terre, l’eau, le climat, la biosphère) et immatériel (la culture liée à la production et à la consommation des aliments)
- Un lien très fort entre la nature et les savoirs faire techniques (synergie homme/biosphère) dans la production alimentaire
- Un rôle important des femmes dans la production et la culture alimentaires
Sur ces bases, la diète méditerranéenne a été inscrite au « Patrimoine immatériel de l’Humanité» par l’UNESCO, en novembre 2010, suite au dossier constitué par quatre pays : l’Espagne, la Grèce, l’Italie et le Maroc.
Un enjeu de santé publique
Les effets bénéfiques pour la santé de la diète alimentaire méditerranéenne (DAM) sont particulièrement importants. Ceci face à des pathologies en forte croissance depuis un demi-siècle dans les pays à haut revenu, en raison d’une consommation quasi exclusive d’aliments agro-industriels. Dans les pays émergents – et notamment en zone méditerranéenne, où la DAM a fortement reculé pour faire place à une alimentation de type « occidental » –, on constate le même phénomène très préoccupant. Selon nos estimations à partir des statistiques de l’OMS, plus de 50% de la mortalité dans le monde serait directement ou indirectement imputable à des maladies chroniques d’origine alimentaire.
L’enjeu de santé publique se double d’un enjeu économique : on assiste en effet à une explosion des dépenses de santé (13% du budget réel des ménages en 2012 contre 4% en 1960 en France) et à une forte réduction relative des dépenses alimentaires (15% du budget des ménages en 2013 contre 30% en 1960) (Insee, 2014). Une telle évolution heurte le bon sens et appelle de nouvelles politiques fondées notamment sur la promotion de la diète méditerranéenne.
Valoriser les atouts de la diète méditerranéenne
La durabilité sociale, c’est aussi la sécurité alimentaire, et notamment l’accessibilité quantitative et qualitative aux aliments pour tous, qui dépend des revenus et du niveau d’éducation des consommateurs et de la disponibilité de la nourriture. Si le nombre de sous-alimentés est faible en Méditerranée (environ 5% de la population totale, à comparer aux 15% en moyenne mondiale), la qualité de l’alimentation a beaucoup décliné comme nous l’avons signalé plus haut et l’existence d’une proportion élevée de pauvres compromet un accès partagé à la qualité. Des politiques alimentaires adéquates doivent donc être mises en place.
La DAM présente simultanément des avantages sociaux en termes de modèle de production. En effet, elle est produite dans le cadre de systèmes alimentaires territorialisés fondés sur la proximité entre agriculture familiale (17 millions d'exploitations dans les pays méditerranéens) et TPE et PME agroalimentaire, sous forme de clusters générateurs de développement local, souvent en association avec du tourisme vert.
En matière de durabilité économique, la DAM bénéficie du dispositif des indications géographiques (IG) dans l’Union européenne : 75% des 1 200 AOP et IGP reconnues au début de 2014 sont localisées dans les huit pays méditerranéens de l’UE et de nombreuses demandes de pays du sud et de l’est de la Méditerranée sont en cours d’examen. Une IG européenne signifie une protection juridique sur un marché de 500 millions de consommateurs et la notoriété de labels connus des consommateurs. De plus, les IG bénéficient de prix et de marges supérieurs de 20% (fruits & légumes) à 200% (pâtes) à ceux des produits sans IG. Enfin, certains produits comme l’huile d’olive bénéficient de marchés très porteurs à l’export (les exportations mondiales ont été multipliées par trois entre 1990 et 2012). Le panier moyen de la DAM reste plus cher que celui de l’alimentation agro-industrielle. Ce handicap est compensé par des économies en termes de dépenses de santé qui pourraient être répercutées sur les consommateurs sous forme d’aides directes pour les plus démunis.
Quatre conditions
On peut avancer que la diète alimentaire méditerranéenne dispose de plusieurs atouts à fort potentiel :
- Atout santé du modèle de consommation face aux nuisances des produits agro-industriels ;
- Atout social face à l’individualisme, à l’ignorance et au chômage ;
- Atout environnemental, par la préservation de la biodiversité et la bonne gestion des ressources naturelles ;
- Atout institutionnel, avec le dispositif des IG de l’UE, accessible aux pays tiers
- Atout économique, à travers un avantage concurrentiel international dû à l’effet de réputation/santé et au patrimoine sensoriel et culturel, et un impact sur le développement local par l’association avec l’éco-tourisme
Cependant, quatre conditions sont nécessaires pour valoriser ces atouts.
En premier lieu, il faut retrouver la mémoire – qui est en train de se perdre avec une dilution dans un modèle alimentaire globalisé - et innover pour sauvegarder le patrimoine.
Deuxièmement, ceci implique d’intensifier la recherche scientifique sur la consommation alimentaire hier et aujourd’hui, de mettre en place un ambitieux programme éducatif et des campagnes de communication multi-médias soutenues.
Troisièmement, il est indispensable de mutualiser les ressources productives (humaines, matérielles et immatérielles) pour être compétitif : il s’agit de dépasser le modèle du capitalisme congloméral pour aller vers l’économie sociale et solidaire.
Enfin, il faut susciter une solidarité régionale pour une stratégie « distinctive » vis-à-vis du reste du monde, par exemple en créant une « marque territoriale » permettant d’identifier les « terroirs de la Méditerranée » comme l’a proposé dès 2010 IPEMED, dans le prolongement de la Déclaration d’Antalya sur « Les indications géographiques relatives aux produits alimentaires méditerranéens et le développement local » du 26 avril 2008. Une coopération décentralisée entre les régions européennes et les régions du sud et de l’est de la Méditerranée sur l’agriculture et les zones rurales existe déjà. Il s’agit de la compléter par une approche en termes de « systèmes alimentaires territorialisés » méditerranéens.
Dans une région déchirée par les tensions politiques, rares sont les sujets susceptibles de rassembler. La diète alimentaire méditerranéenne est l’un de ceux-là. Elle pourrait, elle devrait, inspirer un ambitieux programme de mobilisation des savoirs et de construction de partenariats entre acteurs publics et privés au Nord, au Sud et à l’Est de la Méditerranée et dans l’ensemble de la région. Plusieurs événements scientifiques et grand public sont programmés en 2015, 2016 et 2017 sur le thème de la diète alimentaire méditerranéenne : autant d’occasions de faire progresser à la fois le concept et les actions de promotion et de développement durable de ce patrimoine régional à fort potentiel.
Par le Pr Jean-Louis Rastoin (Directeur, chaire Unesco et réseau Unitwin en Alimentations du monde, Montpellier SupAgro, expert sectoriel Ipemed)
Source de l'article Econostruminfo & IPEMED
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