La Méditerranée se vide de ses poissons

Les prises diminuent inexorablement depuis les années nonante et les pêcheurs s’en vont exploiter d’autres mers. Au nom d’une tradition européenne, la Commission appelle à un sursaut

Les récents attentats terroristes à Bruxelles n’ont pas entamé l’enthousiasme pour les salons Seafood Expo Global et Seafood Processing, qui, après trois jours d’intenses activités, ferment leurs portes ce jeudi. 

Sur un peu plus de trois kilomètres carrés, 1650 entreprises de pêche, fournisseurs d’équipements et autres acteurs de la filière issus de 76 pays ont rencontré des clients venus du monde entier. Autant dire qu’il s’agit de l’une des plus grandes manifestations mondiales autour des produits de la mer. Pour la Commission européenne, c’était surtout l’occasion de tirer la sonnette d’alarme concernant la surpêche en Méditerranée.

Un alarmisme qui n’est pas toujours partagé par les professionnels de la branche. «C’est un secteur qui a un fort potentiel de croissance», explique Constantino Ruiz Matanzas, directeur d’exportation de Froxa, une société de pêche et de commerce basée à Santiago de Cartes, dans le nord de l’Espagne. La consommation mondiale de poissons et de fruits de mer a doublé en cinquante ans, passant à 19 kilos par personne en 2014, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). «Des millions de consommateurs s’éloignent de la viande au profit du poisson, poursuit Constantino Ruiz Matanzas. Et par ailleurs, ils hésitent de moins en moins à acheter des surgelés, convaincus que les chaînes du froid, plus sophistiquées qu’autrefois, conservent bien les produits.»

Sources d’approvisionnement diversifiées

Pour faire face à la demande, la société Froxa, 120 employés, a diversifié ses sources d’approvisionnement. «Nos produits viennent certes de la Méditerranée, mais aussi d’Amérique du Sud et en d’Asie», dit Constantino Ruiz Matanzas. «En ce qui concerne la pêche, nous sommes un village global.» Et d’expliquer: «Nous avons récemment fait face à une pénurie de calamars en Europe. Nous en avons alors acheté en Argentine et en Chili. Lorsque ces derniers ont augmenté leur prix, nous nous sommes tournés vers la Chine et l’Inde.»

C’est un tout autre message que la Commission européenne, présente en force à Seafood Expo Global, a voulu passer. Elle a attiré l’attention sur un phénomène qui n’est certes pas nouveau, mais qui requiert une attention immédiate et particulière: la Méditerranée se vide de ses poissons. Selon les experts, la surpêche affecte 93% des espèces.

«C’est une question environnementale mais aussi sociale, a déclaré le commissaire Karmenu Vella en charge de l’Environnement, des Affaires maritimes et de la pêche, lors d’une rencontre mercredi avec les acteurs politiques et économiques liés à la filière. La vie des communautés des pêcheurs qui vivent autour de la Méditerranée est directement menacée.» Quelque 220 000 personnes sont engagées dans l’ensemble de la filière dont 60% d’entre elles dans des entreprises familiales. Celles-ci comptent près de 25% des prises.

Le commissaire Karmenu Vellu a plaidé pour une nouvelle vision pour une pêche durable en accord avec la Déclaration de Venise de 2003 qui portait sur la recherche scientifique, la coopération et une réduction des flottes. Les pays riverains au sud de la Méditerranée (Algérie, Turquie et Tunisie) sont invités à participer à la réflexion. Ce n’est pas la première fois que le commissaire tire la sonnette d’alarme, jugeant la situation «préoccupante».

Le danger de la surpêche

Les faits sont là. Selon un bilan de santé de la Méditerranée publié en début d’année, les pêcheurs européens attrapent en moyenne six fois plus de merlu, de rouget, de merlan bleu et de baudroie. De quoi mettre ces espèces en danger. En février dernier, Le Monde faisait ressortir qu’à la différence de l’Atlantique, cette mer n’est pas soumise à des quotas par espèce, mais à une vague équation qui tient compte du nombre de chalutiers et de leur puissance, du nombre de jours passés en mer et du nombre d’hommes à bord.

Le commissaire ne l’a pas caché mercredi: «Les prises déclinent depuis les années 1990 et les pêcheurs doivent travailler toujours plus pour gagner toujours moins.» Mais selon lui, cette situation n’est pas irréversible. Il a plaidé pour renforcer la coopération entre les pays riverains, soutenir les recherches scientifiques et la collecte d’informations. «Et par-dessus tout, nous devons renforcer la lutte contre la pêche illégale», a-t-il insisté.

Par Ram Etwareea - Source de l'article LeTemps

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