Les révoltes arabes de 2011 ont laissé au sud et à l’est de la Méditerranée l’héritage d’un monde arabe divisé entre les pays soumis à une guerre civile (Syrie et Libye), ceux soumis à des régimes autoritaires (Jordanie, Egypte, Algérie, Maroc, Palestine), ceux non gouvernés (Liban) et enfin ceux, ou plutôt celui, sur la route de l’Etat de droit – voire de la démocratie (Tunisie).
La situation ainsi décrite est donc bien différente de celle de la période ante 2011 où ces mêmes pays étaient tous aux mains de régimes autoritaires, certes souvent cruels pour leurs populations, mais favorisant la stabilité par la fermeté et entretenant des relations stables et profitables avec les dirigeants occidentaux. Tous les pouvoirs y trouvaient leur compte dans l’illusion d’un progrès économique homogène et d’un développement social partagé qui étaient censés fonder la paix.
Nouvelle géo-politique, nouvelles menaces
Aujourd’hui ce bel équilibre est remis en cause et l’hétérogénéité de ce monde complique encore plus l’analyse des défis de sécurité qui s’y appliquent.
Il importe donc d’identifier tout d’abord les menaces et les risques qui pèsent sur la région méditerranéenne avant de dégager les défis qui en découlent.
Tous les pays précédemment cités sont soumis, à des degrés divers, à la menace des mouvements djihadistes transnationaux, tel Daech ou Al-Qaïda, qui s’emploient à développer des califats – tels l’Etat islamique en Syrie ou en Libye – mais qui usent également du terrorisme à travers des attentats ponctuels qui frappent tous les autres Etats évoqués pour les déstabiliser et promouvoir un autre type de société à leur image.
Ces attentats, que ce soit pour les mêmes raisons ou pour infléchir leur politique extérieure, n’épargnent pas les pays de l’Union européenne (UE), notamment ceux riverains du bassin méditerranéen.
Cette menace n’est pas la seule à peser sur la stabilité de la région. Les pressions qu’exercent certains Etats du Golfe arabo-persique qui poursuivent une stratégie visant à dominer les Etats sunnites et à leur imposer le wahhabisme dans la confrontation qui les oppose à la Perse chiite (Iran) prennent diverses formes :
• celle de soutiens en armes et équipements militaires à des milices djihadistes violentes, comme en Syrie contre Bachar El-Assad;
• ou celle d’un échange de soutien financier contre un alignement politique et militaire comme en Egypte ou au Maroc.
Au-delà de ces menaces, des risques pèsent également sur la stabilité des Etats de la région et spécifiquement sur ceux qui échappent à la guerre civile (Egypte, Liban, Palestine, Jordanie, Tunisie, Algérie, Maroc) qui sont les théâtres de tous les trafics, de tous les chantages et de tous les débordements :
• des flux de migrants économiques ou de candidats au statut de réfugié, dans ces pays de transit ou de destination, qui perturbent les populations locales, soulèvent des problèmes de sécurité, de conditions d’accueil, de besoins éducatifs et de capacités alimentaires alors même que ces Etats sont fragiles et souvent assez peu prospères. Ces difficultés sont aggravées par les pressions des pays européens qui s’efforcent d’externaliser la gestion de la migration vers l’Afrique du nord, qui tend à devenir un rempart avancé, un statut qui n’est pas sans conséquences sur la cohérence des politiques défendues par ces mêmes pays;
• des trafics de stupéfiants qui nourrissent une économie parallèle qui dessert l’Etat, favorise la criminalité et dégrade le tissu social (c’est le cas par exemple du trafic en résine de cannabis, stupéfiant le plus consommé en Europe, dont 80% de la consommation est couverte par le Maroc, par ailleurs premier producteur mondial);
• bien entendu, les trafics d’armes. Ce trafic est important mais difficilement quantifiable. La dispersion des stocks de l’armée libyenne et certaines armes parachutées aux opposants a alimenté un vaste trafic qui irrigue aujourd’hui directement le Sahel ainsi que vers l’Égypte, le Sinaï et la Syrie, sans épargner l’Europe. Ces trafics sont très probablement organisés par les mouvements terroristes qui opèrent dans cette vaste zone et entretiennent des réseaux à caractère mafieux échappant à tout contrôle étatique, le plus souvent violents, et créant des troubles dans les sociétés locales par l’appât du gain facile. Une enquête récente d’un journaliste allemand affirme ainsi que l’Allemagne, la France et la Belgique seraient devenues les principales plaques tournantes de ce trafic;
• les trafics d’êtres humains, quant à eux sont différents en Méditerranée orientale et occidentale. Tout d’abord ceux en provenance d’Egypte, de Turquie, du Liban et de Syrie, à destination de la Grèce ou de l’Italie sont généralement imputables à des groupes criminels organisés et relativement bien structurés. Les moyens logistiques employés, directement liés à la distance à parcourir, laissent à penser qu’ils ne sont pas le fait de personnes agissant de façon autonome. Ensuite, ceux en provenance d’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie, Libye) à destination des côtes espagnoles et italiennes sont imputables à des groupes relativement peu structurés et relèvent davantage d’une criminalité d’opportunité. Tous ces trafics génèrent des activités criminelles mortifères qui séduisent des populations fragiles et naïves, souvent jeunes, et détruisent les forces vives d’une région ou d’une nation;
• la déstabilisation des pays voisins (tel le Mali) devenus base arrière de mouvements terroristes constituent des espaces de non-droit à partir desquels sont organisées et entraînées des forces qui ont vocation à se projeter dans les Etats de la région représentant autant de nouveaux axes de menaces;
• enfin l’évolution environnementale, avec l’accélération de la désertification de l’Afrique du Nord, perturbe l’équilibre de l’écosystème de la région et donc celui des Etats, d’autant plus que ceux-ci peinent à l’inscrire en tête de leurs priorités face aux autres menaces et risques plus immédiats.
Les nouveaux défis de la sécurité en Méditerranée
Ces différents trafics, chantages ou débordements exploitant la corruption et la faiblesse des Etats, déstabilisent ces derniers et créent les conditions de l’insécurité. Il est alors bien difficile de fonder, dans ces conditions, des Etats de droit fiables et pérennes qui constituent la condition préalable à l’établissement de la paix et au développement de la prospérité.
Le défi consiste donc à la fois :
• à lutter contre les mouvements terroristes type Daech ou Al Qaïda et pour cela aider les pays partenaires à s’équiper, s’organiser, former leurs administrations mais aussi à consolider l’efficacité de l’action publique et l’autorité de leurs Etats;
• à réduire la fragilité de leurs économies en créant des emplois et en structurant leurs régions aujourd’hui délaissées. Cela signifie développer la formation professionnelle, lutter contre la corruption, lutter contre le travail dissimulé, créer des infrastructures couvrant les zones les plus pauvres, adapter la réglementation de la création des entreprises (PME et artisanats) et maîtriser les conséquences de l’évolution climatique.
Certes, des embryons de coopération existent déjà : par exemple en matière de lutte contre le terrorisme à travers le Forum global contre le terrorisme présidé par l’Algérie et le Canada, la stratégie Sahel de l’UE ou les réunions du «5+5»; en matière de trafics à travers les patrouilles conjointes en mer Méditerranée menées, sous l’égide de l’UE, sous l’appellation d’Agence Frontex, les réunions «5+5» et notamment les manœuvres multinationales de surveillance et de sécurité «Almed» visant à promouvoir la sécurité face à toute forme de commerce illicite et au crime organisé.
Mais il faut aller plus loin et, au-delà de la formation, offrir également la fourniture de moyens de détection et d’action plus sophistiqués, et une aide dans le domaine du contre-terrorisme (renseignement).
Face à ces menaces et à ces risques une vraie coopération exhaustive doit s’établir dans un esprit solidaire qui fasse abstraction des réserves et des frilosités habituelles, trop souvent présentes d’un bord comme de l’autre. Ce n’est pas simple, cela relève sans doute prioritairement de démarches bilatérales volontaristes, mais délicates… Au demeurant, il est certain que l’individualisme et l’absence de solidarité actuels profitent surtout aux forces hostiles à la paix et la prospérité de la région.
Il conviendra de plus d’obtenir des pays du Golfe arabe de revoir leur stratégie à la fois vis-à-vis des mouvements salafistes djihadistes violents sur les divers théâtres d’affrontements mais aussi vis-à-vis des mouvements salafistes dont ils soutiennent l’action tout autour de la Méditerranée.
Par Jean-François Coustillière (Consultant indépendant, associé au groupe d’analyse JFC Conseil) - Source de l'article Kapitalis
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