L’actualité récente nous a montré à quel point les incendies de forêt peuvent être immenses et dévastateurs : les feux qui se sont déclenchés en mai dernier à Fort McMurray en Alberta (Canada) auront ainsi brûlé près de 600 000 hectares. Plus de 1 000 bâtiments ont été détruits et près de 100 000 personnes ont dû être évacuées.
Ces feux géants, souvent appelés « méga-incendies », sont heureusement des événements rares ; ils ne représentent que 5 % du nombre total de sinistres de ce type se produisant chaque année dans le monde. Ils regroupent pourtant à eux seuls la majeure partie des surfaces brûlées et des émissions de CO2 produites par les feux, mais aussi l’essentiel des dommages aux biens, aux personnes et aux écosystèmes, ainsi que des coûts économiques pour les assurances et la gestion des forêts.
Une question de taille
La plupart de ces méga-incendies se produisent en Amérique du Nord (USA et Canada), en Australie (on se rappelle du « Black Saturday » de 2009 et ses 231 victimes), en Asie (notamment en Indonésie où les fumées émises en 2015 ont touché 500 000 personnes, ainsi qu’en Chine), et plus rarement en Europe (Russie).
S’il n’existe pas de consensus sur la taille permettant d’identifier ces phénomèmes – cela dépend du pays et du contexte – on s’accorde généralement à dire qu’au-delà de 10 000 hectares, il s’agit d’un méga-feu.
Des dizaines d’incendies de plus de 10 000 hectares ont eu lieu dans le monde depuis les années 1950. Le feu du Chinchaga en Colombie britannique (Canada) – qui toucha 1 400 000 hectares en 1950, soit pratiquement la superficie réunie des Bouches-du-Rhône, du Var et des Alpes-Maritimes – est à ce jour le plus important.
Difficiles à détecter
Ces méga-incendies se caractérisent par leur comportement extrême – grande vitesse de propagation, forte intensité, fronts souvent multiples – qui les place hors de portée de l’action des pompiers. Le feu s’auto-entretient et se propage (on parle alors de feux « convectifs »). Ils durent des jours, voire des semaines, et ne s’arrêtent pour la plupart qu’avec de nombreux renforts de pompiers et un changement de météo.
Comment expliquer ces phénomènes ? Comme tous les feux de végétation, ils nécessitent que trois conditions minimales soient réunies : une ignition (d’origine naturelle ou humaine) qui génère le départ du feu, la présence de combustible (feuilles, branches, litière…) suffisamment sec et abondant, et une météo favorable à l’inflammation puis à la propagation (vent, sécheresse, chaleur). Dans le cas de méga-feux, les conditions météorologiques extrêmes rendent la végétation fortement inflammable.
Les méga-feux se développent assez fréquemment lors d’orages secs dans des zones faiblement peuplées, ce qui rend leur détection difficile. Ils se produisent aussi majoritairement dans des régions à très forte couverture forestière, où la végétation combustible est présente sur de vastes étendues reliées les unes aux autres, ce qui favorise la propagation.
Le vent augmente la vitesse de propagation et favorise les sautes de feu qui conduisent à l’apparition de fronts multiples, difficiles à combattre. Une autre caractéristique concerne le fait que nombre de ces grands feux – lorsqu’ils ne menacent ni les personnes, ni les maisons, ni les infrastructures et qu’ils touchent une végétation qui récupère rapidement – peuvent s’étendre du fait d’une mobilisation moindre des pompiers. Les grands incendies ne sont donc pas forcément dévastateurs quand ils se développent dans des régions à faibles enjeux.
Sont-ils possibles en Méditerranée ?
Dans la zone méditerranéenne de l’Europe, ces méga-incendies sont très rares, les plus grands observés ayant une surface d’environ 20 000 hectares. Les feux les plus importants recensés depuis les années 1980 en Europe sont situés principalement au Portugal et en Grèce, puis en Espagne. Ces pays sont aussi ceux qui comptent le plus d’incendies de toutes tailles, ce qui montre que les grands feux correspondent à des événements rares, mais qu’ils apparaissent dans les zones à forte activité incendie lors de conditions particulières.
En France, un seul incendie de végétation a dépassé le seuil des 10 000 hectares : il s’est produit en 1990 dans le Var, à Vidauban, détruisant 11 580 hectares et causant de nombreux dommages à la végétation ; une dizaine de maisons, une quarantaine de voitures furent endommagées et 8 000 personnes environ, des touristes pour l’essentiel, durent être évacuées.
L’occurrence de méga-incendies comparables à ceux de Fort McMurray est peu probable en Europe méditerranéenne pour plusieurs raisons. Il existe, premièrement, peu de zones géographiques dans lesquelles la végétation combustible est aussi étendue et continue qu’en Australie, en Russie ou au Canada. Elle est généralement fragmentée par la forte densité de routes et de réseaux.
Les conditions météorologiques, ensuite : si elles peuvent être extrêmes en Méditerranée durant l’été, les seuils de sécheresse et les durées de ces périodes sont rarement similaires à ceux observés en Australie, par exemple. Les grands incendies durent rarement plus de deux jours en France.
Mais le facteur principal expliquant cette rareté demeure la mise en place en France depuis 1992 d’une politique renforcée de prévention et de lutte contre les incendies. Ainsi, aucun feu de forêt ne se propage librement et les incendies sont attaqués le plus tôt possible à l’aide de tous les moyens aériens et terrestres disponibles. Cette politique a encore été renforcée à la suite des grands incendies de 1990 et l’attaque massive de tous les feux naissants.
Cette nouvelle politique s’est avérée très efficace pour réduire le nombre d’incendies et les surfaces brûlées. La prévention (patrouilles de surveillance, information sur le danger quotidien) est aussi très efficace. Des réajustements de stratégie interviennent environ chaque décennie afin de s’adapter aux changements à l’œuvre dans les territoires et à l’activité des feux. Plusieurs pays méditerranéens ont ainsi connu une amélioration similaire grâce à l’adaptation des politiques et des stratégies de prévention et de lutte.
Les méga-incendies sont-ils inéluctables ?
En résumé, les méga-incendies surviennent quand les conditions environnementales sont particulièrement propices, la météo exceptionnelle, et lorsque la prévention et la lutte sont prises en défaut. Dans certaines zones du globe, la probabilité de méga-incendies destructeurs augmente du fait des changements climatiques en cours (augmentation des températures et des sécheresses, survenue de conditions extrêmes), mais aussi des changements d’occupation du sol ou de pratiques d’incendie (cultures sur brûlis, ignitions accidentelles ou volontaires par l’homme, extension des zones d’interface habitat-forêt, augmentation de la densité d’habitants ou d’infrastructures, boisements naturels sur des terres en déprise, embroussaillement).
Débroussailler, une action anti-feu préventive. |
En France, les grands incendies de forêts dans le Var et dans les Alpes-Maritimes de 2003 ont brûlé au total 20 600 hectares. Cela nous rappelle que l’augmentation des températures et les fortes sécheresses peuvent produire des incendies très difficiles à maîtriser et causer des dommages importants. La prévention et la lutte sont efficaces, mais sont parfois dépassées par l’intensité du feu, son extension rapide, et par la complexité croissante de la lutte dans des paysages à forte emprise humaine.
Il s’agira dans les années à venir de rechercher un meilleur équilibre entre l’action des pompiers et la gestion durable des paysages pour limiter les incendies et leurs impacts. Des moyens efficaces existent, mais ne sont pas toujours mis en œuvre : le débroussaillement des zones à risque, la diminution de la biomasse au sol en forêt, ou l’autoprotection des maisons. L’objectif est d’apprendre à vivre avec le feu là où il est tolérable, et à le combattre fortement à proximité des zones sensibles.
Par Thomas Curt (Directeur de recherche en risque incendie de forêts, Irstea) - Source de l'article The Conversation
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire