Depuis le Printemps arabe, ce mouvement de protestation né au début de l’année 2011 qui a entraîné la chute du président Zine El-Abidine Ben Ali, la Tunisie peine à remplir les attentes de la population en matière de libertés économiques.
Les réformes comme les investissements étrangers mettent du temps à se concrétiser et le chômage refuse de céder du terrain : bloqué à 15 %, il atteint le double chez les jeunes.
Walid Sultan Midani, fondateur de Digitalmania |
« Le nombre alarmant de jeunes sans emploi alors qu’ils ont fait des études poussées illustre bien le décalage entre la réalité et les attentes », analyse Hassine Labaied, entrepreneur en technologies propres. « Cela montre aussi que les jeunes diplômés ne sont pas en mesure de créer leur entreprise ou qu’ils n’ont pas envie de se lancer dans l’aventure. »
Selon un rapport de la Banque mondiale de 2014, l’environnement économique tunisien manque toujours d’arguments pour attirer de nouveaux investisseurs. De multiples obstacles découragent la création de start-up tandis que les restrictions de marché, des réglementations commerciales obsolètes et un système financier inopérant entravent tout esprit d’entreprise. Autrement dit, le protectionnisme et les monopoles n’ont pas disparu et brident la productivité et l’innovation.
Hassine Labaied estime pourtant que les progrès sont là : « l’environnement des affaires s’est amélioré depuis la révolution et le monopole de fait du clan Ben Ali sur toute la sphère économique a disparu. Il devient plus facile de créer une entreprise ».
En tournée aux États-Unis en 2014, celui qui était alors Premier ministre par intérim de la Tunisie, Mehdi Jomaa, a décrit son pays comme « un pôle pour l’investissement ». Cette assertion résiste-t-elle à l’épreuve des faits ?
Pour M. Labaied, c’est le cas : « la Tunisie possède la plupart des ingrédients nécessaires et est en train de concevoir un nouveau cadre opérationnel tout en repensant son modèle de développement ». Selon lui, il faudra encore attendre trois à cinq ans, « mais nous y parviendrons ».
Houssem Aoudi, fondateur de TEDxCarthage et cofondateur de la plateforme collaborative Cogite, renchérit : « la Tunisie a tout pour réussir ». C’est ce qu’il m’a affirmé lors d’un rendez-vous dans l’un de ces espaces collaboratifs installé au Lac, une banlieue de Tunis ouverte sur la mer Méditerranée.
Pour lui, la communauté des entrepreneurs s’étoffe rapidement, ce qui explique entre autres le succès de Cogite : « nous voulions créer une oasis pour cette communauté ». Le réseautage — la philosophie même de Cogite (« vous ne cotisez pas uniquement pour avoir un bureau et des installations ») — est vital, comme le fait d’accéder à un vaste réseau de personnes ayant des profils très divers, depuis les jeunes étudiants aux entrepreneurs chevronnés.
L’une des entrepreneurs de Cogite à 29 ans : Yosr Tammar a cofondé NorAppWeb, une entreprise de tout juste un an qui conçoit des applications pour téléphones portables. Quand je lui ai demandé quel était le plus gros obstacle pour les entrepreneurs tunisiens aujourd’hui, elle a pointé « la bureaucratie et les financements ».
Au départ, ce sont ses amis et sa famille qui l’ont soutenue, même si sa mère était plus circonspecte, estimant qu’il s’agissait d’un « hobby et pas d’un vrai travail ». Au bout de quelques mois, elle a réussi à la convaincre de l’intérêt de son projet et, aujourd’hui, la mère est fière de la fille.
Le cofondateur de NorAppWeb est norvégien, ce qui explique qu’une majorité de clients se situent en Norvège. Pour Yosr, c’est un avantage indéniable : « si vous n’avez accès qu’au marché tunisien, les choses sont compliquées ».
C’est bien l’avis de Karim Jouini, dix ans d’expérience comme chef d’entreprise et PDG de Pepino Tech, une start-up high-tech : « le marché tunisien ne permet pas de se développer », souligne-t-il, en expliquant combien il est difficile d’obtenir des devises, ce qui condamne à opérer localement. Sans compter les difficultés pour accéder au capital-risque : « les levées de fonds sont un casse-tête », entre autres à cause du système de valorisation. « Dans le secteur des technologies, c’est pratiquement mission impossible ». Il invoque aussi les problèmes pour trouver une main-d’œuvre qualifiée et motivée, à cause du fort taux d’émigration de la population.
Pour Hassine Labaied, les partenariats entre entreprises locales et bailleurs de fonds internationaux sont une solution. C’est ainsi qu’il a procédé pour créer son entreprise Saphon Energy. Ce dont les entrepreneurs locaux ont besoin, c’est d’une plateforme les mettant en relation avec des investisseurs étrangers : « c’est vital et faisable ». La plateforme pourrait commencer à une échelle réduite avant de s’étendre. « D’autres pays sont passés par là, comme Israël, Taïwan et l’Inde. Il y a de bonnes idées à copier. »
Hassine Labaied est convaincu que de nombreux Tunisiens expatriés seraient heureux de créer des entreprises dans leur pays natal et que, dans le même temps, de nombreux « ’locaux’ fourmillent d’idées intéressantes sans avoir l’impulsion de départ ni les moyens financiers nécessaires pour les exploiter ».
Plateforme collaborative , Cogite |
Pour M. Midani, il n’y a pas de temps à perdre et l’action publique est trop lente : la Tunisie doit évoluer vite si elle veut pouvoir se mesurer aux autres centres d’affaires dans le monde. Mais cet entrepreneur de 31 ans reste optimiste : « si vous comparez l’écosystème actuel à celui de 2010, les progrès sont tout bonnement incroyables. Je n’aurais certainement pas parié sur la présence d’incubateurs, d’accélérateurs et d’investisseurs pour aider les entrepreneurs. Or, ils sont bien là ».
Pourtant, les Tunisiens ont encore besoin d’encouragements et d’informations pour oser se lancer en masse dans l’aventure entrepreneuriale. Mais les mentalités commencent à changer, observe M. Midani. « Et elles évoluent vite ».
Par Christine Pétré - Source de l'article Blog Banque Mondiale
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