Discours de Philippe de Fontaine Vive, Premier Vice-Président de la Banque européenne d’investissement
Mesdames, Messieurs,
Il y a quatre années, dans le Sud Tunisien, surgissait unmouvement démocratique porté par la société civile tunisienne qui a su le développer pacifiquement et intelligemment pour conduire aujourd’hui à une Nation rassemblée autour d’une Constitution démocratique, d’un Président de la République élu par tous les Tunisiens et bientôt d’un gouvernement issu d’élections unanimement saluées. Quel sens des responsabilités pour cette vieille Nation qui a repris en main son destin ! C’est ce mouvement démocratique que l’on a appelé le Printemps Arabe, en souvenir du Printemps de Prague mais aussi des mouvements plus anciens de 1848 lancés en France.
Je suis personnellement très sensible à cette transition démocratique :
non seulement parce qu’en 1848 ma famille était près d’ici, dans le beau Comté de Savoie indépendant comme l’est encore Monaco aujourd’hui ;
mais aussi parce qu’en 2010-2011, j’étais dans ce Sud Tunisien où est née la révolte, devenue révolution grâce au ralliement de la bourgeoisie tunisienne ;
et enfin, parce que le responsable européen que je suis, travaille depuis 12 ans au rapprochement des peuples des deux rives de la Méditerranée.Alors, lorsqu’à Naples, en octobre dernier, lors de la conférence Annuelle de la FEMIP présentant les grands enjeux 2014-2020 de nos activités dans la région Méditerranéenne, Son Excellence l’Ambassadeur Piazzi m’a proposé de sceller un partenariat entre la BEI et l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée, j’ai aussitôt accepté. Je vous remercie pour cette proposition, mais également d’avoir prolongé vos travaux pour me permettre d’être présent, aujourd’hui, puisque les 2 et 3 février étaient consacrés au Conseil d’administration de la BEI.
Dans l’intervalle, les dramatiques évènements à Paris, mais aussi à Hambourg et ailleurs, montrent la folie de l’obscurantisme et le besoin d’un travail démocratique et économique pour dissiper les frustrations et permettre l’élévation matérielle et sociale des peuples de la Méditerranée.
Aujourd’hui, une autre crise sociale et politique s’exprime démocratiquement en Europe, notamment en Grèce. Fruits de déceptions et d’attentes insatisfaites, ces crises appellent à une réponse et à des responsabilités collectives dont les fondements doivent être : Intégration, Modernisation et plein emploi.
1. Nous devons réinventer une nouvelle forme d’intégration en Méditerranée
L’objectif d’intégration régionale demeure cardinal, à mes yeux : la Méditerranée est la zone du monde où il est le plus urgent de mettre en place une gouvernance et un processus d’intégration à l’échelle de la région ; et la Méditerranée est une zone trop importante d’un point de vue économique, et trop interdépendante d’un point de vue humain, culturel et climatique pour se passer d’un tel outil de convergence et de cohésion.
Pour autant, il nous faudra veiller à ne pas renouer avec les erreurs du passé ; l’intégration régionale, telle qu’elle avait été mise en œuvre pendant la décennie qui a précédé les révolutions, a certes créé de la croissance au sud (+6%/an en moyenne régionale de 2000 à 2008), mais elle s’est trop facilement accommodée de la pauvreté et de forts déséquilibres territoriaux et sociétaux.
La cause de cette déviance fut, dans les pays du sud, l’absence de politiques structurelles de redistribution (générationnelle et spatiale) de la richesse créée, ainsi que le développement d’un capitalisme de connivence très lié à la classe politique au pouvoir. Il en était résulté un sentiment généralisé de frustration.
Au plan régional, la faillite de cet objectif d’intégration a aussi tenu à la faiblesse d’une gouvernance (du processus euro-méditerranéen) qui n’a pas su faire appliquer les règles de convergence économique.
La faillite de l’objectif d’intégration régionale a donc été un important facteur indirect de déclenchement du soulèvement démocratique de la fin 2010.
Si la transition politique aboutit à une nouvelle organisation économique, plus juste, plus équilibrée et plus inclusive dans les pays arabes, alors la nature de la relation Europe-Méditerranée sera plus prometteuse, car les idéaux de société choisis de part et d’autre de la Méditerranée seront convergents.
Un nouveau paradigme de développement pourra se mettre en place : au lieu d’une complémentarité de pays inégaux cherchant à attirer les investissements des uns pour faire travailler les populations des autres avec de fortes inégalités sociales, nous verrons apparaitre une logique de valeur ajoutée humaine en investissant dans la jeunesse méditerranéenne pour qu’ensemble soit relevé le défi de la mondialisation.
Ce modèle, il faut le mettre en œuvre dès maintenant avec ceux qui le veulent et qui le peuvent en Méditerranée ; nous en voyons les prémisses au Maroc (Renault à Tanger, Safran à Casablanca) et en Tunisie (Bombardier et les équipementiers automobiles à Tunis) ou encore avec les PME et ETI italiennes dans les Balkans occidentaux.
Alors que l’Union européenne a su intégrer économiquement des voisins comme la Suisse, la Norvège, l’Islande, les Balkans ou la Turquie, il convient de dessiner et finaliser rapidement des accords de partenariat approfondi avec les pays du voisinage méditerranéen qui permettent d’intégrer une part de l’appareil productif de ces pays dans une chaîne de valeur régionale, de faciliter le mouvement des personnes à la mesure de celui des idées, de créer des solidarités de fait entre des peuples ayant un avenir commun
2. La modernisation des structures et des politiques économiques
En Méditerranée, nous avons deux défis majeurs à relever : la révolution démographique et le changement climatique.
En matière de démographie, l’un des enjeux principal se retrouve dans l’urbanisation. Depuis 1950, la population urbanisée au Sud de la Méditerranée a plus que doublée pour atteindre une proportion supérieure à 75% et, bientôt, à 80% ; en 50 ans, les villes du Sud auront réalisé une mutation que leurs consorts du Nord ont mis 200 ans à mener à bien. Et ceci, alors même que les villes des pays du Sud sont consommatrices des rares terres arables en bordure des fleuves ou des littoraux, et sont peu dotées des infrastructures de développement social : transports publics, éducation, santé, hygiène, etc.
Cette urbanisation est d’autant plus inquiétante que l’espace méditerranéen est la région du globe la plus vulnérable au réchauffement climatique : des études réalisées à la demande de la BEI par le PNUE et le Plan Bleu l’ont démontré dès 2004, puis en juillet 2008 au moment du lancement de l’Union pour la Méditerranée ; Il est urgent de mettre en œuvre une politique structurelle pour un aménagement urbain durable, ce qui implique à la fois le rattrapage du sous-équipement en infrastructures sociales, la revitalisation des centres-villes à dimensions patrimoniales ou historique et la résorption des poches de pauvreté en périphérie.
L’adaptation au changement climatique, est l’autre enjeu majeur nécessitant la mise en œuvre d’une politique de l’énergie couvrant à la fois le développement des ressources renouvelables, les systèmes de transmission et de distribution énergétique efficaces, mais aussi la promotion de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs de l’économie : transports collectifs, production industrielle et des services, performance du bâtiment.
L’importance de cet enjeu est telle que les autorités françaises en charge de la préparation de la conférence sur le climat de Paris-Le Bourget et celles incarnant la politique méditerranéenne de la France ont convenu de réunir à Marseille, en présence du Président de la République les 4 et 5 juin prochains, une conférence MED-COP 21 rassemblant autorités politiques, experts du climat et financiers du développement pour identifier l’Agenda des solutions climat pour la Méditerranée.
3. Pour une assise démocratique solide, les Etats ont besoin de retrouver le plein emploi
Le chômage de masse est le terreau de toutes les insatisfactions des peuples. Il est donc clair que notre priorité doit être la recherche de politiques économiques et sociales qui tendent au plein emploi pour offrir, au-delà du confort matériel, à tous un rôle dans la société et donc de souder cette société.
Mesdames, Messieurs,
Dès avant le surgissement démocratique de 2011, nous avions identifié un besoin d’investissement de l’ordre de 300 milliards d’Euros sur 25 ans en faveur d’infrastructures socio-économiques, dont 110 milliards pour l’énergie, 100 milliards pour les services urbains, 50 milliards pour la gestion des eaux et des déchets, et 40 milliards pour l’éducation et à la santé.
Pour financer cela, comme pour résorber le chômage auquel les jeunes générations sont encore condamnées il faut de la croissance. Mais les attentes exprimées par les peuples en lutte pour la démocratie révèlent aussi que la qualité de la croissance est bien plus importante que son taux. Il y a donc besoin d’inventer une « nouvelle croissance » au Sud de la Méditerranée : une croissance plus équitable pour mieux partager les richesses, plus inclusive pour offrir une meilleure qualité de vie au plus grand nombre, plus équilibrée pour assurer aux jeunes et aux territoires délaissés par les régimes antérieurs un meilleur accès aux opportunités économiques, et avant cela à des formations de qualité.
On le voit, en termes de création d’emplois comme d’équité sociale, la définition de politiques structurelles d’aménagement urbain et transition climatique ainsi que le rattrapage du retard en infrastructures sont au centre de la « nouvelle croissance ».
Cependant, tant pour accélérer la réalisation de ces politiques, que pour assurer les transferts de technologies que ces équipements requièrent, la puissance publique des pays concernés devra rapidement développer sa capacité à mobiliser le capital et le savoir-faire du secteur privé local ou international.
La BEI est aux côtés des Etats de la Méditerranée pour soutenir les grands projets et investissements portés par les secteurs privés et publics. Une des clés du succès, dans ce contexte, sera le passage à une politique de partage des risques entre le public et le privé, puis les décisions sur les projets eux-mêmes soient l’objet d’une participations démocratiques de la population, donc la reconnaissance des pouvoirs locaux dans le cadre d’une politique de décentralisation.
Mesdames, Messieurs,
Je me suis permis ces quelques réflexions pour souligner devant vous ce qui rapproche le financier du développement en Méditerranée qu’est la BEI-Femip, de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée.
Ce qui nous rapproche, au-delà de la signature de cette convention de coopération, c’est le soin que nous avons en commun de la démocratie ; vous par votre capacité au dialogue et au transfert d’expérience entre représentants légitimes des peuples, nous par notre volonté de soutenir la transition démocratique des pays arabes par un appui vers un nouveau modèle de croissance, plus ouvert, plus équitable, et plus respectueux des peuples et de leurs diversités.
C’est pourquoi, je formule le vœu d’une coopération étroite entre nos deux institutions pour un enrichissement mutuel de nos savoir-faire respectifs.
Je vous remercie de votre attention.
Source de l'article OCEMO
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