Au Sénégal, le roi vient de conclure une quinzaine d’accords faisant suite aux plans d’actions adoptés lors de sa visite en mars 2013. Plus qu’un opportunisme économique, s’agit-il pour le Maroc de se décentrer de ses partenaires européens et arabes traditionnels pour assumer, enfin, le rôle qui lui échoit en Afrique ?
Le Maroc a pris conscience du risque, autrefois latent, de trop se lier à un continent vieillissant et crispé par sa propre diversité, l’Europe. Les échanges économiques avec l’Union européenne ne cessent certes de croître, passant de 21 milliards d’euros en 2010 à plus de 29 milliards en 2014.
Ces échanges impliquent en 2014 plus de 7 milliards d’euros de déficit commercial que le Maroc doit combler, d’autant que ce déficit est amené à se creuser. Cependant, l’atonie qui frappe le Vieux Continent contraint le Maroc à réaffirmer avec force ses racines almoravides et saadiennes, qui se prolongeaient autrefois aux portes de Gao et Tombouctou.
En 2001, le roi Mohammed VI inaugure des tournées en Afrique de l’Ouest qui le mèneront entre 2001 et 2011 dans plus de 15 pays. En 2014, il conclut des partenariats économiques avec le Sénégal, la Guinée, la Côte d’Ivoire et le Gabon, consacrant ainsi le retour du Maroc sur la scène africaine et sa volonté de contourner l’Union africaine en affirmant la prééminence de relations bilatérales d’exception.
Les investissements intra-africains sont passés de 8 % du total des investissements directs en Afrique en 2007, à 22 % en 2014, consacrant une réelle compétition intra-africaine. Le royaume répond et consacre désormais 60 % de ses investissements directs à l’étranger à l’Afrique subsaharienne en se positionnant notamment sur la dorsale ouest-africaine, de la Mauritanie au Gabon.
Malgré son activisme, il reste toutefois loin de l’Afrique du Sud, du Kenya et du Nigeria qui, combinés, représentent près de 68 % des investissements directs intra-africains.
Les entreprises comme fer de lance
Pour combler ce retard, le royaume n’hésite pas à s’appuyer sur un tissu d’entreprises chevronnées capables de se déployer sur le continent et de faire face à la concurrence internationale. 71 sociétés marocaines figurent dans le classement des 500 plus grandes entreprises africaines.
Présentes dans tous les secteurs de l’économie, elles participent aux périples royaux africains et se présentent comme des relais de la politique étrangère et du recentrage du Maroc en Afrique. Attijariwafa Bank, qui est monté à 75 % du capital de la Société ivoirienne de banque en mars dernier, lorgne déjà sur la banque égyptienne Piraeus et se définit comme une multinationale panafricaine.
Le déploiement marocain ne saurait pourtant se limiter aux échanges économiques qui doivent s’appuyer sur de véritables plans de co-développement et de solidarité panafricaine. L’Office chérifien des phosphates annonçait le 6 mai – en marge de la Clinton Global Initiative qui se déroulait à Marrakech – qu’il allait consacrer 5 millions de dollars pour soutenir 100 000 agriculteurs à travers six pays d’Afrique de l’Ouest et de l’Est. Le royaume propose donc son savoir-faire, et la diversité de ses outils d’influence. L’aura que lui confère la présence des centres spirituels de Tariqa Tijjanyia, la confrérie la plus répandue en Afrique de l’Ouest, l’a amené à proposer en 2013 des formations aux Imams africains dans le centre religieux de Rabat.
L’endiguement algérien
L’Afrique, qui connaît un décollage économique lié à la mise en valeur de ses ressources naturelles, la densification et la pacification de ses territoires et l’avènement substantiel – bien que fragile – de la démocratie, constitue bien un réservoir de croissance pour le Maroc. Elle constitue aussi un relai d’influence qui permet au Maroc de regagner une position de choix en Afrique et de faire face in fine à l’endiguement algérien. En 2014, le Ghana et l’Angola ont décidé de reconnaître la marocanité du Sahara occidental.
L’Afrique du Nord tantôt abasourdie par un printemps qui n’a jamais éclos, tantôt sclérosée par des régimes militaires, ne présente plus de perspectives pour un royaume qui a souvent démontré ses capacités d’anticipation. La libéralisation a minima de l’avortement prouve les avancées d’un pays qui continue à frayer son chemin malgré le vacarme environnant.
L’approche pragmatique déployée par le royaume lui permet dès lors de prétendre à nouveau au rôle de puissance régionale, là où les pôles traditionnels d’influences – algérien, égyptien, nigérian et sud-africain – s’essoufflent ou s’embourbent dans les problèmes de politique intérieure, notamment sécuritaires et identitaires.
Par Hamza Rkha Chaham, étudiant à HEC Paris, président HEC Monde Arabe
Source de l'article Le Monde
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