La vingt-et-unième Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP21) se déroulera à Paris à la fin de l'année. A cette occasion, la France espère construire le succès de la "Conférence de Paris" sur l'urgence née des échecs des précédentes COP.
Mais n'est-ce pas au fond une gageure que de vouloir lutter contre le changement climatique sans changer profondément le système économique qui en est à l'origine ? Et si l'on a cette ambition de la formulation d'un nouveau paradigme pour le développement de notre monde, quelles sont aujourd'hui les tendances émergentes qui apparaissent comme susceptibles de réorienter l'économie de manière constructive et responsable en inventant de nouvelles options qui font bouger "en douceur" les lignes de l'économie traditionnelle, et qui, dans le même temps, travaillent la société en profondeur et en modifient les références et les valeurs ?
Le triptyque Economie territoriale, Gouvernance locale et Renaissance du rural apparaît comme un bon levier pour relever ce défi.
Dans une économie donnant la primauté aux avantages comparatifs pour une production standardisée déterritorialisée et pouvant être consommée partout indifféremment dans le monde, l'économie territoriale est apparue comme une alternative pour les régions que ce système mondialisé écartait par manque de compétitivité. D'alternative condamnée à rester marginale, cette économie s'impose progressivement comme un modèle à part entière susceptible d'être bénéfique à tous les territoires, même les plus riches. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la force de cette économie : tout en restant ouverte au monde, elle redonne de la valeur aux produits et du sens à la production. Reconnaissant les savoirs et les savoir-faire, elle est vectrice de diversité et de culture et elle structure l'économie au bénéfice des populations résidentes, en offrant au monde non plus l'uniformité mais la diversité des cultures, permettant ainsi à chacun d'exister, pour ce qu'il est et par ce qu'il est. Et parce que cette économie trouve ses fondements dans la valorisation des ressources locales et dans un retour à des valeurs autres que strictement marchandes, elle est plus susceptible de durabilité que l'économie minière déterritorialisée.
Que le phénomène soit lié à l'échec des Etats nations, à la reconnaissance d'une efficience toute relative des politiques de développement conçues au sommet dans un monde de plus en plus complexe et aux interactions de plus en plus fortes ou encore à l'ouverture individualisée au monde qu'ont permis Internet et les réseaux sociaux, la gouvernance locale et l'affirmation du rôle positif et nécessaire des acteurs locaux apparaissent comme une autre tendance forte du monde de demain sur laquelle nous devons investir dès aujourd'hui.
Mais si le rôle des acteurs locaux dans la définition et la mise en œuvre des politiques de développement tend aujourd'hui à être reconnu partout et par tous, les processus de gouvernance locale restent encore très largement imparfaits et de mise en œuvre difficile. Cette dimension est pourtant essentielle au territoire car les ressources territoriales à valoriser pour le développement ne sont pas un "donné" mais un "construit" et cette construction ne peut pas être la somme d'initiatives individuelles. Elle doit s'élaborer dans le cadre d'une action collective qui nécessite une gouvernance locale forte, et ceci est particulièrement vrai si l'on veut que les processus de valorisation des ressources s'inscrivent durablement dans le temps.
La troisième composante a trait à la "renaissance du rural". Depuis les années cinquante avec le développement des villes et la concentration de la nouvelle économie dans les espaces périurbains et urbains - et la Méditerranée est un exemple presque caricatural de cette évolution -, les territoires ruraux n'ont cessé d'être considérés comme des espaces secondaires, reliquats obsolètes d'une économie centrée sur la production agricole dont la seule fonction résiduelle, la seule utilité, était désormais de servir de réservoir de main d'œuvre et qui pouvaient au mieux bénéficier de mesures sociales.
C'est sur cette histoire que reste encore aujourd'hui pensée et construite la relation "ville-campagne" qui, même si elle reconnaît des fonctions nouvelles aux espaces ruraux, ne peut s'empêcher de les voir à sens unique, en donnant une priorité à la ville et donc en pensant ces territoires ruraux comme devant être "naturellement" au service de la ville.
Un nouveau paradigme rural est pourtant à l'œuvre pour qui veut bien le voir. En synergie avec l'émergence d'une nouvelle économie territoriale et une capacité renforcée d'expression des populations rurales, les territoires ruraux s'affirment et apparaissent aujourd'hui comme des lieux d'innovation, aussi bien sociale qu'entrepreneuriale, et ils démontrent leur capacité à contribuer à la prospérité nationale, en offrant des solutions nouvelles face à la congestion urbaine et à la crise économique. Encore faudrait-il que, convaincu de cela, les décideurs mettent en œuvre des politiques à même de promouvoir cette évolution. Sur ce point le saut conceptuel reste à faire. Des institutions s'y emploient et non des moindres, à l'exemple des travaux portés par l'OCDE dont la 10ème conférence sur le développement rural, qui s'est déroulée récemment, était intitulée "La prospérité nationale au moyen de politiques rurales modernes", titre tout à fait démonstratif des nouvelles ambitions que l'on accroche aux territoires ruraux. Et accepter l'idée que les territoires ruraux sont des territoires de développement à l'égal des territoires urbains c'est aussi désamorcer leur opposition traditionnelle, qui est fondée sur les déséquilibres, au profit d'une réflexion constructive sur les nouveaux équilibres dynamiques à trouver entre villes et campagnes au bénéfice de la société dans son ensemble.
Des innovations structurantes qui associent le territoire et ses acteurs au bénéfice d'un développement durable existent. Mais une difficulté majeure est leur atomisation extrême, avec comme corollaire la difficulté de les identifier puis de les qualifier suffisamment de manière à leur donner valeur de référence pour la réflexion. Montrer la diversité des dynamiques territoriales, dresser le catalogue de ces initiatives ou développer des observatoires de ces dynamiques est donc une priorité pour constituer le terreau des politiques à venir et des nouvelles ambitions territoriales.
Passer de ces initiatives locales à des stratégies plus globales de développement durable des territoires impose de relever deux défis majeurs : celui de l'articulation entre eux des dispositifs et des actions pour qu'ils fassent "système" ; celui de l'intersectorialité et de la mise en place d'approches plus intégrées qui transcendent les découpages thématiques et techniques, pour ne pas dire technocratiques. C'est assurément par cette mise en synergie des programmes, des stratégies sectorielles, des initiatives que pourra se faire le saut qualitatif vers des politiques territoriales rurales et urbaines plus ambitieuses. Les politiques publiques, qu'elles soient nationales, régionales ou locales, devraient résolument prendre cette voie qui aurait un autre avantage, celui de montrer que la lutte contre le changement climatique, la sécurité alimentaire et la recherche d'un développement équilibré des territoires ne sont que des facettes différentes d'un même défi, celui d'un développement durable et responsable.
Par Jean paul Pellissier - Source de l'article Huffingtonpost
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