Des scientifiques ont publié pour la COP 22 un livre sur l'effet du changement climatique en Méditerranée. Réalisé sous l'égide de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, il vise à réduire le fossé entre les décideurs et les chercheurs. Détails avec Eric Martin chercheur à l'Irstea.
Actu-environnement : Quel est l'objectif de l'ouvrage sur les effets du changement climatique dans le bassin méditerranéen que vous avez présenté le 12 novembre à la COP 22 ?
Eric Martin : La méditerranée présente des enjeux sociétaux forts : la zone est très peuplée avec des populations en augmentation près de la bande côtière. Certains phénomènes, comme les épisodes de précipitations extrêmes qui touchent le sud de la France et d'autres pays proches, sont très compliqués à comprendre, à prévoir pour les jours qui viennent mais aussi à dix ou quinze ans.
Nous avons réalisé un zoom sur ce bassin également parce que dans le rapport du groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les données sont présentées par continent. Or comme la Méditerranée se trouve à cheval sur deux continents, il est moins aisé pour les décideurs de disposer d'une vision globale des enjeux. Nous avons donc regroupé les dernières connaissances dans un seul ouvrage.
Au-delà de la présentation de l'état actuel des connaissances, nous avons la volonté de combler le fossé entre chercheurs et décideurs, c'est pour cela que l'ouvrage a été présenté lors de la COP 22. Nous visons une co-construction des recherches entre ces deux acteurs.
AE : Quelles sont les particularités du bassin par rapport au changement climatique ?
EM : Il y en a plusieurs. Tout d'abord, la Méditerranée est d'un point de vue du climat un "hotspot" : le climat va y changer plus que la moyenne. Le GIEC donne comme ordre de grandeur pour les scénarios les plus extrêmes une augmentation des températures allant jusqu'à 7 degrés pour la Méditerranée à la fin du siècle, contre 5,8 degrés en moyenne. C'est également un "hotspot" pour la biodiversité, avec un nombre très important d'espèces, dont une partie est menacée par les changements climatiques et les activités humaines. Enfin, ce bassin présente beaucoup d'évènements extrêmes : des pluies intenses, des crues rapides, ou des longues périodes de sécheresse.
AE : Connaissons-nous bien les risques inhérents au changement climatique sur ce territoire ?
EM : Nous savons que beaucoup de choses sont en train de changer. Ainsi, des études sont en cours pour essayer de quantifier les sécheresses récentes : nous souhaitons déterminer si nous pouvons comparer la période actuelle à d'autres périodes du passé. De même, concernant les pluies extrêmes, aujourd'hui nous avons du mal à évaluer les tendances : ces évènements n'arrivent pas souvent et les marges d'incertitudes sont donc importantes.
L'ensemble des modèles climatiques indique que dans un contexte de changement climatique, il y aura une augmentation des évènements extrêmes. Toutefois, contrairement à l'augmentation des températures pour lesquelles nous n'avons plus de doutes sur le fait que nous sommes sortis de la marge d'erreur d'une variabilité normale du climat, il n'en est pas de même pour l'augmentation des évènements extrêmes.
AE : Quels sont les principaux résultats de votre rapport?
EM : Il se veut un ouvrage de référence, un état de l'art des problématiques qui touchent la méditerranée : la biodiversité, le changement climatique, l'eau, la santé.
Deux messages principaux ressortent du rapport : le premier est que le changement climatique est un fait dans la région. Conjugué aux activités humaines, il engendre des changements importants sur la société et les écosystèmes. Le deuxième est que, malgré la complexité du sujet, et les incertitudes qui subsistent, il faut agir maintenant. Si nous attendons trop pour prendre des décisions, il sera trop tard. Nous souhaitons sensibiliser les décideurs à ces enjeux. En analogie avec le domaine de la médecine, nous devons poser des diagnostics et prendre des décisions même si nous ne connaissons pas entièrement les tenants et aboutissements d'une maladie. L'année dernière a été approuvé l'Accord de Paris. Il est maintenant ratifié et vient d'entrer en application. Toutefois, beaucoup d'actions de cet accord sont remises à la négociation. Ce livre vise à attirer l'attention sur la Méditerranée et sur le besoin d'agir pour limiter au maximum les conséquences très dommageables comme la baisse des ressources en eau ou la perte irrémédiable d'espèces.
AE : Quelles sont les autres principales initiatives sur ce sujet ?
EM : Une initiative internationale est en train de se monter : MedECC, pour Mediterranean group of Experts of Climatic change. Elle est portée par des chercheurs d'Aix Marseille et du CNRS. Concrètement, nous souhaitons rassembler des chercheurs pour qu'ils puissent se mettre à disposition des décideurs, actualiser les connaissances scientifiques et les diffuser mais également contribuer aux évaluations futures. L'objectif est de petit à petit augmenter les capacités scientifiques, la formation et la R&D de tous les pays au service de la décision. 190 chercheurs sont intéressés aujourd'hui par cette initiative. Ce groupe s'attaquera à la préparation de rapports ciblés dès 2017.
Un programme national est également en cours : Mistrals, pour Mediterranean Integrated STudies at Regional And Local Scales qui doit durer 10 ans.
Par Dorothée Laperche - Source de l'article Actu Environnement
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