La dégradation s'accélère dans l'un des bassins mondiaux les plus riches en biodiversité. La qualité de l'eau, comme celle des sols et de l'atmosphère, inquiète les scientifiques.
Prolifération d'algues, acidification et augmentation de la température de la mer, avancée des déserts, intensification des pollutions atmosphériques, dégradation des sols, raréfaction de l'eau douce, disparition des espèces... Alors que s'ouvre aujourd'hui à Marrakech la 22e Conférence des parties (COP22), l'avenir climatique de la Méditerranée s'annonce bien sombre. Plusieurs études publiées ces derniers jours ne donnent pas cher de cette aire géographique qui compte parmi la trentaine d'espaces les plus sensibles de la planète.
« Le bassin méditerranéen est l'une des zones les plus exposées au risque », explique Jean-Paul Moatti, président de l'Institut de recherche pour le développement, en préface d'une synthèse inédite des travaux de recherche sur ce bassin, dévoilée ce lundi matin. La région, poursuit l'auteur, « a donc un devoir d'exemplarité dans la construction d'un nouveau mode de consommation et de production »
On en est loin : le bassin de la Grande Bleue « est à la veille du plus grand bouleversement de son histoire », résume le collectif, qui prédit des « changements notables » dans moins de vingt ans. « La circulation océanique liée à la température et à la salinité des masses d'eau (ou circulation thermohaline) est déjà affectée, détaillent les chercheurs. Les scénarios prévoient la poursuite de ces changements et une forte atténuation des phénomènes de convection à l'origine de l'oxygénation du bassin, ce qui aura des conséquences sur les cycles biogéochimiques, l'écosystème et ses ressources.
Les changements planétaires vont affecter la fréquence des événements extrêmes : cyclogénèse, phénomènes hydrométéorologiques ou éoliens, sécheresse et dégradation des sols. »
Pollens fossiles
Le paléoclimatologue Joël Guiot, directeur de recherche au CNRS, est plus précis. Dans une étude publiée fin octobre avec l'écologue Wolfgang Cramer dans la revue « Science », il a calculé que, au-dessus de 1,5 °C de réchauffement global, la région subira à l'horizon 2100 « des changements jamais vus depuis les 10.000 dernières années ». Pour en venir à cette conclusion, les chercheurs ont analysé l'évolution du profil des pollens fossiles comparée au climat passé et introduit ces données dans les modèles de prévision climatique ; ils en ont déduit une estimation plus précise de l'impact de la hausse des températures sur l'environnement.
Dans l'hypothèse basse, la situation resterait « à peu près conforme à la situation observée ces 100 derniers siècles ». Mais un demi-degré de plus, et tout dérape : Chypre ne serait plus qu'un désert ; en Afrique, seules les côtes situées au nord-ouest du Maghreb pourraient résister à la sécheresse ; et en France, le climat du Sud-Est équivaudrait à celui actuel des Pouilles, dans le sud de l'Italie.
Au-delà de 3 °C, le bassin changerait littéralement de visage : le désert isolerait de grandes villes comme Lisbonne et Séville, les rives nord seraient aussi étouffantes que les rives sud, et même les zones montagneuses verraient leur physionomie bouleversée par la substitution de la flore méditerranéenne sur les grandes étendues de forêts caduques.
« Il sera difficile d'éviter ce scénario », estime le chercheur. Les températures du pourtour méditerranéen sont déjà de 1,3 °C supérieures à celles de 1920, alors que la température globale de la planète s'est accrue de 0,85 °C pendant la même période. Les précipitations ont également diminué de 20 % dans certaines régions. « L'Holocène, en particulier ces 5.000 dernières années, a connu plusieurs périodes de sécheresse, mais elles étaient accompagnées de températures relativement stables », explique Joël Guiot.
La situation au XXIe siècle sera différente. Alors que par le passé, les cultures résistaient, la grande sécheresse syrienne qui s'est étalée sur douze ans, entre 1998 et 2010, avec une hausse de la température globale de 0,5 °C (ce qui est beaucoup), a ravagé l'agriculture et contribué, selon certains chercheurs, à la montée des violences.
Les chercheurs s'inquiètent également de l'évolution de la qualité de l'air dans la région. « Le climat régional et le cycle de l'eau sont altérés par la chimie de l'atmosphère, explique François Dulac, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement du CEA. En réduisant le flux solaire reçu en surface, les aérosols entraînent une baisse des précipitations annuelles de 10 % en moyenne sur le bassin méditerranéen. Ils pourraient réduire plus encore les précipitations en diminuant la taille des gouttes d'eau dans les nuages ou en favorisant la formation de cristaux de glace. »
Particules fines
De récentes expériences indiquent en outre que la présence, à la surface des eaux de la Méditerranée, de l'azote déposé par l'atmosphère et du phosphore issu des poussières désertiques favorise le développement de phytoplancton, activant l'absorption de CO2. Mais le dépôt de poussières favorise aussi la croissance de bactéries qui, à l'inverse, rejettent du carbone.
« L'effet net du dépôt de ces poussières à grande échelle reste à établir », reconnaît le chercheur, qui coordonne le programme ChArMex, réunissant une cinquantaine de laboratoires français et étrangers pour comprendre le rôle des poussières dans l'atmosphère de la région.
Ils ont déjà constaté que la pollution en particules fines mesurée au Cap Corse, dans un lieu a priori isolé des sources de pollution, est plus forte l'été venu qu'en banlieue parisienne ; ou encore que la haute atmosphère de Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, contient de grosses particules de poussière saharienne qui étaient jusqu'alors considérées comme trop lourdes pour être transportées si loin de leur source, et donc non prises en compte dans les modèles de prévision climatique.
« Les campagnes de mesures ont montré que la Méditerranée est sous l'influence de sources plus lointaines, encore provenant d'Amérique du Nord et d'Asie », indique François Dulac. Difficile, dans ces conditions, d'échapper à leur influence.
En chiffres
- 0,7 % La surface de la Méditerranée par rapport aux mers du globe. Ses côtes s'étendent sur 46.000 km le long de 22 pays. Elle abrite entre 10 % et 18 % des espèces marines connues.
- 40 % La proportion des villes méditerranéennes de plus de 2.000 habitants qui ne sont pas desservies par des stations d'épuration (Source : Plan bleu).
- 85 % Entre 1970 et 2010, la population du bassin a crû de 285 à 430 millions d'habitants. En 2030, les rives de la Méditerranée compteront 550 millions d'habitants (Source : Observatoire national de la mer et du littoral).
- 925 Le nombre d'espèces envahissantes recensées par les scientifiques (Source : Agence méditerranéenne de l'environnement).
- 31 % Sur 5,7 % des terres émergées, le bassin méditerranéen concentre 31 % du tourisme mondial (Source : Plan bleu).
Par Paul Molga - Source de l'article Les Echos
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