Climat : le temps des solutions ?

Près d'un an après l'accord de Paris, la COP22 se tient jusqu'au 18 novembre à Marrakech. Savoirs autochtones, données scientifiques et initiatives populaires... les chercheurs déploient leurs diagnostics et solutions pour lutter contre le changement climatique et ses conséquences.

COP 22

Il y a un an environ, la 21e Conférence des parties (COP21) débouchait sur l'accord de Paris (lire notre blog sur la COP21). Ce traité historique, dont l'objectif est de maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés supplémentaires par rapport aux niveaux pré-industriels, est entré en vigueur le vendredi 4 novembre 2016. Un signe positif avant la COP22 qui débute aujourd’hui à Marrakech, au Maroc. Mais le travail est loin d'être fini : il reste à traduire cet objectif en solutions concrètes, ce à quoi vont s'atteler, jusqu'au 18 novembre, les participants de cette nouvelle conférence.

"Le changement climatique est aussi lié à des problèmes de biodiversité, de gestion des villes, d’inégalités sociales."

En plus de la conférence principale, de très nombreux colloques et événements sont organisés afin que la communauté scientifique et la société civile puissent partager leurs données, outils et revendications. L’occasion parfaite de saisir les attentes et inquiétudes des chercheurs face à des accords souvent marqués par la politique et la diplomatie. Agathe Euzen coordonne la délégation CNRS de la COP22. Anthropologue, directrice adjointe scientifique de l’Institut écologie et environnement du CNRS (Inee) et chercheuse au Laboratoire techniques territoires et sociétés (Latts)1, elle participe à divers évènements liés à la convention. Parmi les sujets abordés, la Grande muraille verte contre la désertification au Sahel, ou l’évaluation des solutions dans le domaine de l’eau, en association avec le Partenariat français pour l’eau(link is external).

« Les gens sont surpris quand on leur parle de COP22, avoue-t-elle, ils ne savent pas que la conférence a lieu tous les ans. Nous devons montrer en quoi le changement climatique est aussi lié à des problèmes de biodiversité, de gestion des villes, d’inégalités sociales… Il faut inscrire ces idées dans un ensemble et dans la durée, expliquer comment des enjeux de société deviennent des enjeux scientifiques. »

Des actions à tous les niveaux 

Si les accords prennent vie à l’échelle des États, énormément d’actions sont menées au niveau des populations locales. La lutte contre le changement climatique ne se réduit pas à un duel entre industriels et climatologues, où les États seraient les seuls arbitres. Agathe Euzen met ainsi en avant une logique de complémentarité d’acteurs, qu’ils soient juristes, économistes, sociologues, géographes, climatologues… Thierry Dutoit, directeur de recherche à Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine et continentale (IMBE)2 et conseiller scientifique à l’Inee, se place aussi dans cette perspective : « Les chercheurs de l’Inee se sont impliqués dans la COP pour apporter des connaissances opérationnelles dans la lutte contre le changement climatique, explique-t-il. Nous préférons des solutions d’ingénierie écologique, à plus petite échelle et plus soutenables, à la géo-ingénierie qui tient parfois du domaine de la science-fiction et pourrait avoir des effets secondaires graves sur le fonctionnement de la biosphère. »

Il ne s’agit donc pas pour ces chercheurs de capter massivement le rayonnement solaire ou de stocker du carbone dans l’eau des océans. Leur approche favorise par exemple une bonne gestion des zones humides, qui peuvent en retour piéger du carbone dans la tourbe, ou alors végétaliser des espaces urbains. La somme de ces projets, applicables même dans les pays en développement, pourrait aider à changer la donne.

Les zones humides, comme ces mangroves de Guyane française, peuvent être appelées à jouer un rôle clé dans la lutte contre le réchauffement climatique. E. Michaud Lemar/CNRS Photothèque

Cette attention sur les initiatives locales prend tout son sens alors que, malgré la signature du traité de Paris, certains politiciens continuent de remettre en cause la réalité du changement climatique. Donald Trump a ainsi promis d’annuler l'accord de Paris en cas de victoire à l’élection présidentielle américaine.

L’alliance des savoirs pour le climat

« Les données et les connaissances fournies par les scientifiques sont politiquement neutres, nous ne sommes pas inféodés à une idéologie de la non-croissance, insiste Thierry Dutoit. Nos travaux sont issus d’expérimentations suffisamment publiées et évaluées pour être pris au sérieux. Nos objectifs sont doubles : faire prendre en compte nos expertises et répondre aux politiques publiques par des solutions d’ingénierie innovantes et applicables. »

En quête de clés et d’outils de diagnostic, les chercheurs se tournent en partie vers les savoirs traditionnels. Marie Roué, directrice de recherche émérite au laboratoire Éco-anthropologie et ethnobiologie3, a ainsi coorganisé avec l’Unesco le colloque « Savoirs autochtones et changements climatiques », qui s’est tenu du 2 au 3 novembre à Marrakech en contribution à la COP22. Ces peuples sont doublement concernés par le réchauffement climatique : ils y sont particulièrement vulnérables tout en ayant accumulé des savoirs qui permettent leur adaptation.

Les travaux de Marie Roué se concentrent sur les groupes d’éleveurs de rennes en Scandinavie, les Samis. Le réchauffement climatique menace les pâturages de leurs rennes et facilite l’implantation d’industries lourdes. La hausse des températures et le dégel réduisent en effet le coût des exploitations minières et énergétiques en Scandinavie, ce qui fragilise encore davantage le mode de vie des éleveurs.

Les scientifiques plaident pour la prise en compte des savoirs locaux, tels ceux des éleveurs de rennes en Scandinavie. K. Honkanen/Altopress/Photoalto/AFP Photo
« Les sciences se sont spécialisées et séparées au fil des siècles, déplore Marie Roué, mais nous remettons à présent l’accent sur l’interdisciplinarité. Or les savoirs ancestraux sont holistiques par nature. Les Samis mêlent ainsi physique de la neige et des sols, botanique et zoologie dans leurs observations, qu’ils placent dans une continuité qui peut s’étaler sur plusieurs siècles. Nous voulons montrer que ces savoirs locaux sont complémentaires de la science moderne. »

La Méditerranée au centre de l’attention

À réchauffement global, solutions locales ? La tenue de la COP22 dans un pays africain pris entre l’Atlantique et la Méditerranée n’a d’ailleurs rien d’anodin. Joël Guiot est paléoclimatologue, directeur de recherche au Centre de recherche et d’enseignement de géosciences de l’environnement (Cerege)4. Avec Wolfgang Cramer de l’IMBE, il coordonne ainsi un groupe d’experts centré sur le climat méditerranéen, le MedECC5.

« La Méditerranée est à la fois un hotspot du changement climatique et de la biodiversité, affirme-t-il. Elle se situe en effet à l’interface du monde européen tempéré et du monde africain tropical. Cette mer est un lieu d’échanges d’eau, d’air, de gens et de biens, ce qui la rend vulnérable d’autant que ses côtes sont très peuplées. » Dans un article tout juste paru dans Science (link is external), les deux chercheurs ont justement testé les différents scénarios du Giec en matière de réchauffement global pour estimer leur effet sur le Bassin méditerranéen. Résultat, seul le scénario le plus optimiste, avec 1,5 degré de hausse d’ici à 2100, a un impact sur la biodiversité comparable aux variations observées ces 10 000 dernières années. Même l’objectif fixé par la COP21, 2 degrés d’ici à 2100, correspondrait à un changement inégalé sur tout l’Holocène. Ces travaux soulignent à quel point davantage d’efforts sont nécessaires, malgré les avancées.

Le Bassin méditerranéen, au centre de cette image satellite, est l'une des régions de la planète les plus exposées au changement climatique.CNES/Traitement Vito, 2010

« Le réchauffement climatique reste un phénomène à énorme inertie et les effets mettent plusieurs dizaines d’années avant de se faire ressentir, prévient Joël Guiot. Si on arrive à convaincre les gens que la lutte contre le changement climatique a aussi des répercussions positives à court terme, par exemple sur la pollution, alors on pourra peut-être davantage les motiver à agir. »

La mobilisation des chercheurs a déjà porté de nombreux fruits au sein des COP. Directrice de recherche émérite au CNRS, conseillère scientifique à l’Inee et responsable scientifique de la plateforme océan climat(link is external), Françoise Gaill est montée au créneau l’an dernier pour défendre les océans, finalement mentionnés dans le préambule de l'accord de Paris. « Nous avons obtenu la tenue d’un rapport spécial sur l’océan et la cryosphère, se réjouit-elle. La situation s’est améliorée en un an et la France se dote enfin d’aires marines protégées à sa hauteur. Il reste cependant important de poursuivre ces efforts. Nous avons besoin d’infrastructures dont tous les pays puissent bénéficier ainsi que d’échanges de doctorants et de jeunes chercheurs. »

"La Méditerranée est à la fois un hotspot du changement 
climatique et de la biodiversité."

Françoise Gaill rappelle que les projections d’élévation du niveau de la mer d’ici à 2100 impliquent que des États insulaires soient littéralement rayés de la carte. Si les océans contiennent naturellement des zones privées d’oxygène, celles-ci s’étendent et sont de plus en plus nombreuses. Les conséquences du changement climatique s’observent chaque jour, mais les efforts consentis ont un impact qui pousse à s’investir davantage.

« La signature au mois d’octobre à Kigali d’un accord international contraignant de suppression deshydrofluorocarbures d’ici à 2050 montre que les dirigeants sont prêts à prendre leurs responsabilités, souligne Agathe Euzen. Nous avons aussi constaté que les mesures de protection de la couche d’ozone ont réellement eu des effets bénéfiques. »

L’engagement des États a bien des conséquences positives et les initiatives citoyennes se multiplient. Les chercheurs se tiennent en tout cas prêts pour informer ces deux mondes et tisser des liens entre eux.

Par Martin Koppe - Source de l'article Journal du CNRS

À lire : « La Méditerranée face au changement climatique - État des lieux de la recherche », collectif (directeurs scientifiques : Stéphanie THIÉBAULT, directrice de l’Institut écologie et environnement (Inee) du CNRS, et Jean-Paul MOATTI, président-directeur général de l’IRD), IRD Éditions/AllEnvi, 2016, 736 pages, 30 euros. 
À l’occasion de la COP22, les membres de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (AllEnvi) publient un ouvrage de synthèse exceptionnel sur l’évolution du climat, ses conséquences et les solutions d’atténuation et d’adaptation dans la région méditerranéenne. Plus de 150 auteurs ont été mobilisés.

Notes
1.Unité CNRS/Univ. Paris-Est Marne-la-Vallée/École des Ponts ParisTech
2.Unité CNRS/Univ. Aix-Marseille/Univ. d’Avignon/IRD.
3.Unité CNRS/MNHN/Univ. Paris-Diderot.
4.Unité CNRS/Univ. Aix-Marseille/IRD/Collège de France.
5.Mediterranean experts on climate and environmental change.

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