Pour devenir l’eldorado annoncé du XXIe siècle, l’Afrique devra surmonter bien des handicaps. À commencer par le déficit annuel de quelque 50 milliards de dollars d’investissements pour les infrastructures. Un défi que l’actuelle mobilisation pour la lutte climatique contribuera à relever.
Le 4 octobre 2016, à Strasbourg, le Parlement européen a ratifié à une écrasante majorité (610 voix pour, 38 contre) l'accord de Paris, ouvrant ainsi la voie à la consolidation de l'engagement de l'Union en faveur de la lutte climatique. Sur la photo souvenir, de gauche à droite : Ségolène Royal, ministre française de l'Écologie et présidente de la COP21 ; Ban Ki-moon, secrétaire général de l'Onu ; Martin Schulz, président du Parlement européen. (Crédits : Reuters) |
L'Afrique est à la mode, on ne compte plus les économistes et autres experts affirmant que ce continent portera la croissance mondiale au XXIe siècle... mais certains, éternels « Afropessimistes », s'alarment du recul relatif enregistré récemment.
À court terme en effet, les performances africaines semblent moins prometteuses : alors que la croissance moyenne sur le continent était de 4,9 % entre 2000 et 2008, elle a ralenti entre 2010 et 2015, pour s'établir à 3,3 % - à peine au-dessus de la croissance démographique, à 3 % -, et dans un rapport présenté le 25 octobre à Yaoundé (Cameroun), les prévisionnistes du FMI ont annoncé que l'Afrique subsaharienne connaîtrait cette année sa plus faible croissance depuis vingt ans.
Pour autant, tous les observateurs ne se laissent pas aller à un renouveau de « l'Afropessimisme ». Publié à la mi-septembre, un rapport du cabinet McKinsey affirme une autre vision. Si 11 pays, qui représentent 60 % du PIB du continent, affichent un ralentissement important - les pays pétroliers, mais aussi ceux les plus ébranlés par le Printemps arabe, soit l'Égypte, la Libye et la Tunisie -, les autres pays ont maintenu leurs taux de croissance annuels au-delà de 4 %, et ce sans discontinuer depuis les années 2000. Certains d'entre eux s'apprêtent même à battre des records : la Côte d'Ivoire, par exemple, dépassera les 9 % de croissance en 2016.
Globalement, le tableau reste donc assez positif, et cela d'autant plus que sur le long terme, ainsi que l'affirment les « Afroptimistes » (à commencer par Lionel Zinsou, ancien Premier ministre du Bénin et coprésident d'AfricaFrance), les fondamentaux - démographie forte, émergence accélérée des classes moyennes, industrialisation - paraissent assurés.
Dès 2020, un transfert annuel ciblé de 100 milliards de dollars
Reste que le décollage réel et irréversible de l'Afrique au XXIe siècle ne pourra se faire sans surmonter plusieurs handicaps majeurs, notamment : la faiblesse de la formation - dès 3 % de croissance, la rareté du capital humain devient un frein pour avancer encore ; la piètre gouvernance ; l'insuffisance de la sûreté et de la sécurité alimentaire, ainsi que celle des réseaux de mobilité et d'autres infrastructures essentielles, comme l'accès à l'eau et à l'électricité... ce qui ramène à la problématique transversale de leur financement.
Justement, sur le financement des infrastructures, pour lequel l'Afrique enregistre un déficit annuel de quelque 50 milliards de dollars (on ne collecte actuellement que 45-50 Md$, pour un besoin total estimé de 100 milliards), il apparaît que la mobilisation autour de l'enjeu climatique pourrait constituer un accélérateur sérieux.
En effet, un rapport de l'OCDE, publié à la mi-octobre, révèle qu'à la veille de l'ouverture de la COP22 de Marrakech, les flux agrégés de financements publics, estimés sur la base des seules promesses faites par les États en 2015, s'élevaient à 67 milliards de dollars. Certes, on était encore loin des 100 milliards de financements promis par les pays riches au bénéfice des pays en développement, mais selon une vision largement partagée, ces fonds publics provoqueront un puissant effet de levier pour attirer des fonds privés, ce qui porterait l'ensemble des fonds annuels disponibles jusqu'à 92 Md$ en hypothèse basse, et à 133 Md$ en hypothèse haute, à partir de 2020. Un optimisme partagé notamment par Ségolène Royal, ministre française de l'Environnement et présidente de la COP21. Recevant le rapport de l'OCDE, elle a déclaré que « le privé va aller beaucoup plus vite et plus loin qu'on ne le pense ».
Cette vision des « 100 milliards de dollars - publics - à l'horizon 2020 » a cependant été confortée le 19 octobre : à l'occasion de la pré-COP qui s'est tenue à Marrakech, le Royaume-Uni et l'Australie ont présenté une feuille de route, signée par 38 pays riches, sur la manière de collecter ces 100 milliards de dollars annuels dès 2020, et sur le renforcement des capacités permettant aux pays récipiendaires de pouvoir utiliser ces ressources.
Un fort engagement européen
Mais côté institutions, certaines ont déjà engagé des actions fortes, antérieures à l'annonce de l'horizon 2020. C'est, par exemple, le cas de la Banque européenne d'investissement (BEI), dont le vice-président Roman Escolano déclarait à La Tribune, lors d'un entretien exclusif en septembre dernier, que « la BEI est le premier bailleur de fonds international pour le climat, avec un engagement [à ce jour] de près de 100 milliards d'euros », dont 20 milliards d'euros dans la région méditerranéenne (Afrique du Nord et Proche-Orient).
Un engagement qui s'inscrit dans la ligne d'action définie par l'Union dès 2009, et accentué par un document de vision stratégique adoptée en septembre 2015 : la BEI s'y engage notamment à porter à plus de 50 milliards d'euros ses investissements en faveur du climat en cinq ans, sur la période 2016-2020. Cerise sur le gâteau de l'implication institutionnelle de l'Europe : le 4 octobre, à une écrasante majorité (610 voix pour, 38 contre), le Parlement européen a approuvé la ratification par l'Union de l'accord de Paris. La mission de la BEI n'en sera donc que confortée.
« Une mobilisation extraordinaire »
Pays hôte de la COP22, le Maroc ne saurait être en reste : le Royaume alaouite s'est engagé à réaliser des investissements de l'ordre de 40 milliards de dollars à l'horizon 2030, a précisé dimanche 23 octobre à notre confrère Jeune Afrique Hakima El Haite, ministre marocaine déléguée, chargée de l'Environnement et championne du climat. Toujours dans la perspective de la COP22 de Marrakech, un Climate Finance Dayréservé aux acteurs privés devait se tenir le 4 novembre à Casablanca. Une journée historique, puisqu'elle marque l'entrée en vigueur de l'accord de Paris, le seuil de 55 États représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre ayant été franchi, a annoncé le 19 octobre l'ambassadeur marocain Aziz Mekouar, à l'issue de la rencontre pré-COP, qui a rassemblé à Marrakech des ministres venus de 80 pays.
À la veille de la tenue de la COP22, la dynamique positive engagée par la COP21 et l'accord de Paris s'est donc transformée en « une mobilisation extraordinaire du monde entier », a relevé l'ambassadeur marocain. Une mobilisation qui devrait trouver son point d'orgue dans la ville rouge, où l'on attend 25 000 participants à la COP22.
Par Alfred Mignot - Source de l'article la Tribune
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