Interview exclusive de François Gouyette, ambassadeur de France en Tunisie, réalisée par ''00216'', le magasine des Tunisiens en France.
Vous êtes en fonction depuis trois mois au cours desquels vous avez beaucoup rencontré les chefs d'entreprise, acteurs de la vie politique et de la société civile. Quel diagnostic faites-vous de cette Tunisie pré-démocratique ?
En effet, depuis ma prise de fonctions, j'ai tenu à aller à la rencontre de la société tunisienne dans toute sa diversité. J'ai rencontré l'ensemble du spectre politique. A tous, j'ai tenu le même langage: la France se tient aux côtés de la Tunisie pour le succès de sa transition démocratique.
J'ai aussi multiplié les déplacements en région: à Sousse, Monastir, Sfax, Gafsa ou encore Bizerte. J'ai été frappé par la qualité de mes interlocuteurs.
La société tunisienne est en pleine effervescence. Partout, les initiatives de la société civile se multiplient. Il y a une libération de la parole et une créativité qui invitent à l'optimisme.
Bien sûr, les périodes de transition politique ne sont jamais exemptes de tensions, d'impatiences, de désillusions aussi. Mais je suis persuadé que la Tunisie est capable de les dépasser et de réussir cette expérience si importante aux yeux des voisins et amis que nous sommes.
Vous qui avez beaucoup vécu dans les pays arabes, quels sont les atouts singuliers de la Tunisie? Dans la perspective d'une Tunisie prospère, moderne et démocratique, identifiez-vous dans la situation actuelle des menaces potentielles sérieuses?
Chaque pays est différent et je ne me risquerais pas à faire des comparaisons. Ce qui me frappe en Tunisie, c'est l'esprit de responsabilité dont chacun a fait preuve jusqu'à présent, malgré les différences politiques et les turbulences que le pays a traversées et traversera sans doute encore.
La levée de la chape de plomb qui pesait sur la société sous l'ancien régime a fait surgir des questions identitaires et mémorielles. Les revendications économiques et sociales sont nombreuses et difficiles à satisfaire immédiatement. Tout ceci est naturel. Mais je crois que le peuple tunisien a les atouts pour inventer un nouveau modèle de société qui donne sa place à chacun. C'est un peuple ouvert et bien intégré dans la mondialisation.
Comment qualifiez-vous les relations actuelles entre la France et la Tunisie? La première visite officielle du président François Hollande et du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius en janvier 2013 est elle actée?
Avec les changements politiques en Tunisie, en 2011, et en France, en 2012, les relations entre nos deux pays sont entrées dans un nouveau cycle.
En novembre, la visite de la ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, et celle du président du Sénat, Jean-Pierre Bel en ont été les premiers signes de notre côté.
Du côté tunisien, il y a eu l'été dernier les déplacements en France du Président de la république Moncef Marzouki et du Premier ministre Hamadi Jebali. Les visites vont se poursuivre de part et d'autre. Le Président Hollande devrait venir à Tunis au début du printemps prochain. La relation bilatérale est au beau fixe.
La France demeure le premier investisseur économique étranger en Tunisie nettement devant le Qatar. Pourtant son influence culturelle et politique est en net déclin. Comment analysez-vous ce paradoxe et quelle est votre stratégie pour restaurer l'image et le prestige perdus?
Je ne partage pas votre affirmation sur un supposé déclin de l'influence culturelle et politique de la France en Tunisie. Comme vous le rappelez, nous sommes de loin le premier partenaire économique de la Tunisie, qu'il s'agisse des échanges commerciaux ou des investissements directs: 1.300 entreprises françaises sont implantées dans le pays, elles emploient près de 120.000 personnes.
Si l'on regarde les chiffres de la coopération, on s'aperçoit que la dotation de l'ambassade de France en Tunisie, environ 6.000.000 d'euros en 2012, est l'une des toutes premières au monde en valeur absolue et même la première, si on la rapporte au nombre d'habitants.
La Tunisie est, par ailleurs, sur ces vingt dernières années, l'un des principaux bénéficiaires des financements de l'Agence française de développement (Afd), qui a fait un effort considérable dans le cadre du partenariat de Deauville.
Je pourrais également citer les 7.500 élèves tunisiens scolarisés dans le réseau scolaire français, les 1.000 bourses d'études de courte et de longue durée accordées à des étudiants tunisiens, etc.
Je ne nie pas que l'image de la France ait pu souffrir de ses hésitations au moment de la révolution, ni qu'il y ait une volonté de la Tunisie de diversifier ses partenariats. C'est à nous de mériter notre place de premier partenaire et de garder le cap choisi dès janvier 2011, à savoir contribuer, en plein accord avec les autorités tunisiennes, à la réussite de la transition.
François Hollande est le premier chef d'État occidental à reconnaitre la légitimité de la nouvelle coalition de l'opposition syrienne; Laurent Fabius a été le premier chef de gouvernement européen à se rendre en Israël et Palestine pour proposer la médiation de la France dans la crise de Gaza. Avec ces initiatives diplomatiques, la politique de la France traditionnellement prudente dans le monde arabe se veut plus volontariste et proactive. Dans ce nouveau cadre, quel rôle compte jouer la France dans la transition en cours en Tunisie?
Comme je vous l'indiquais précédemment, nous allons garder le cap fixé après la révolution. Nous avons choisi de travailler sur trois axes que nous pensons essentiels pour la réussite de la transition démocratique: le renforcement de l'Etat de droit, le soutien à la société civile et enfin la relance économique, parce que les revendications de la révolution sont d'abord économiques et sociales.
Des aides importantes ont été débloquées, notamment depuis le sommet du G8, à Deauville en 2011, où la France a joué un rôle moteur pour mobiliser les bailleurs internationaux. De nouveaux champs de coopération se sont ouverts: coopération décentralisée, appui aux associations, formation des juges, des avocats, des journalistes, etc. Plus que jamais, ce plan d'action est d'actualité.
La France a beaucoup milité en faveur de l'acquisition par la Tunisie du statut de partenaire privilégié avec l'Europe. Ne pensez-vous pas que cet accord qui est entré en vigueur depuis le 19 novembre arrive trop tôt pour la Tunisie dont la situation économique est exsangue? La Tunisie actuelle a-t-elle les moyens de profiter d'une internationalisation accrue?
Voilà plus d'une décennie que la France et l'Union européenne (UE) travaillent à la convergence de leurs économies avec la rive sud de la Méditerranée, en particulier à travers le Plan d'action UE/Tunisie adopté fin 2004 dans le cadre de la politique de voisinage.
À titre d'exemple, des jumelages entre institutions tunisiennes et européennes ont débouché sur le renforcement des administrations et le rapprochement des règlementations dans le domaine de la qualité des produits et de la protection des consommateurs.
Cette convergence, préparée en amont, constitue un atout pour l'économie tunisienne et pour ses entreprises. La conclusion, lors du Conseil d'association du 19 novembre 2012, d'un accord politique sur le nouveau Plan d'action mettant en œuvre le Partenariat privilégié entre l'UE et la Tunisie, a été une marque de confiance indéniable donnée par les 27 Etats membres à la Tunisie, en faveur de laquelle la France s'est pleinement engagée.
Il faut aussi souligner que le partenariat privilégié est un processus, et non un point d'arrivée. Les Tunisiens pourront donc s'assurer du caractère équilibré et mutuellement profitable de l'accord.
* L'interview intégrale paraîtra dans le prochain numéro du magazine ''00216'' (janvier 2013).