A la veille du déplacement du président
de la République
en Algérie, année du cinquantenaire de l'indépendance de l'Algérie, il faut
dire avec force que ces deux pays ont une trajectoire commune à construire.
Si
l'axe Paris-Bonn (puis Berlin) a été et reste fondamental pour la construction
européenne et encore aujourd'hui pour sortir l'Union européenne de l'impasse,
des relations construites, apaisées et lucides entre Paris et Alger le sont
tout autant pour la construction d'un espace méditerranéen de prospérité
partagée. Et, au-delà du Maghreb, construire ainsi un axe Nord-Sud vers
l'Afrique.
L'Union
pour la Méditerranée
ne permet pas d'atteindre cet objectif : trop vaste, trop d'acteurs concernés,
juxtaposition des dimensions politique et économique. Sans remettre en cause
les relations que la France
a avec des pays amis tels que le Maroc ou la Tunisie , elle doit constituer avec l'Algérie le
moteur qui permet de construire une méditerranée occidentale intégrée. Cette
Méditerranée est un espace vital pour l'avenir des deux pays, parce que c'est
là qu'à leur détriment, s'ils n'agissent pas de concert, les grandes stratégies
internationales américaine, chinoise et brésilienne en particulier vont
prospérer au cours des prochaines années. Elle constitue un enjeu économique de
première importance où transite plus du tiers du trafic mondial de marchandises
et concentre 40 % du tourisme mondial. Un enjeu géostratégique, car les
échanges par bateau entre l'Europe et la Chine sont désormais plus importants que ceux
entre l'Europe et les Etats-Unis. Un enjeu de souveraineté, avec l'énergie en
particulier dont la France
est largement dépendante pour son approvisionnement de la Russie qui n'hésite pas à
en faire un objet de chantage permanent.
Enfin
un enjeu politique, car sans un Maghreb prospère dont les pays membres
travaillent de concert, cette zone deviendra une véritable poudrière sociale
aux portes de l'Europe du Sud.
D'ores
et déjà, une partie de la société française se confond avec une partie de la
société algérienne et réciproquement. Plusieurs millions de personnes
constituent un pont entre les deux rives de la Méditerranée et ont
la volonté de jouer un rôle clé dans le rapprochement entre les deux pays.
L'Algérie
et la France
sont confrontées à des défis gigantesques et à ce titre, sont toutes deux à un
tournant décisif pour leur devenir. L'Algérie doit se doter impérativement
d'une véritable stratégie de développement et d'institutions économiques
modernes, et déconnecter sa croissance économique des évolutions aléatoires du
marché pétrolier sous peine d'instabilité récurrente et d'aggravation des
effets pervers du modèle rentier. La
France , quant à elle, a à affronter un processus de
désindustrialisation depuis plusieurs décennies, une ségrégation urbaine et un
chômage de masse de longue durée qui gangrènent la cohésion sociale. Elle a
besoin de trouver de nouveaux moteurs de croissance, par la mise en œuvre de
partenariats novateurs avec le sud de la méditerranée. Chacun a besoin de
l'autre, pour ne pas rentrer dans une logique de soumission aux forces à
l'œuvre dans l'économie mondiale.
Quelles
formes peut prendre ce partenariat privilégié entre les deux pays ? Le fil
conducteur d'un tel partenariat est la constitution de filières industrielles
puissantes et de qualité aptes pour la France à lui ouvrir de nouvelles perspectives de
croissance dont elle a tant besoin et, pour l'Algérie, de lui permettre de
s'insérer activement dans l'économie de la connaissance et de devenir un
nouveau pays émergent dans l'économie mondiale. Le choix de l'industrie est
fondamental, car c'est elle qui est et sera demain le catalyseur de
l'innovation, de l'emploi et de la puissance, c'est-à-dire de la capacité pour
les deux pays à maîtriser leur destin.
De
son côté, la France
possède un appareil productif qui offre un triple avantage pour l'Algérie : des
points forts correspondant à ses besoins structurels, dans l'industrie
agro-alimentaire, les biens d'équipement, l'industrie automobile, l'industrie
électronucléaire, la santé, ou encore le traitement de l'eau ; les
investissements qu'elle est en train de réaliser dans les nouvelles activités à
forte rente technologique, comme les énergies renouvelables, les sciences du
vivant, les technologies vertes ; enfin, une vaste palette de savoirs
scientifiques via ses centres de recherche et ses universités et de
savoir-faire liés à la diversité de son tissu d'entreprises fait de grands
groupes de dimension mondiale et d'une grande variété de PME et d'ETI.
L'Algérie
quant à elle, représente un marché considérable en forte croissance à proximité
des entreprises françaises et dont la population a une image très positive des
produits français tels que par exemple ses automobiles ; elle constitue une
signature crédible sur le plan international. Elle est un pays pionnier dans la
liquéfaction du gaz naturel et constitue avec ses besoins croissants en énergie
électrique et son ensoleillement exceptionnel un potentiel gigantesque pour le
développement des énergies solaires. Les ressources en gaz du pays autorisent à
développer et constituer un leadership technologique dans les centrales
hybrides gaz-solaire.
La
mobilisation combinée des atouts respectifs des deux pays peut permettre de
travailler à la constitution de véritables filières industrielles communes à
forte valeur ajoutée, tant dans les industries matures comme l'automobile
nécessitant des savoir-faire très nombreux, que dans les nouvelles activités de
demain dont les énergies renouvelables ou l'économie numérique. Coopérations
scientifiques en amont, développement industriel en partenariat, localisation
d'entreprises françaises en Algérie et d'entreprises algériennes en France,
financements algériens de projets de PME françaises, participations croisées
dans le capital des groupes des deux pays dans les filières identifiées comme
l'énergie par exemple : les outils de coopération ne manquent pas.
Une
vision partagée et une grande ambition ; un engagement volontaire dans la mise
en œuvre ; une multiplication des échanges et une communication conjointe : ces
clés de la réussite pour construire un partenariat de type nouveau entre nos
deux pays sont à notre portée
Par
Jean-Louis Levet, Mourad Preure, co-auteurs de "France-Algérie, le grand
malentendu (1830-2012)", aux éditions de l'Archipel
Source
de l’article LeMonde
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