Hollande en Algérie: La "colocalisation", nouveau moteur des relations France-Maghreb?


Alors que François Hollande a entamé sa visite de 36 heures en Algérie, un nouveau terme s'impose dans les relations économiques du gouvernement de Jean-Marc Ayrault: la colocalisation. Les explications de El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'université Paris-Dauphine.
La "colocalisation" consiste, pour un pays donneur d'ordre, à faire fabriquer des composants industriels à valeur-ajouté par une main d'oeuvre qualifiée mais moins onéreuse, dans un pays étranger.
La "colocalisation" consiste, pour un pays donneur d'ordre, à faire fabriquer des composants industriels à valeur-ajouté par une main d'oeuvre qualifiée mais moins onéreuse, dans un pays étranger.
"Colocalisation". Le mot est sur toute les lèvres depuis que Jean-Marc Ayrault a vanté les mérites de ce partenariat industriel "gagnant-gagnant" entre pays lors de son déplacement au Maroc, il y a deux semaines. Nicole Bricq et Arnaud Montebourg l'ont également employé. Et François Hollande, qui est arrivé ce mercredi en Algérie pour une visite de 36 heures, pourrait lui aussi y faire référence, conformément à son ambition de donner une nouvelle impulsion aux relations économiques entre Paris et Alger. Mais quelles réalités se cachent vraiment derrière ce concept? Faut-il y voir un argument économique réel ou bien la tentative du gouvernement de trouver un substitut à la morose Union pour la Méditerranée? Réponse de El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine et auteur de Mondialisation et délocalisation des entreprises.

Qu'est-ce que la "colocalisation"?
Ce terme est impropre. Il faudrait davantage parler de co-production, ou de co-traitance. Le concept s'inspire des partenariats industriels que la RDA a mis en place avec les pays d'Europe de l'Est dès la fin des années cinquante, et que l'Allemagne réunifiée a développé de manière exponentielle après la chute du Mur. Il consiste, pour un pays donneur d'ordres, à faire fabriquer des composants intermédiaires industriels à forte valeur ajoutée par une main d'oeuvre qualifiée mais moins onéreuse, dans un pays étranger. Cela s'apparente, à première vue, à de la délocalisation. Mais cela en diffère car la délocalisation verticale telle que nous la pratiquons actuellement dans beaucoup de pays en voie de développement ne concerne que l'assemblage des produits de masse, et poursuit une réduction des coûts à court terme. Les effets induits sont la perte d'emploi pour la France et une paupérisation des qualifications dans le pays fabricant.
En quoi est-ce un partenariat "gagnant-gagnant" pour les pays engagés?
La colocalisation produits des effets de compensation qui ont un impact positif sur l'emploi et la compétitivité de l'entreprise commanditaire. Dans un premier temps, certes, le donneur d'ordre substitue des travailleurs étrangers à la production nationale. Mais rapidement, sa compétitivité coûts et hors coûts s'en trouvent accrues, ce qui lui permet de gagner des parts de marché, d'investir, et donc de créer des emplois. Quant au pays exécutant, le bénéfice le plus important réside dans la formation, la professionnalisation de la main-d'oeuvre, et l'enclenchement d'une remontée des filières industrielles. Dit comme cela, tout va bien dans le meilleur des monde, mais on ne décrète pas la mise en place de tels partenariats en un claquement de doigt.
Que voulez-vous dire?
Deux défis majeurs précèdent l'instauration de telles alliances: la professionnalisation de la main d'oeuvre et l'ouverture des marchés. Dans le cas de l'Algérie, nous avons affaire à une mise en jachère de milliers de diplômés prêts à se lancer dans la vie active. Si l'on ne se charge pas, au préalable, de former ces jeunes par la pratique d'un métier, tout ce discours sur la colocalisation ne tiendra pas la route. Les moyens ne manquent pas pour le faire. Je pense par exemple au partenariat public-privé entre Suez et la ville d'Alger pour la modernisation des services d'eau de l'agglomération. Des dizaines d'ingénieurs ont été formés dans ce cadre. Quant à l'ouverture des marché, elle est essentielle pour multiplier les débouchés. N'oublions pas que les entreprises agissent en fonction de leurs intérêts.
Renault doit finaliser mercredi, au cours de la visite du président Hollande, un accord lui permettant d'implanter une usine à Oran. Est-ce un exemple de colocalisation?
La logique de Renault en Algérie est différente. Il s'agit d'un investissement direct pour accéder au marché régional. Le constructeur ne prévoit pas, dans un premier temps, de commercialiser la production de ce site en France. S'il le fait, on pourra parler alors de colocalisation. Ce qu'a fait Renault sur son site de Tanger, avec la création d'un centre de formation aux métiers de l'automobile attenant à la chaîne de production, est un parfait exemple de colocalisation: sous-traitance de produits à haute valeur ajoutée destinés au marchés marocain et européen, et formation d'une main d'oeuvre qualifiée et acquise à la cause de l'entreprise.
Jean-Marc Ayrault a évoqué pour la première fois le concept de "colocalisation" au Maroc, il y a deux semaines. Est-ce fortuit? Faut-il y voir une tentative de trouver un succédanée à la défunte Union pour la Méditerranée?
La question n'est pas tant de savoir si le gouvernement compte ressusciter l'UPM, ou lui trouver un remplaçant, mais de savoir s'il va réitérer les erreurs qui l'ont fait couler. Le projet porté en son temps par Nicolas Sarkozy n'a pas marché car il créait un bilatéralisme entre la France et les pays du Maghreb sans se soucier de l'intégration de ces pays entre eux. La première des démarches sensées consisterait à relancer l'accord de libre-échange euro-méditerranéen, inciter au démantèlements des barrières aux frontières entre les pays du Sud de la méditerranée pour créer une véritable zone économique sur tout le pourtour maritime.
Quel rôle doivent jouer les Etats dans l'instauration de tels partenariats?
Faciliter la circulation des compétences en relâchant les contraintes de mobilité. Le débat autour d'un Erasmus euro-méditerranée doit être relancé, comme le suggèrent certains députés français et européens. Un pays comme l'Algérie est aujourd'hui doté des mêmes normes universitaires (Licence-Master-Doctorat) que la France. Pourquoi ne pas mettre à profit cette harmonisation pour multiplier les échanges?
Par Thomas Féat - Source de l'article l'Expansion-l'Express

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