Les eaux usées, fléau de la Méditerranée

Priorité environnementale, l’assainissement dans les zones côtières de la Grande Bleue accuse un retard significatif. Divers selon les États, le phénomène s’avère particulièrement préoccupant sur ses rives sud et est, mais pas seulement.



«Le bassin de la Méditerranée connaît les mêmes problèmes de salubrité que le ­Bangladesh et l’Inde. » Posé par Nicolas ­Imbert, directeur de l’ONG Green Cross France et Territoires, le constat est clair : la Grande Bleue suffoque. Déchets industriels et ménagers, pollutions chimiques, trafic maritime, la Méditerranée, « pour ce qui est des pollutions du quotidien », est la mer la plus polluée du globe.

Des systèmes d’assainissement en surcharge ou inexistants

En cause, entre autres, la pression démographique dans les 22 pays riverains, conjuguée à l’urbanisation galopante des zones littorales. Ainsi, « au total, les populations côtières sont passées de 96 millions d’habitants à 145 millions (entre 1970 et 2000 – NDLR), soit 51 % d’augmentation, dont 17,2 % pour la rive nord et 84 % pour les rives sud et est, cela sur un espace restreint », relève un rapport parlementaire piloté par le sénateur socialiste de l’Aude Roland Courteau. Le Caire, Athènes, Rome, Marseille… la liste des mégalopoles de millions d’habitants s’allonge tandis que se développe celle de villes de taille plus modeste : au total, près de 90 villes entre 300 000 et un million d’habitants perlent sur les 46 000 kilomètres de côtes.

Quasiment fermée, la Méditerranée, « dont les eaux ne se renouvellent en moyenne qu’en un siècle », peine à absorber le flot continu des eaux usées qui s’y déversent, du fait de systèmes d’assainissement globalement en surcharge, souvent obsolètes, parfois même inexistants. Selon les estimations, sur l’ensemble des pays riverains, 18 millions de personnes n’ont pas accès aux systèmes d’assainissement, parmi lesquelles près de 12 millions vivant en zone côtière. « Un certain nombre de villes, comme Tanger au Maroc, sont équipées de stations d’épuration relativement récentes », reprend Nicolas Imbert. « Mais les quartiers informels de ces villes, eux, sont encore très mal desservis. La situation n’est pas meilleure sur les côtes algérienne et tunisienne, où seuls les centres-villes des capitales ont accès à l’assainissement. De plus, et de manière générale, dans les pays du Maghreb, comme en Libye ou en Égypte, les sites industriels ne sont pour la plupart pas connectés au réseau d’assainissement. »

C’est dans ce contexte que, le 27 juin dernier, Ségolène Royal lançait son « plan Méditerranée pour une croissance bleue ». L’objectif : « Sauver ce bien environnemental et commun à tous » en s’attachant, entre autres, au problème de l’assainissement. Mais l’affaire n’est pas aisée et les politiques d’action communes difficiles à mettre en place. Les 22 États riverains répondent en effet à trois catégories de réglementation en matière d’assainissement : « Ceux membres de l’Union européenne ont des pratiques convergentes grâce aux directives communes. Les pays des Balkans et la Turquie s’engagent selon les mêmes directives, mais avec des échéances plus lointaines. Le reste des pays du Maghreb ou du Machrek ont des pratiques très variables », note le ministère, qui pointe des « infrastructures très avancées en Israël et en Tunisie, très en retard en Égypte et au Liban, et à reconstruire en Libye ou en Syrie ».

Selon l’ONU, 53 % des rejets d’eaux usées ne seraient pas traités

Créé à la fin des années 1970, dans la foulée de la convention de Barcelone, le Plan bleu, placé sous l’égide de l’ONU, affichait pourtant, parmi ses objectifs à atteindre à l’horizon 2025, un taux de 90 % d’eaux usées traitées par les pays riverains de la Méditerranée. Les choses semblent mal engagées : toujours selon l’ONU, 53 % des rejets d’eaux usées seraient non traités. « À l’heure actuelle, 31 % des villes méditerranéennes de plus de 2 000 habitants ne sont toujours pas équipées d’une station d’épuration et 44 % des villes des pays du Sud et de l’Est méditerranéen (Psem) de plus de 10 000 habitants ne sont pas desservies par un réseau d’épuration », notaient, en 2014, les experts de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed). « Faute de financements réguliers, poursuivaient-ils, un fort pourcentage des stations de la rive sud sont en mauvais état de fonctionnement (…), équipées de moyens de traitement primaire ou secondaire (procédés physico-chimiques), ce qui ne permet pas la destruction des nitrates et des phosphates issus de l’agriculture. » En excluant les pays membres de l’Union européenne, l’enveloppe nécessaire à la réhabilitation des infrastructures dans la région est estimée à plus de 6 milliards d’euros, « dont deux tiers pour les réseaux de collecte et un tiers pour les stations d’épuration », précise encore le ministère de l’Environnement.

Pour répondre aux objectifs fixés, un millier de projets d’investissement sont nécessaires, estiment les experts du Plan d’action Méditerranée (PAM). Toutefois, note Nicolas Imbert, « la situation n’est pas irréversible », car « il s’agit là de pollutions terrestres, fruit immédiat de notre activité et de notre consommation ». Selon lui, inverser la tendance repose nécessairement sur une double action, préventive et curative. « Si l’on regarde la composition de ces pollutions spécifiques, on trouve des métaux lourds et des perturbateurs endocriniens, particulièrement problématiques. Ces substances, présentes dans certains traitements médicaux et dans les pilules contraceptives, sont évacuées par les urines et se retrouvent directement dans la mer. Il existe des systèmes de filtration biologique mais leur coût est extrêmement élevé, y compris pour les pays de la rive nord de la Méditerranée. » Dès lors, « il faut agir à la source, en partenariat avec les industries pharmaceutiques et cosmétiques, pour éviter la présence trop importante de ces perturbateurs endocriniens », explique Nicolas Imbert. En clair, prévenir en sensibilisant. Mais cela ne suffit pas. « Les dispositifs de financements européens existent, mais cet argent est sous-utilisé et, quand il l’est, rien ne permet de contrôler qu’il l’a été à bon escient », poursuit le directeur de Green Cross France et Territoires. Réussir à mettre en relation les financements et les projets est l’un des objectifs de l’Observatoire de la Méditerranée, créé récemment et chargé d’identifier les priorités en matière, entre autres, d’assainissement.

L’immense marché que représente l’assainissement en Méditerranée attise, bien entendu, les convoitises des grandes multinationales du secteur. Mais dans ce domaine, assure Nicolas Imbert, « les choses ont beaucoup évolué ». Le virage a été pris dans les tout premiers mois de l’année 2000, en Bolivie, lorsque la pression populaire a permis de mettre fin à la privatisation totale du réseau d’eau de la troisième ville du pays, Cochabamba. « Aujourd’hui, nous sommes passés de contrats possessifs qui captaient l’essentiel de ce bien commun, public et non substituable, à des contrats de coopération entre collectivités locales – propriétaires des infrastructures – et entreprises privées, gestionnaires », poursuit-il. Reste désormais à construire une véritable coopération politique régionale afin que la dépollution de la mer Méditerranée devienne non plus un objectif mais une priorité, sociale et environnementale. 

l’assainissement a été reconnu comme droit fondamental, et distinct de celui à l’eau, par l’ONU en décembre 2015.


Le droit à l’assainissement bafoué en palestine
Plusieurs fois financées entre autres par l’Union européenne, les infrastructures d’assainissement dans les territoires occupés ont été la cible de bombardements israéliens, en violation totale de la réglementation des Nations unies. Mais « je n’ai entendu personne protester officiellement et menacer de rompre toute relation diplomatique avec la puissance responsable de ces bombardements, et ce, jusqu’à réparation totale du préjudice », déplore Nicolas Imbert, de l’ONG Green Cross France et Territoires.

Par Marion d'Allard - Source de l'article l'Humanité

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