Harmonisation de l'ingénierie de formation, amélioration des services de proximité, décentralisation, gouvernance locale... Vincent Potier, directeur général du Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT), coorganisateur des deuxièmes rencontres du Forum méditerranéen du service public à Tunis, plaide pour une mise en réseau des pratiques publiques.
Le CNFPT est l'un des organisateurs des deuxièmes rencontres du Forum méditerranéen du service public. En quoi ce type d'événement est-il important pour votre organisme ?
En 2012, lorsque je présidais le Réseau des écoles de service public (RESP), j'ai proposé au réseau français d'organiser une rencontre avec les écoles de service public de la rive sud de la Méditerranée. Nous étions au lendemain des printemps arabes et il y avait de la part du ministère des Affaires étrangères français un souhait que cette ouverture puisse se faire en application des accords du G 20 de Deauville. C'est ce qui nous a donné cette idée.
En octobre 2012, nous avons organisé les premières rencontres du Forum méditerranéen du service public, qui a rassemblé à Marseille une quarantaine d'écoles de la rive sud de la Méditerranée. Ce rassemblement avait lieu sur le thème des valeurs de services publics. Cet échange avait été particulièrement chaleureux et intéressant. À la fin de ces rencontres, il a été exprimé le souhait que cet échange se prolonge. Il a été proposé qu'une plate-forme numérique soit mise en place qui permette, au quotidien, d'échanger des ressources et des informations. C'est le CNFPT qui, l'an dernier, a ouvert la plate-forme du Forum des services publics méditerranéens, qui rassemble plus de 120 écoles, plus de 500 personnes inscrites et qui comporte beaucoup de ressources et d'informations partagées. Et puis le CNFPT et le Centre de formation et d'appui à la décentralisation tunisien (CFAD) ont organisé les deuxièmes rencontres de ce forum. Elles devaient avoir lieu l'an dernier dans les locaux du CFAD, mais ceux-ci n'étaient pas terminés. Nous avons préféré attendre, c'est pourquoi les rencontres ont lieu maintenant.
Les services publics français, de Jordanie, d'Italie ou du Maroc ont-ils les mêmes besoins en formation ?
Les besoins en formation ne sont pas tout à fait les mêmes, mais ils sont quand même de même nature. Il y a un certain nombre de valeurs communes dans des réalités très disparates. Dans les points communs, il y a la conviction que le service public est important. Que le service public doit se réformer, se moderniser, être plus réactif, plus efficace. Il y a la conviction que le service public et la fonction publique ont besoin de valeurs et d'exigences. Et que les compétences humaines se travaillent. La formation est fondamentale, même si elle est souvent oubliée et méconnue. À partir de ces quelques idées essentielles, une réflexion commune peut avoir lieu.
En tant que directeur général du CNFPT, que pouvez attendre de telles rencontres ? C'est votre image que vous travaillez ? Des marchés à l'international que vous cherchez ?
On ne répond à aucun appel d'offres. Nous ne sommes absolument pas dans une démarche commerciale. Ensuite, en termes d'image, on a déjà une image forte en France en faisant notre travail, donc on n'a rien à gagner à ce niveau-là.
Mais l'international peut-il être une source de développement pour vous ?
L'orientation de notre conseil d'administration et, je pense, ce qui nous anime, c'est d'abord que la fonction publique française, et particulièrement la fonction publique territoriale, doivent s'ouvrir à l'international. Les approches “franchouillardes” sont une source d'appauvrissement. Il faut donc ouvrir les portes et les fenêtres. En élargissant le cercle de nos relations, en posant le fait que le CNFPT ait intérêt aussi à avoir des réflexions avec d'autres pays, je pense que l'on contribue à faire circuler de l'air frais. C'est ma première conviction. La seconde est que je pense aussi que toute organisation a des responsabilités sociétales. Et nous, sur financement du ministère des Affaires étrangères – cela ne coûte rien au CNFPT –, nous consacrons un peu de notre temps à contribuer à la politique étrangère de la France dans le secteur de la gouvernance locale, publique.
Est-ce votre manière de faire de la coopération technique ?
Oui, c'est cela. C'est notre façon d'agir, même modestement. Il y a une façon entre pairs d'échanger, de se parler et, en fait, d'apporter d'autres choses. C'est un peu comme dans la formation : il n'y a pas que les cours individuels, il y a aussi la dynamique de groupe. C'est un peu cela que l'on essaie de favoriser à notre modeste place et en fonction de nos possibilités.
Dans une Méditerranée très bousculée, avec des pays comme la Libye en plein chaos, comment pouvez-vous vous projeter dans l'évolution des services publics ?
Dès qu'il y a des États plus forts qui résolvent les problèmes de sécurité, de développement social et économiques. Dès qu'il y a des États qui sont capables de faire face à des défis, d'avoir des services publics compétents, en fait, il y a nécessairement des évolutions plus pacifiques, des crises moins fortes. Les services publics, dès lors qu'ils sont de qualité, pertinents et démocratiques, ce sont des solutions aux crises. Il n'y a pas que l'ONU ou les milliards sur de grands investissements, il y a aussi un équilibre institutionnel. Les services publics et les écoles de services publics contribuent à cet équilibre institutionnel. Au vivre-ensemble. On touche à un facteur de santé et d'équilibre des États.
Pourtant, les services publics sont souvent contestés car considérés comme sources de dépenses…
Les services publics doivent se moderniser pour être efficaces. Des réformes sont à faire pour qu'ils soient désenglués du clientélisme, de l'affairisme, de l'intérêt du prince à la place de l'intérêt général. Il y a de nécessaires refondations à mener. Mais quand le service public est efficace et correctement exercé, comme c'est le cas dans de nombreux pays, il ne coûte pas, il rapporte. Il permet le développement, la sécurité. Il permet de prévenir les problèmes sociaux. Il donne une qualité de vie. Donc ce n'est pas quelque chose qui coûte. Ça, ce sont les logiques néolibérales qui font croire que l'on dépense trop d'argent dans les services publics. Plus il y a de sécurité, plus il y a de prévoyance, plus il y a de l'assistance, plus il y a des infrastructures, plus la vie est améliorée. Cela n'a pas de prix.
Nous sommes à Tunis, dans le Centre de formation et d'appui à la décentralisation (CFAD). Sous l'ère Ben Ali, ce centre formait des fonctionnaires pour un État très centralisé. Et là, on bascule vers une décentralisation poussée avec le même organisme qui va faire sa mue pour former les élus, les agents qui permettront cette décentralisation. Est-ce un signe de l'évolution actuelle ?
Oui, je pense que la Tunisie est particulièrement vigilante au fait qu'il n'y a pas de bonne décentralisation sans une bonne déconcentration. Et il est vrai que la Tunisie a des objectifs ambitieux. Actuellement, le nombre de fonctionnaires locaux par rapport au nombre de fonctionnaires totaux est de 3 %. Et le budget des collectivité locales par rapport au budget de l'État est aussi de 3 %. En fait, leur objectif est de doubler, tripler ce chiffre dans les quelques années qui viennent. J'ai eu des échanges au ministère de l'Intérieur ici à Tunis, et le pays compte mener cette réforme dans une concertation nationale très large. Je constate que la Tunisie, qui a très bien réussi son printemps arabe de manière démocratique, veut de manière concertée engager une nouvelle étape donnant plus de place aux citoyens, aux acteurs locaux, mettant en scène une nouvelle génération avec des élections locales prévues pour 2016 ou 2017. La Tunisie a un processus de qualité qui sert de modèle dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen.
Ce besoin d'une plus grande proximité des agents avec les administrés, cet engagement vers une plus grande décentralisation sont-ils des préoccupations communes à tous les pays de la Méditerranée ?
Cela concerne beaucoup de pays, en effet. On l'a entendu lors du Forum, les collectivités doivent se tourner vers les citoyens car elles se sont trop tournées vers les États précédemment. Cela fait écho dans plusieurs pays, en Tunisie, en Jordanie, en Algérie et puis au Liban. Mais cela fait aussi écho chez nous, en France.
Un représentant de l'Italie a expliqué lors du Forum la tendance à la privatisation de la formation des services publics en Italie. Cette idée de privatisation vous inquiéterait-elle si elle se répandait à d'autres pays méditerranéens ?
Les services publics rapportent et apportent plus qu'ils ne coûtent quand ils sont bien gérés. En France, le CNFPT a un coût de revient de 133 euros journée formation stagiaire. En 2008, il était de 148 euros. On a baissé le coût de revient, qui est aujourd'hui de deux à trois fois moins cher que dans le privé. Privatiser les formations, ce ne sera pas moins cher, mais plus cher. En plus, on perdra tous les avantages que donne un établissement public national. Nous répondons aux besoins sans logique de profit, en aidant plus ceux qui font plus ou en aidant particulièrement ceux qui sont plus pauvres. Et nous apportons du sur-mesure en fonction des collectivités. On peut aussi défendre des grandes causes comme l'accueil des personnes handicapées. Sur le plan commercial, cela n'intéresse personne, mais nous nous pouvons le proposer parce que nous ne sommes pas sous un régime de productivité ou de vente à l'unité, même si on est aussi productifs, voire plus que le privé ! Donc la logique publique permet des offres de meilleure qualité que la logique privée, qui n'est pas moins chère. Elle est souvent plus chère parce qu'elle se fait à des unités plus petites et qu'il y a la notion de profit qui pèse sur les coûts.
Il y aura un 3e Forum méditerranéen du service public. Savez-vous déjà où et quand il se déroulera ?
On discute avec nos amis Libanais. Donc nous verrons…
Par Jean-Michel Meyer - Source de l'article Acteurs Publics
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