À cause du terrorisme, la stabilité est plus importante aux yeux de la jeunesse arabe que la démocratie

Les jeunes Arabes sont autant préoccupés par l’expansion du groupe État islamique que leurs pairs ailleurs dans le monde. C’est ce que révèle l’édition 2016 de l’Arab Youth Survey (a), un sondage réalisé tous les ans auprès des 18-24 ans de 16 pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA). 


Pour la deuxième année consécutive, l’essor de Daech (acronyme arabe de l’État islamique) est perçu comme le plus grand des problèmes auxquels est confrontée la région : quatre jeunes sondés sur cinq se déclarent plus préoccupés par l’expansion du groupe terroriste que par d’autres enjeux. Dans le même temps, si l’on en croit les conclusions de cette enquête, l’attrait que pourrait exercer Daech sur la jeunesse semble avoir légèrement décru.

Près de la moitié des 3 500 jeunes hommes et femmes interrogés considère que l’essor de Daech est le principal obstacle dans la région MENA, soit une hausse de 37 % par rapport à l’année dernière. Parmi les autres sources d’inquiétude, on trouve la menace terroriste (au sens large), le chômage, les troubles civils et le renchérissement du coût de la vie. L’enquête, qui a duré six semaines environ, a été réalisée lors des deux premiers mois de l’année 2016.



Près de quatre jeunes Arabes sur cinq ne cautionneraient pas le groupe État islamique même s’il cessait de faire un usage disproportionné de la violence, alors qu’ils étaient 19 % à avoir répondu par l’affirmative à la même question en 2015. « La plupart des jeunes Arabes rejettent Daech parce qu’ils sont informés des atrocités qu’il commet », affirme Lina Ben Mhenni, une militante tunisienne qui travaille sur les questions ayant trait à la jeunesse. 
« Et aussi parce qu’ils ont compris que cette organisation exploite le désespoir de la jeunesse et son ignorance. » Une majorité est convaincue que le groupe terroriste échouera dans son ambition déclarée de fonder un État islamique dans le monde arabe.



La région MENA possède l’un des taux de chômage chez les jeunes les plus élevés au monde (29 %). Pour 24 % des répondants environ, c’est précisément à cause de l’absence d’emplois et de perspectives que le groupe terroriste parvient à recruter des troupes parmi les jeunes. Mais ils sont un peu plus nombreux (25 %) à dire ne pas comprendre ce qui fait qu’un individu voudrait rejoindre Daech. Deuxième cause d’adhésion à Daech après le chômage, selon les sondés, la conviction que son interprétation de l’islam est supérieure à d’autres lectures.

« Certains jeunes sont désespérés parce que leur situation s’est dégradée », avance Lina Ben Mhenni. « Ils sont fragilisés, ils ont le sentiment d’être marginalisés et ils deviennent une proie facile pour les recruteurs des organisations terroristes. » Les répondants pensent également que le succès de Daech auprès des jeunes se nourrit des tensions entre sunnites et chiites et plus généralement des tensions religieuses dans la région. Et comble de l’ironie, la montée des valeurs laïques et occidentales est également perçue comme l’un des principaux facteurs expliquant l’enrôlement des jeunes auprès du groupe islamiste.



La place occupée par le terrorisme dans la région MENA bouleverse les priorités des jeunes. Selon un peu plus de la moitié des répondants (53 %), la préservation de la stabilité est plus importante que l’avancement de la démocratie, ce qui contraste vivement avec les résultats de 2011, où 92 % des jeunes déclaraient que « vivre en démocratie » était leur principal souhait. Cinq ans après le Printemps arabe, lors duquel une vague de manifestations avait renversé les régimes autoritaires de la région, l’optimisme des jeunes ne cesse de retomber. Ils sont seulement 36 % à penser que les révolutions de 2011 ont eu un impact positif, contre 72 % en 2012.

L’Égypte est le seul pays de la région MENA où les jeunes se disent encore convaincus que le monde arabe va mieux depuis le « printemps » de 2011.

« Dans la région, beaucoup sont enclins à rejeter Daech en raison de son extrémisme, mais il n’en reste pas moins que le groupe exploite les difficultés de la région », observe Hassan Hassan (a), chercheur au Tahrir Institute for Middle East Policy. « Daech n’est pour rien dans les problèmes identifiés par les répondants comme facteurs de son succès. »

L’enquête se penche aussi sur la perception des jeunes concernant d’autres aspects de leur quotidien. « Les jeunes Arabes d’aujourd’hui seront les dirigeants, les chefs d’entreprise, les travailleurs et les consommateurs de demain. Les informations qui ressortent de cette étude nous permettent à tous d’approcher et de mieux cerner cette catégorie de la population »,déclare Donald A. Baer (a), directeur général de l’agence de relations publiques Asda’a Burson-Marsteller, chargée pour la huitième année consécutive de ce sondage auprès de la jeunesse arabe. L’objectif de ce travail est de recueillir des données sur l’état d’esprit qui domine chez les 200 millions de jeunes de moins de 25 ans que compte le monde arabe et qui constituent 60 % de sa population, pour pouvoir mettre à disposition des organisations des secteurs public et privé les statistiques et analyses dont elles ont besoin pour prendre des décisions et des mesures éclairées.

Pour la cinquième année consécutive, les Émirats arabes unis arrivent en tête des pays dans lesquels ces jeunes souhaitent s’établir. Viennent ensuite les États-Unis, l’Allemagne, l’Arabie saoudite et le Canada.

Enfin, en ce qui concerne les modes de consommation des médias, l’enquête montre que les jeunes Arabes s’informent en ligne plutôt que par voie de presse ou par la télévision. « L’enquête montre depuis plusieurs années l’importance grandissante que les jeunes de la région MENA accordent aux médias sociaux », explique Damian Radcliffe, professeur de journalisme a l’Université de l’Oregon. « Pour les groupes de presse, les entreprises en général et les gouvernements de la région qui ne se seraient pas encore convertis aux réseaux sociaux pour toucher les jeunes, cette nouvelle enquête démontre de manière convaincante qu’ils ont tout intérêt à le faire. » Alors que 32 % des jeunes Arabes s’informent en ligne, 29 % regardent les chaînes d’information à la télévision et seuls 7 % lisent la presse de manière quotidienne. Des « chiffres peu réjouissants pour les éditeurs de journaux  », note M. Radcliffe.

Par Christine Petré - Source de larticle Le Blog de la Banque Mondiale

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